Chroniques

Le nouveau monde.

Un voile blanc flottait dans le ciel, porté par mon agonie, mon dernier souffle. Il précédait la chute de mes cieux. Barré de cicatrices d'où s'échappaient des volutes rougeâtres, la voûte du monde s'effondra dès lors que sa clé fut broyée. S'affaissant par pans entiers, suivant le voile comme un bateau cherchant la sécurité du port. Le ciel chutait. Il tombait de lui-même, de toute sa hauteur, de toute sa splendeur, bafoué par la teinte rouge des balafres. Les nuages ne suffirent pas à bander ses plaies. Emportant dans les abysses le monde que j'ai bâti, rien ne semblait pouvoir stopper cette descente infernale.La terre ployait sous le choc léger du pays rêves, s'écrasant sans ménagements sur la réalité la plus pure. Tout était rouge, tout coulait, solidité et liquidité se mélangeaient dans la disharmonie totale, s'enroulant l'un autour de l'autre comme deux amants avortés avant de voler en éclats. J'étais la clé de voûte de ce monde, j'ai lâché prise et je l'ai regardé sombrer. Je pouvais entendre les cris des âmes prises au piège de la catastrophe. Des innocents condamnés à subir la peine capitale par ma fragilité, je n'étais pas prêt à subir le choc. Je faisais de mon mieux c'est alors qu'elle apparu, destructrice, impitoyable. Une fissure dans mon sang, se propageant à une vitesse alarmante sur toute ma surface.

Digne et droit, je regardais ma responsabilité s'effondrer. Et c'est à cet instant que je me suis souvenu pourquoi je m'étais changé en pierre. Habité par une pulsation tragique qui me poussait à me détruire, j'ai alors essayé de la contenir en vain, et voilà le résultat. J'étais aveuglé par son silence, je pensais maîtriser la flamme à tord, elle n'attendait qu'un bruissement pour revenir à la vie. Elle qui fut enterrée pendant si longtemps. Une goutte avant tout, c'est tout ce qu'il y a fallu, puis l'appel se fit et la goutte devint filet, puis rivière, puis torrent jusqu'à ne plus être que l'hémorragie immonde qui ouvrit la faille. Je me regardais sombrer, s'abattre sur moi tout l'espoir et le bonheur qui me faisait lever les yeux. Je tomba à genoux. Las. Est-ce ainsi que tout finirait ? Je sentais au plus profond de mon être le raz-de-marée sanguinaire me noyant par les cieux. Ce liquide poisseux et sale profitant de chaque ouverture pour s'immiscer en moi, d'où il n'aurait jamais dû sortir.

Par delà la déchirure, le néant. Je ne me sentais pas prêt à le rejoindre, ce n'était pas mon heure et pourtant je gisais là, déchiré, suffocant, à l'agonie. Je voyais le néant s'approcher, s'ouvrir à moi dans un nihilisme total où tout serait plus simple. Je sentais sous moi les débris du monde continuer leur chute et je me sentais attiré par la traînée morbide qu'ils laissaient derrière eux. Je ne pouvais pas céder à nouveau. Brisé, je ne pouvais me tenir ne serait-ce qu'assis, qu'importe. En ai-je vraiment besoin ? Le temps soigne tout et il refermera même ces injures, et ce jour là, je serai prêt à nouveau à me tenir droit, et fort. Faisant face au nouveau monde que je créerai, sur lequel je veillerai jusqu'au prochain effondrement. Sur le creuset mortel d'un fantôme je rebâtirai ce qui fut détruit.

Combien de temps ai-je abandonné ? Suis-je prêt à me relever ? Je l'espère. Prenant une profonde inspiration j'ouvre les yeux sur un monde nouveau, vierge. Des plaines, des océans et des désert précédant des forêts et des montagnes, la fraîcheur et le parfum de la vie avaient enfin remplacé l'odeur âcre de la décrépitude. Au fur et à mesure que je regardais ce nouvel horizon, les raisons de mon écroulement passé s'effacèrent. Comme toujours le temps avait fait son œuvre. Peu importe ce que tu es ou ce que tu as été, tu m'as fait tomber. Mais la mort est une vieille amie, levant les bras vers le néant, je fermais les cieux pour ne plus jamais les ouvrir. En autarcie dans mon monde, je serai dorénavant intouchable et fort. Tu n'y aura plus ta place, la liste des bannis formant un panthéon maudit de cultes abrogés.

Et à l'intérieur, j'entends encore un battement, une percussion, le cœur du monde lové dans la roche .