III - Il s'éveille

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   Elle s'était réveillée. Elle sentait le sang. Elle devait se nourrir. 

   La Bête.

   Elle avait faim. Elle avait soif. Elle avait un besoin qui ne s'épanchait pas aussi facilement. Une sorte de trou sans fond au plus profond de son être, qui n'aspire qu'à avaler ce qui lui passerait à portée. Un puit de chaos et de vide, noir et profond comme la nuit. 

   Elle s'était réveillée et rien ne pourrait l'arrêter. La Bête fendit les ténèbres de la ville. Le Mal commençait à l'emplir. Elle le sentait. Elle en jouissait. Les milles odeurs de la ville, de la pestilence des cadavres aux corps chauds des hommes, la transcendait. Comme un animal, elle suivait une piste. Comme un animal, elle cherchait sa proie. 

   La fraîcheur nocturne éveilla chez elle des frissons de plaisir répétées. La lune se reflétait sur elle. La chasse s'ouvrait.

   Elle courut entre les rues, vides à cause du couvre feu. Ou à cause d'elle; parce qu'elle s'en était convaincu, les Hommes la craignait. Une peur instinctive. L'ordre naturel des choses, comme l'agneau craint le loup, ou le ver le rapace. 

   Rien ne l'arrêterait. Pas cette nuit. Cette nuit était belle et parfaite. Elle foulait le sol de plus en plus vite, de plus en plus excitée par le sang. La chair. Le trou qu'elle devait remplir. Sa faim, sa soif ne s'épancheraient pas aussi facilment.

   Les maisons, les rues, continuaient de s'aligner les unes derrière les autres, un peu disposées à la manière de pièces sur un échiquier. Ce soir l'un des pions tombera.

   De chaque maison s'échappait un rai de lumière, un signe de vie. A chaque fois, la bête passait son chemin. Non pas qu'elle ait peur, mais elle devait choisir. Elle était le chasseur. Autant prendre le faisan plutôt que le pigeon.

   Le chasseur. Voilà ce que la Bête était.

  Et toute la ville était sa proie. Sa proie personnelle. Rien ne l'arrêterait. Elle dominait parfaitement son terrain. 

 Elle finit par s'arrêter devant une maison. Son faisan. Son or. Elle passa sa langue sur ses crocs. Elle renifla l'air.  Elle acéra ses griffes.  Une belle nuit c'était sûr.

   La bâtisse devant elle était composée de trois étages. La Bête trouverait sa proie au dernier. Là où l'on rangeait la plèbe. Ceux qui nous faisaient honte. Ceux des pauvres qui n'étaient pas encore assez ruinés pour passer à la rue. 

   Une proie facile mais de qualité. 

   Elle entreprit de grimper au mur, trouvant les prises par instinct, se balançant avec grâce le long du mur. Elle arriva enfin sur le toit, dont les tuiles étaient à moitié démises. Glissantes. Mais pas dangereuses. Elle respira à plein poumons. La vie était sous ses pieds. De la vie. De la nourriture. Du pareil au même. 

   Elle perçut un mouvement sous elle. On l'avait sentie. Elle devint encore plus excitée. La Bête sentait leur peur. Elle aimait ça. 

   La Bête prit le temps d'apprécier l'instant. Puis en un éclair elle fracassa le toit dans un bruit de tonnerre, et tomba dans la petite pièce qui servait de chambre à une famille. Le père prit ses enfants et sa femme derrière lui, dans un acte de défense. Il n'était armé que d'une fourche émoussée. La Bête s'approcha lentement, au bord de l'extase. Elle bavait et sa salive se répandait au sol. Il se pouvait même qu'elle ait une érection. Elle n'en était pas sûre.

   La Bête se saisit de la fourche et la fit tourner d'un brusque mouvement, envoyant valser le père aux travers de la pièce. Le reste de la famille hurla, de peur ou de compassion pour l'homme, mais leurs voix s'étouffèrent lorsque la Bête se mit à les fixer. 

De Chair et De SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant