Partie 1 sans titre

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Le contact de sa peau sous ma langue. Une pression calculée pour ne pas atteindre le cœur tout de suite et sentir la chair se déchirer sous mes dents. Le jus qui s'en dégage est doux, sucré.
Avachi devant l'écran. Journal de 20h. Après une journée de travail à la con, les nouvelles du monde nous font pas mal relativiser. Des hommes, des femmes et des enfants inconnus qui s'agitent derrière mon écran, s'impriment sur ma rétine et tentent d'atteindre ma zone de compassion. Échec économique, intempéries, vacances et voyage des sens. Le journal télévisé me ferait presque recracher ma bouchée.
Je fais tourner la boule sucrée sous mon palais, toujours indécis. Dois-je croquer?
Une journée banale en somme. Levé à la même heure comme chaque matin, cinq jours sur sept. Du sport. Rien qu'un peu, juste une demi heure pour se tenir en forme. Une douche, un petit déjeuner et l'on quitte l'appartement. 10 minutes plus tard on arrive au métro. 1km de marche quand on ne voit pas le bus passer. Ça, en plus du sport, juste pour rester en forme et ne pas prendre trop de ventre.
Le métro me donne envie de vomir, y penser rendrait ma dégustation presque désagréable. Je retire la peau tout doucement, en jouant des mâchoires et de la langue... Tout un art de dextérité.
Ce matin dans le métro, j'ai regardé les gens car je n'avais pas de livre. Avec le journal télévisé j'ai l'impression de les revoir. Les mines sont sombres, fatiguées. Décidément que ce soit ici où ailleurs l'herbe n'est pas plus verte et on tire tous la gueule.
Je fixe l'écran. Un attentat vient d'avoir lieu. Enfin a eu lieu récemment. La caméra nous montre des tas de débris, de la cendre et des gens en pleurs. Tous racontent. Une femme entre deux sanglots tente d'articuler. Une explosion...Une bombe?.... Le métro.... Des morts.... Son discours me fascine.

Je viens de croquer dans le fruit. Un pépin ! IL Y AVAIT UN PÉPIN !!!
Je quitte l'écran des yeux et regarde la grappe dans le bol. J'ai envie de les écraser. Tous. Les massacrer comme sur l'écran de télévision. J'en saisis un petit. Petit et innocent. L'idée de le briser entre mes doigts m'effleure. Je résiste. Avec les petits on est presque sûr de ne pas avoir de pépins.
Même rituel que le précédent. Une légère pression pour en faire craquer la peau. Le jus est acide, moins bon. Peut être aurais-je dû l'écraser et me lécher les doigts ?
Sous mes yeux les images de l'attentat continuent de défiler et les journalistes tentent de nous fournir des hypothèses en nous montrant des morceaux d'interview. Surtout des policiers. Je déteste les journalistes. On dirait des mouches attirées par les horreurs du monde. Je me demande ce que serait un monde sans eux, sans informations... Vivre coupé des autres sans y voir leurs attentats ni leurs problèmes quand les nôtres nous collent à la peau. Des problèmes... Comme dans mon travail avec ces sourires forcés, ces bonjour, au revoir, ces rendus de monnaie et les questions à la con que l'on nous pose sans arrêt. Parfois je me demande vraiment ce qui me pousse à continuer mon travail. Pourquoi je ne me mettrais pas en arrêt maladie ? Quelque chose de grave histoire de profiter un peu du système comme tous les autres plutôt que de me tuer à la tâche. Changer de métier ? Pour quoi faire ? Ça reviendrait juste à déplacer la merde.
J'ai croqué dans le fruit pour le déchiqueter. Le journal me rend nerveux, m'angoisse. Ces petites boules sucrées me servent d'exutoire et passent au fil de mes dents.

La nouvelle de l'attentat est terminée. Oubliée. La place n'est plus aux larmes et un autre sujet prend la place. Je zappe ! Il me faut revoir la scène, la revoir, elle, si jolie dans son malheur. M'imaginer sa peau si douce, comme celle du fruit sous ma langue. Alors je fais défiler les chaînes en m'empiffrant de ses tendres chairs. Zapper ! Une publicité ! Zapper ! Un documentaire ! Zapper encore ! Là ! Je bois ses paroles que j'imagine être le jus du fruit qui coule dans ma gorge. Elle est si belle mais si fugace ! La voilà qui disparaît à nouveau. J'écume le bouquet satellite pour la revoir.
Ma main fébrile cogne le verre du saladier. Mon regard décroche. Rien ! Il ne reste plus rien. Plus un grain de raisin, plus un journal télévisé.... Je suis seul et le goût du raisin dans ma bouche, sa chair si tendre me laissent un vague souvenir de bonheur.

Le micro-ondes sonne. Je m'extirpe tant bien que mal du fauteuil. Arrivé dans la cuisine je tente de me souvenir des informations que j'ai pu voir. Où était l'attentat ? Quels autres sujets ont été évoqué ? Je sèche. Je ne me souviens que de deux choses : le visage en pleurs de cette inconnue et le goût du raisin.
En y pensant, je crois que malgré les pépins, je préfère les gros raisins.

Hai finito le parti pubblicate.

⏰ Ultimo aggiornamento: Nov 25, 2017 ⏰

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