20 mars 1915

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Mon cher mari bien aimé,

C'est un grand bonheur que d'avoir pu te voir deux fois en un mois. Je me dis que cela doit me donner du courage car je n'en ai pas beaucoup quand je te vois repartir au front. Tu espères aller aux Dardanelles comme beaucoup d'autres ; mais c'est si loin et cela sera-t-il moins dangereux ?

Je t'envoie un mandat télégraphie de 40 F comme tu me l'as demandé et je suis bien triste de savoir que ta sœur et ton père ne veulent plus te parler à cause de cette entente entre ta sœur et  ton père sur la reprise de l'exploitation. Pour mon héritage, je vais mettre ça dans les mains d'un notaire comme tu me le conseilles. Jamais je n'aurais cru que ma petite sœur Jeanne Sophie qui n'a que 16 ans nous ferait une chose pareille, de s'amouracher sitôt arrivée à Paris, de partir et de nous réclamer sa part de l'héritage de notre pauvre père. On dirait qu'ils profitent de la guerre. Maman est allée voir les gendarmes pour qu'ils retrouvent Jeanne Sophie et la ramène.

On a eu quand même une bonne nouvelle, l'oncle Joseph de St Paul a été démobilisé à cause de ses varices, mais l'oncle Théodore reste dans les services auxilliaires. C'est ma cousine Jeanne qui a toute la charge de la maison et de ses 4 frères depuis que son frère Noël Hector est parti. Quand même un veuf qui aura 47 ans cette année et  avec une grande famille ! Et les jeunes partent dès qu'ils atteignent leurs 20 ans. C'est monstrueux ces familles où le père et les enfants sont au front, alors qu'il y en a d'autres où le père et le fils son encore là, comme chez mon cousin Laurent Cattelin où le père, trop vieux, et le fils, trop jeune, sont encore là ; les filles, mes petites cousines ont pourtant juste mon âge. Ou chez son beau-frère Vuillet, père et fils réformés.

J'ai bien du cafard même s'il ne faudrait pas. Je termine en t'embrassant tendrement. Ta femme Joséphine.


De Joséphine à CélestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant