CHAPITRE 4 | MAY-LEE

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May-Lee, 14 ans

FLASHBACK
Six ans plus tôt

Tout le monde attend la nouvelle année avec impatience.

Pas moi.

Cette année a été épouvantable. En fait, elle a été similaire aux précédentes : vide, insignifiante, ennuyeuse. La même routine, les mêmes visages, les mêmes problèmes.

Des résolutions ? Un verre de champagne ? Des promesses ?

C'est bien drôle, mais ça ne sert à rien, à part perdre notre temps. À minuit pile, heure à laquelle fuseront les « bonne année, bonne santé », tout restera identique. Oui, rien n'aura changé, excepté ces pauvres chiffres qui nous servent de repère spatiotemporel. Rien d'autre.

— Tu m'écoutes ? s'exaspère Troy en me donnant un coup à l'épaule.

— Non.

Je suis installée sur le rebord de la fenêtre, mes orteils se font lécher par la brise hivernale. Je les agite et lève le nez vers le ciel étoilé. Le ciel comme le vide sous moi m'attire dangereusement. J'enfile son gros sweat noir, l'air de rien, alors qu'il soupire d'agacement.

— Espèce de chieuse.

Un sourire apparaît sur ses lèvres et je plaque mon dos contre l'encadrement extérieur de la fenêtre. Je ferme les yeux et me laisse bercer par les sons de la nature, à moitié couverts par les discussions et la musique bruyante que fait passer notre famille dans le salon de Troy. Comme chaque année, mes parents et moi sommes invités chez Troy, mon cousin. Toute la famille du côté de ma mère se réunit, mais nous préférons nous réfugier dans sa chambre. C'est aussi une façon pour moi de ne pas voir le visage terrifiant de ma génitrice. Ce n'est que lors de ces moments conviviaux, quand nous sommes entourés, qu'elle ne prête pas attention à moi et que je ne risque rien. Alors, Troy reste avec moi dans sa piaule où nous nous chamaillons. Avec nos deux ans d'écart, je le considère comme le grand frère que je n'ai jamais eu, même si on n'arrive plus à se supporter après avoir passé des heures ensemble. Notre complicité est si forte qu'elle peut vite tourner au désastre. Aujourd'hui, il est particulièrement étrange. Il ne reste pas assis sur son lit, il ne discute pas beaucoup et ça me met de mauvaise humeur.

Épuisée par ma nuit blanche, je place ma capuche sur ma tête et bâille à m'en décrocher la mâchoire. Ça fait bientôt trente heures que je suis réveillée, j'ai l'impression d'être un zombie. Un raclement de gorge perce mes pensées et je tourne la tête vers mon cousin qui détaille ma tenue d'un œil critique.

— Quoi ? craché-je en le fusillant du regard alors je sais que c'est parce que j'ai enfilé son sweat.

Il lève les mains en signe de paix avant de les passer dans ses cheveux d'une couleur aussi sombre que ses yeux. Je lance un rapide coup d'œil à mes jambes nues. Je hais cette robe blanche. Elle me couvre tout le corps. Je ne sais pas encore si je ressemble plus à une mariée forcée ou à la dame blanche. Elle me dissimule, me voile, comme si la vraie moi n'existait pas. Ses manches longues, sa dentelle et sa longueur me rendent malade. Je croise mes bras sur mon torse, boudeuse.

— Je n'ai jamais voulu porter cette robe alors autant la cacher, lui dis-je alors comme si je devais me justifier.

— C'est la même que l'année dernière, pourtant.

Troy lâche un petit rire avant de reprendre la parole :

— Si ta mère te voyait, elle te ferait la morale du siècle, mocheté.

— Je sais.

Si ma génitrice avait le malheur de me retrouver dans un tel accoutrement, elle n'hésiterait pas à le prendre comme une provocation et elle me le ferait payer. Elle a toujours voulu me voir déguisée en sainte-nitouche. Et j'ai toujours maudit ces merdes. La façon dont elle me transforme en une autre May-Lee, sage et éduquée, me rend malade à chaque fois. Comme si celle que j'étais ne lui suffisait pas. Comme si je la répugnais au plus haut point. Et je crois bien que c'est pour ça que je ne me suis jamais opposé à ses demandes.

Remember Us [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Where stories live. Discover now