- Alors... avec Sabo ?
- Hm ?
Je jetai un regard interrogateur à mon capitaine avant de porter mon verre à mes lèvres et d’en boire le contenu.
Après avoir échangé rapidement dehors, l’air froid de la nuit que ma convalescence me faisait ressentir et surtout l’envie d’être au calme à l’intérieur nous avait fait migrer du pont à la salle à manger. Comme je m’y attendais, nous l’avions trouvé vide, quelque peu sale de la fête d’il y a quelques heures mais passable pour être tranquille. Nous avions choisi une table assez reculée dans la pièce, la moins crasseuse, et nous nous étions assis côte à côte, après avoir posé la bouteille et rajouté deux verres. À présent que la porte fermée ne laissait plus passer le clair de lune, il faisait très sombre, et nous n’étions éclairé que par la chandelle que j’avais eu l’intelligence d’allumer. Quelque part, l’obscurité me servait, car à l’évocation du nom de celui que j’aimais, mon corps avait réagi pour moi et mes joues s’étaient enflammées, mais le regard amusé que me lança Shanks me conforta dans l’idée qu’il avait bel et bien remarqué ma réaction. Je sentis mes joues s’embraser d’autant plus, et je fis mine de boire à nouveau pour calmer mes émotions à la fois passionnées et gênées alors que le rouquin éclatait d’un rire joyeux.
- Pourquoi es-tu si gênée ? Il y a pas de mal. Vous vous tourniez autour depuis longtemps, tu croyais sincèrement que c’était seulement à New Marineford que je m’en étais rendu compte ?
- Je n’avais pas vraiment remarqué qu’on se tournait autour, j’étais trop occupée à te faire tourner en bourrique.
- Menteuse.
Il me lança un regard appuyé tout en souriant. Je reposai mon verre sur la table et soutins son regard, en y ajoutant à mon tour un sourire en coin. Je n’allais pas plier aussi facilement seulement pour un ‘’menteuse’’ de sa part… Finalement, un souffle amusé lui échappa et il bascula sa tête en arrière pour boire dans son verre, tandis que je baissai les yeux vers le bois de la table que je trouvais subitement très intéressant. Bien que nos paroles soient taquines, il y avait un fond de vérité là-dedans, et je le voyais d’autant plus qu’à présent j’avais sauté le pas. C’est vrai qu'inconsciemment, Sabo et moi nourissions depuis assez longtemps, à présent, une relation particulière : je ne l’avais vu que très rarement, mais à chaque fois, ces moments avaient été intenses… Un peu comme avec Shanks, sauf qu’il y avait toujours eu quelque chose en plus avec le révolutionnaire… Une sorte d’alchimie que je n’arrivai pas à expliquer.
Je finis par secouer ma tête, espérant chasser ses pensées. Il était trop tard et j'étais trop fatiguée pour réfléchir convenablement sur un sujet aussi sérieux.
-Et… Où est-il en ce moment ?
- Sabo ? Il voulait t'attendre mais il arrivait à peine à garder les yeux ouverts, j'ai pris le relais.
- C'est gentil de ta part, mais toi aussi tu es fatigué.
J'haussai un sourcil en le regardant avec attention. Ça n'aurait jamais pu passer inaperçu, car son corps parlait pour lui. Ces cernes, ces cheveux en bataille, cette légère barbe qui poussait, son visage creusé… Il n'avait pas dormi depuis plusieurs jours avant hier soir, si j'en croyais les dires de Beckman. La dernière fois qu'il avait agi de la sorte, c'était lorsque j'avais frôlé la mort face à Doflamingo, il y a deux ans, et mon coeur se pinçait de douleur de le voir aussi mal.
Le Roux éclata soudainement de rire, à gorge déployée, me faisant sursauter intérieurement de surprise alors qu'il déclarait d'un ton joyeux :
- C'est rien, je me reposerai plus tard, j'ai tout le temps pour. Alors que Sabo n'a sûrement que quelques jours avant qu'on ne lui confie une mission. Par intérêt pour vous deux, il doit être plus en forme que moi.
- C'est pas une raison pour te négliger !
Je lui lançai un regard sévère en fronçant les sourcils. Je savais aussi bien que n'importe qui à bord de ce navire que notre capitaine était prêt à tout faire pour ses amis, mais je refusai qu'il agisse de la sorte pour moi. Je m'inquiétais pour lui, et je me demandais si il s'en rendait compte.
Je rouvris la bouche pour continuer sur ma lancée, mais il me coupa net en prenant la parole à ma place.
- J'ai bien réfléchi, et j'ai une proposition à te faire.
- Ce n'est pas le moment de parler. Va te reposer et on continuera la discussion demain.
- Isis, écoute-moi.
Il conservait un léger sourire sur ses lèvres, mais par son regard, je compris rapidement qu'il était devenu sérieux. Je cessai de froncer les sourcils et j'ouvris des yeux attentifs tandis qu'inconsciemment, ma main se crispa sur ma cuisse. J'avais un mauvais pressentiment, mais je fis mine de rien et j'attendis. Shanks finit par soupirer, avant de plonger ses yeux dans les miens.
- Tu l'aimes ? Sabo ?
- Je… Oui… Mais enfin…
Je sentis mes joues s'enflammer à nouveau à l'entente de sa question, mais ma confusion était bien plus grande que ma gêne. J'allais lui demander pourquoi questionner sur une telle chose, mais comme auparavant, il me prit de court :
- Et bien, si tu l'aimes, tu devrais partir avec lui.
- ... Quoi ?!
Sa déclaration me fit l'effet d'un coup de poing dans l'estomac. J'ouvris des yeux terrifiés. Ce n'était pas possible, je devais rêver… Est ce qu'il était en train de me renvoyer de l'équipage ?!
Mon coeur battait à tout rompre dans ma poitrine et des larmes montaient à mes yeux. J'avais l'impression que j'allais exploser de l'intérieur. Mes sourcils se froncèrent et je dévisageai mon capitaine avec incompréhension.
- Tu ne veux plus de moi ?
Les traits de Shanks s'affaissèrent. Son regard s'adoucit, et il me regarda avec peine. Il semblait incroyablement triste, ce qui me perdit encore plus dans la situation.
- Je veux ton bonheur, et si ton bonheur se trouve avec celui que tu aimes, je ne veux pas y faire obstacle.
Je sentis les muscles de mon visage se tendre. Mon incompréhension et ma peur avaient laissé place à une émotion bien plus grande, bien plus puissante : la colère. Je me levai de table, repoussant le tabouret sur lequel j'étais assise avec tellement de force qu'il tomba au sol. Face à moi, Shanks avait levé les yeux pour ne pas me quitter du regard. Je serrai les dents. Mes mains tremblaient frénétiquement, mais je les refermai d'un coup sec, avant d'abattre mon poing fermé sur la table avec toute la force que j'avais. Le regard de mon capitaine se fit surpris, mais je ne faiblis pas et le considérai d'un regard sévère.
- Ne te soucie pas de moi ni de Sabo ! Je l'aime et il m'aime en retour, nous saurons nous débrouiller sans qu'aucun d'entre nous n'abandonne ses engagements !
- Isis…
- Le jour où je quitterai ton équipage sera celui où tu l'auras dissous ou lorsque je serai morte !
Ce ne fût qu'après coup que je remarquai que je n'avais pas parlé, mais bien crié sur Shanks. Il semblait tout aussi désarçonné que moi face à ce qu'il venait de se passer, mais je ne regrettais rien. J'avais rapidement ravalé mes larmes en essayant de me calmer, et de reprendre plus posément :
- Vous êtes ma famille… Je ne serai pas aussi heureuse que je le suis depuis deux ans sans vous. Sabo et moi trouverons une solution pour pouvoir être ensemble, mais cette solution ne sera pas mon départ, que ce soit très clair.
Je fis de mon mieux pour parler d'un ton précis et assuré, mais des tremblements avaient encombré ma voix. Après ma déclaration, un long silence se fit entendre, et je me sentis tout d'un coup très seule, comme si les ombres de la pièce m'avaient absorbé et isolé de toute forme de vie.
Les émotions en une soirée avaient été trop vives pour moi. Je me savais forte et j'aimais paraître intouchable, fière, orgueilleuse, sarcastique, mais ce fût de trop. Je venais d'apprendre que tout au long de ma vie, j'avais une mère qui m'aimait et qui n'avait comme seul objectif d'être auprès de moi, avant d'être totalement corrompue par Doflamingo, j'avais appris que j'avais un petit frère, et maintenant, bien que ça partait d'une bonne intention, celui que je considérai plus comme un frère qu'Every voulait me libérer de mon serment de fidélité à son égard.
À cette pensée, répétée encore et encore dans ma tête, je sentis des picotements dans mes yeux. Ils ne cessaient pas, ils devenaient omniprésents, jusqu'à ce que je ferme les paupières, laissant des perles d'eau salées s'échapper de mes yeux.
J'aimais Sabo, je l'aimais de tout mon coeur. Et j'aimais mon équipage. Si je pouvais, j'aurai réuni les deux, mais mon homme avait à faire ailleurs, pour une noble cause, je ne pouvais le retenir, et je savais qu'il ne m'aurait jamais demandé de venir avec lui, par égard pour moi. C'était une raison de plus de l'aimer, et évidemment mon coeur se pinçait à la simple idée qu'il me quitte, mais des liens aussi forts que les nôtres pouvaient tenir sans se cultiver tous les jours, du moins jusqu'à ce que l'armée révolutionnaire aie atteint son objectif. Je savais qu'un jour, nous nous réunirons pour ne plus jamais nous quitter, mais je ne voulais pas que cela se fasse de cette manière, en me faisant limite chasser de mon équipage, et des pleurs silencieux me secouaient à cette idée. Je pleurais en gardant les yeux fermés, en essayant de laisser toute ma peur et ma tristesse s'exprimer, quand je me sentis soudainement tirée en avant puis prise dans un étau ferme mais rassurant.
Je rouvris les yeux. Shanks s'était levé sans que je m'en aperçoive et il m'avait prise contre lui en me serrant de son unique bras. Je sentais son corps, ses membres trembler. Était-il… Inquiet ? Triste ? S'en voulait-il ? Je n'arrivais pas à décrire sa réaction, mais une flamme de réconfort m'avait envahi et me consolait, stoppant peu à peu mes pleurs, calmant petit à petit mes tremblements. Je refermais mes bras autour de Shanks, répondant à son étreinte. Il me serra avec d'autant plus de force, en murmurant doucement, mais fermement :
- Je te demande pardon. Tu es ici chez toi. Et nous serons toujours là pour toi, aussi longtemps qu'il le faudra. Je... Nous t'aimons... Et ça, ça ne changera jamais.