Chapitre 74 / Un lundi matin pluvieux

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— Pas besoin qu'ils... comment as-tu su, toi ?

— Je le surveille, lui et toute son engeance.

— Ça m'a l'air pas terrible comme activité.

— Pas terrible, mais nécessaire. Tu peux me croire.

— Est-ce que... est-ce que tu peux le garder pour toi, pour le moment.

Klaus darda un regard noir sur elle devant son manque de confiance en lui. Bien sûr qu'il ne dirait rien à personne. Il ne disait jamais rien à personne.

— Merci, Klaus,s oupira Lupita en se redressant.

— Va falloir que tu te prépares à la déflagration que ça va avoir sur ta vie. Tu vas t'en prendre plein la tête.

— C'est déjà le cas, figure-toi. Je m'en prends déjà plein la tête.

—J'espère que ça vaut le coup, dit simplement Klaus en se remettant à pianoter sur son clavier.

Pour lui, la discussion était close. Et Lupita ne pouvait pas le mettre dans la confidence en lui faisant comprendre que non, en fait. Ça n'en valait pas le coup. À part financièrement, bien sûr. Mais quelle image aurait-il eu d'elle ? Probablement celle qu'elle avait elle-même et à laquelle elle tentait de ne surtout pas penser. Son nouveau PC, flambant neuf serait bientôt prêt. Et elle se consolerait d'avoir perdu son honneur en jouant sur une bête de concours. Il n'y avait pas de petites consolations dans ce monde de brutes.

Elle se remit au travail, musique sur les oreilles, omettant à dessein de s'arrêter à la pause déjeuner. Chacun y serait de sa petite supposition concernant son hermétisme en ce lundi pluvieux. S'il fallait, elle s'inventerait une grand-mère malade. Elle n'en était plus à un mensonge près, de toute façon.

Lupita pensait pouvoir passer la journée ainsi. Mais c'était sans compter sur le destin, le hasard, et toutes les forces cosmiques en action dans l'univers.

Bordé de rouge sang, un message s'afficha sur son écran à 15h32 précisément. Elle pensa immédiatement que Steve avait encore trafiqué le serveur du pôle pour son petit plaisir personnel. C'était un jeu pour lui de contourner toutes les défenses internes qu'elle mettait en place avec Klaus, pour leur envoyer des mots doux qui impliquaient qu'il avait trouvé une faille. Sauf que cette fois, le message ne disait qu'un mot : Alerte.

Immédiatement, Lupita leva son visage de ses écrans et vit que tout le monde en avait fait autant. Éric était sorti de son bureau et contemplait, l'air hagard, l'écran géant qui servait pour le travail collectif. On y voyait des lignes de code s'aligner avec une rapidité saisissante.

Lupita jeta son casque et accueillit l'effervescence du plateau en elle, s'en imprégna. Elle savait qu'elle allait devoir chasser. Cela la réjouit autant que cela l'effrayait, parce que ce qu'elle voyait était totalement inhabituel. Les pares-feux, pourtant si efficaces d'ordinaire, n'avaient pas fait leur office, comme si... Elle braqua ses yeux sur Steve qui pianotait avec rage sur son clavier. Entouré par Joshua et Thomas qui en faisaient autant, ils étaient impuissants.

— Lupita ! hurla Eric. Dans la grotte ! Klaus aux serveurs ! Iris, Arig, Kevin aux étages.

Éric Vivier n'utilisait jamais leur prénom. Jamais. Lupita se précipita vers la grotte. L'heure était grave, car il ne faisait aucun doute que l'attaque venait de l'intérieur. Quelqu'un, quelque part dans l'immeuble, était en train de hacker les serveurs. Ce qui voulait dire qu'un traître, un agent double se cachait parmi eux.

Lupita avait sa petite idée sur l'appui qu'il avait pu recevoir, et dès qu'Éric aurait averti le patron, lui aussi saurait où chercher. C'est ce qui la rassura quand elle commença sa traque.

***

Darius écrasa le combiné du téléphone avant de se ruer dans la salle de réunion où Jung s'entretenait avec deux personnes du service comptable. À la façon qu'il eut d'ouvrir la porte, l'assistant sut immédiatement que quelque chose de grave s'était passé ou était en train de se passer. Il eut d'abord une pensée pour Iseul Kang. Il s'inquiétait toujours de sa santé, même si elle le lui interdisait régulièrement.

Quand il sut de quoi il retournait, les émotions laissèrent place à la froide efficacité qui le caractérisait lorsqu'il travaillait.

— Il y a trois informaticiens dans les étages qui tentent de trouver le hacker, lui expliqua Darius dans l'ascenseur qui les menait au rez-de-chaussée.

— Rappelle-les.

— Quoi ?

— Il ne faut pas alerter cet enfoiré, si ça n'est pas déjà fait. Il faut réunir tout le monde dans l'auditorium pour une réunion d'urgence. Les bureaux doivent être vides. Les ordinateurs éteints. Pas d'exception. À l'entrée de l'auditorium, on prend tous les téléphones.

— Mais les employés ne voudront jamais se plier...

— Ils feront ce qu'on leur demande. Ils connaissent la procédure d'urgence.

— La procédure d'urgence ?

— Excuse-moi de ne pas en avoir parlé avant, mais nous avions d'autres priorités, et je pensais avoir du temps pour ça. Attends.

Jung prit un appel. Confirma le message qu'il venait d'envoyer, tout en cherchant quelque chose sur la tablette qu'il tenait à la main.

— Appelle Vivier. Dis-lui de mettre en place la procédure d'urgence. Il sait de quoi il retourne, dit Jung.

Darius s'exécuta, tandis que Jung envoyait plusieurs messages.

— Le bâtiment va être mis en isolement comme en cas d'attaque bactériologique, continua-t-il. C'est d'ailleurs ce que croiront la plupart des employés. Jusqu'à ce qu'ils comprennent qu'il se passe autre chose. Certains ont déjà vécu ça et s'en souviendront peut-être, fit-il quand Darius eut raccroché.

— Déjà ?

— C'était il y a plus d'une vingtaine d'année au siège de New-York, je crois. Alexander m'avait raconté ça comme une anecdote pour expliquer l'existence de cette procédure. Tiens, lis. C'est le protocole en place.

—J'appelle Magnus.

— Tu ne peux plus normalement.

Et en effet, Darius vit que son téléphone était inactif. Plus de réseau d'aucune sorte.

— Isolement, tu te souviens ? Mais nous allons dans le seul endroit où il est encore possible de communiquer.

Darius prit alors la tablette et se mit à parcourir le document que Jung y avait affiché : La procédure d'urgence.

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