11 ♦ Le chant mortuaire

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— Parce que tu ne veux pas, assura-t-il. 

— Comment suis-je censée savoir gérer ce genre de dons ? Je viens tout juste de l'apprendre. 

— En persévérant et en y mettant du cœur. Tu ne veux pas être ici, ça se voit et ça se sent. Or, tu dis vouloir protéger ta sœur alors fais ce qui est juste pour ton Royaume. Si tu veux qu'elle vive une belle et longue vie, alors tu dois te concentrer sur ton objectif. 

Je hochai la tête. Malgré sa façon de parler parfois tranchante, Ezekiel avait raison sur ce point. Je voulais que ma sœur reste saine et sauve et ce n'était pas en m'apitoyant sur mon sort que cela arriverait. 

— Tu as raison, Ezekiel, soufflai-je. 

Il me fixa un moment avant de détourner son regard, ce qui me libéra de l'emprise de ses yeux. J'inspirai profondément, puis fermai les yeux, me concentrai. Je ne savais pas ce que je voulais voir, mais je voulais voir quelque chose, n'importe quoi. Je souhaitais que mon esprit m'envoie des images, me donne des informations, quelles qu'elles soient. 

Lorsque j'expirai lentement par la bouche, les images me vinrent en tête. Elles furent brèves et rapides. J'entendis, tout d'abord, des grognements, des longs râles comme celui que j'avais entendu à Novendill puis enfin, je vis des cadavres à moitié décomposés avancer sur un terrain pentu, déterminés à rejoindre leur objectif : notre camp. 

Je rouvris les yeux en prenant une grande inspiration. Je manquai de tomber en avant, dans le vide mais Ezekiel me retint de justesse, saisissant mes bras et se couchant presque sur moi. Je finis sur le dos, le Gardien au dessus de moi. 

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il. 

— Les... les morts... ils... 

Je n'eus le temps de terminer ma phrase puisque des longs râles résonnèrent dans les montagnes. Ezekiel se redressa, me libérant de son poids et observa la plaine sous nos pieds. Nous pûmes voir les morts avancer vers nous et commencer à grimper, pour certains, d'autres prirent le chemin que nous avions emprunté dans la journée. 

Il me tendit la main, je la saisis et me relevai. Nous rejoignîmes rapidement les autres. Ezekiel réveilla Alexius d'un coup de pied, son grognement alerta Adélaïde qui se redressa aussitôt. 

— Qu'est-ce qu'il se passe ? gronda Alexius en peinant à se remettre debout. 

— Les morts s'en viennent, déclara Ezekiel en se munissant de son épée. 

Aussitôt, les deux autres Gardiens l'imitèrent et les premiers ennemis ne tardèrent pas à arriver. Ezekiel tendit son bras et me poussa derrière eux. 

— Reste en retrait et fais en sorte de ne pas être blessée, ordonna-t-il. 

Le premier cadavre qui tenta une approche fut coupé en deux par l'épée d'Adélaïde, un second gouta au tranchant de la lame d'Alexius et Ezekiel écrasa son poing contre la face d'un autre macchabée, sa main s'enfonça dans son visage et la mort retourna d'où il venait. Alors qu'ils se battaient, moi je reculais de quelques pas, effrayée et désemparée, ne sachant comment agir, que faire.  

Je sentis quelqu'un ou quelque chose me saisir la nuque et me tirer violemment vers l'arrière. Je poussai un hurlement de surprise qui se transforma en douleur lorsque je sentis des dents s'enfoncer dans la chair de mon épaule. Les morts affluaient de toutes parts. Je fus tirée en arrière et tombai à la renverse, la créature accrochée à moi. Je fus en proie d'une violente vision, trop rapide pour la comprendre, elle me terrifia. Je vis une personne encapuchonnée face à un grand arbre vieux de plusieurs siècles au creux duquel était creusé un autel, la personne, agenouillée, leva un poignard au manche épais orné de gemmes et le planta à plusieurs reprises dans son propre abdomen.  

Je revins à moi lorsque j'entendis Adélaïde pousser un grognement. J'eus simplement le temps de rouvrir les yeux que je la vis lever son épée et la planter juste à côté de ma tête. J'écarquillai les yeux mais fus soulagée de ne plus sentir les dents du mort dans mes chairs. 

Je sentais les larmes couler toutes seules sur mes joues. Adélaïde me tendit la main, je la saisis puis me relevai, la douleur tiraillait mon bras tout entier. Je grimaçai puis vis Alexius et Ezekiel remballer les affaires à la hâte. Plusieurs morts se jetèrent sur nos chevaux, Ezekiel coupa les cordes qui les gardaient attachés et deux d'entre eux purent s'enfuir, le dernier finit sur le sol, rongé par les morts. 

— Partons, vite ! ordonna Alexius. 

Nous dûmes courir entre les fourrées, en côte, pour traverser la montagne, des morts à nos trousses, bien que la plupart étaient restés pour dévorer notre cheval. J'essayais de les suivre, mon coeur palpitait, mes cuisses me brûlaient, ma plaie me torturait. J'étais tellement essoufflée que le goût du sang imprégna ma langue, ma gorge se serra, l'air passait difficilement pour oxygéner mes pauvres poumons meurtris par ma course. 

Nous trouvâmes une grotte en hauteur, l'entrée se trouvait à quelques mètres du sol et nous dûmes y grimper. Alexius passa le premier puis je dus grimper ensuite. Je m'accrochai à une pierre, puis à du lierre alors qu'Ezekiel me poussait par le bas. J'attrapai la main tendue d'Alexius et me hissai à l'orée de la grotte. Je finis sur le dos, haletante, Adélaïde et Ezekiel nous rejoignant seulement. 

— Nous n'irons pas plus loin, déclara Ezekiel en s'asseyant contre la roche.

Ses vêtements couverts de sang, son visage strié d'effluves, tout comme ses deux camarades. Je me redressai et m'assis moi aussi, tout en grimaçant. Adélaïde s'accroupît face à moi. 

— Laisse-moi voir, murmura-t-elle. 

En bas, les morts déambulaient et selon Ezekiel, ce serait ainsi jusqu'au levé du jour. Elle tira sur la manche de ma chemise pour libérer mon épaule. Alexius haussa les sourcils en remarquant ma plaie. 

— Est-ce que je vais... attraper une maladie ou mourir d'une infection ? demandai-je apeurée ? 

— Non, souffla Ezekiel la tête appuyée contre la roche, les yeux fermés. Tu risques d'avoir de la fièvre, mais dès demain matin, nous trouverons des plantes pour te soigner. Tu devrais te reposer pour le moment. Faisons le moins de bruit possible. 

Alexius s'assit face à nous, les jambes tendues. 

— Bonne nuit, marmonna-t-il.

Adélaïde s'assit à côté de moi et m'adressa un sourire réconfortant. 

— Tu peux appuyer ta tête sur mon épaule si tu veux, me souffla-t-elle à voix basse. 

Je lui rendis son sourire. 

— Merci...

J'appuyai ma tête sur son épaule et fermai les yeux. Il me serait impossible de trouver le sommeil cette nuit-là, encore bouleversée par ma morsure et la vision que j'avais eue. 

Sans compter la fièvre qui m'attendait. 

La souffrance ne faisait que commencer...  

Les Derniers Gardiens - I La Confrérie du RubisWo Geschichten leben. Entdecke jetzt