V - In Tenebris

259 17 10
                                    

La nuit recouvrait tout à présent. Les ténèbres avaient lentement dévoré le Monde entier, versant son voile sur les Hommes, cachant la laideur de cette humanité entre ses sombres crocs, déroulant ses longs bras autour de ses proies.

La chaleur transcendait la nuit au travers de son corps, nu, brillant de milles éclats de sueur, perlant de chaque pore de sa peau. La terre sous elle se faisait brûlante. Elle sentait chaque arbre, chaque feuille, chaque brindille comme autant de vie s'agitant autour d'elle, chaque mouvement, chaque souffle comme une réalité.

Près d'elle se tenaient ses sœurs, cachées sous le manteau de la nuit tout comme elle, voilées par leurs masques cérémoniels, déformants leurs traits, réduisant leur visage à une écorce de bois lisse d'où brillait des yeux avides, noirs comme la nuit, éclatants comme l'aube du jour. Leurs mains, comme des serres décharnés se liaient dans l'obscurité profonde, et en un cercle elles se tenaient autour d'elle, se renfermant autour de son enveloppe charnel, de son corps et de son âme.

Les ténèbres flottaient autour d'elles, enfermant chaque bruit au silence, chaque couleur au souvenir d'un passé révolu, car dans ces ténèbres naîtraient l'avenir, un avenir de chairs et de sang.

Sa sueur descendait le long de ses courbes, s'écoulant lentement, brisant l'obscurité, pour tomber au sol, brisant le silence.

Et la lune au-dessus d'eux se découvrit, pleine et ronde, semblable à un oeil unique veillant sur elles toutes.

Et soudain elle réalisa.

Sa vision s'éclaircit comme Ève après avoir croqué la pomme.

Et tout comme à Ève, la vérité lui parut. Horrible. Grandiose. Merveilleuse.

Ses yeux se révulsèrent, ne laissant plus que le blanc de ses yeux transparettre, semblable à la grande Lune qui les épiait et qui découvrait sa nudité dans une clarté aveuglante, sa faiblesse dans un éclair de lumière.

Son corps allongé s'agitait de spasmes sous le regard de ses soeurs, et ses dents claquaient dans l'obscurité, rompant le calme religieux de la scène. Et si ce n'était le bruissement des feuilles dans le vent, aucun autre son ne se faisait entendre, comme si toute vie avait cessé et retenait désormais son souffle dans une attente pesante.

Puis plus rien.

Le silence à nouveau.

Quand soudain un cri inhumain déchira la nuit, transcendant chacune des personnes présentes, et toute la Création frémit.

Et une des sœurs s'avança vers elle, brisant le cercle, lentement, chacun de ses pas marqués par l'hésitation. Mais nul peur ne se lisait dans ses yeux, où luisait une excitation malsaine.

Elle s'arrêta devant le corps de cette Ève post-moderne. Et elle contempla son corps adolescent, d'une douce pâleur, marqué par la vie paysanne.

Et elle même retira sa tunique, révélant à la lumière des astres sa peau rêche et sèche, ses formes tombantes et flasques, sa laideur acquise au cours d'une vie de pêchés éternels.

Et elle se retourna pour faire face au grand astre suspendu dans le ciel, quand un feulement rauque s'échappa de sa gorge, avant qu'elle ne fasse tomber rageusement son masque au sol. Et dans un même mouvement toutes les sœurs firent de même, leurs visages marqués dans la haine, leurs yeux rougeoyant de colère.

Et toutes lièrent leurs mains au-dessus d'elles, dans la lumière céleste, divine dans cette nuit de sombre beauté.

Et leur sœur, nue devant elles toutes, et la plus repoussante d'entre tous, entonna son chant, rythmé par l'hystérie qui les prenait et les tordait entre ses griffes:

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Jun 25, 2015 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

De Chair et De SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant