Le trottoir

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    C'était un trottoir simple, fréquenté comme un autre. Pas d'hommage, pas d'honneur, pas d'attention particulière. L'on y passait comme si l'on n'y passait pas. Cet homme, par exemple, rentre chez lui. Sa veste est propre et ses doigts semblent avoir été lavés plus que de raison. Il sent bon, ou du moins, il sent propre. Rien n'indique la moindre moisissure ou le moindre manquement à l'hygiène la plus élémentaire. La moindre dépression : tout va bien pour cet homme à qui son travail plaît ; ces moments de labeur qui stimulent sa volonté, comme ces pauses routinières à la machine à café, pendant lesquelles les ragots innocents vont bon train, pendant lesquelles parfois même il se permet quelque plaisanterie un peu cochonne. Tout va bien : sa femme l'aime et il aime cette femme ni plus ni moins ambitieuse que lui, cette femme qu'il a connue dans un éclat de rire et qui lui a donné, depuis, deux beaux enfants qui poussent.

    Cet homme n'est pas un héros. Il passe sur ce trottoir, pensant à quelques broutilles ; il ne voit pas les voitures qui défilent sur sa droite, il ne s'en soucie pas. Il a la prudence instinctive, sereine, de ceux qui ne craignent pas outre mesure un accident, un choc, une colonne démise et un aller sans retour pour la tombe. Il n'y pense pas, il a raison. Il rentrera chez lui dans quelques minutes, pas davantage. Au fond, le seul ennui réellement significatif, c'est que son existence, son être-là, reste conditionné par ces quelques mots que je trace pour lutter contre ma paresse.

    Cette vie, cette femme, ce travail, tout ça, meurent maintenant.

14 fév. 2012.

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