Episode 14 : Sans prévenir

41.8K 2.9K 1.4K
                                    

Premier étage, deuxième étage, troisième, quatrième...

– Un commentaire à faire peut-être ? Exprime-toi, je sais que ça te démange.

Je tourne un regard médusé sur Yannick. De quoi il me parle ? J'ai décroché. Depuis qu'on s'est retrouvés dans le quartier, je l'entends raconter sa vie, mais je n'écoute rien. Je suis complètement ailleurs.
Sixième étage. Les portes de l'ascenseur coulissent et je glisse une réponse passe-partout presque au même instant :

– J'ai rien à dire.
– Vraiment ? C'est surprenant, mais je vais pas m'en plaindre.

On traverse le corridor quand le souvenir du sujet de discussion me revient subitement comme un diable qui sort de sa boîte... Evidemment. J'aurais dû y penser plus tôt.

– Pour être honnête avec toi, je savais qu'elle allait m'appeler au secours tôt ou tard. Morale de l'histoire : ne repousse pas du pied la pirogue qui t'a déposée sur la berge.

Il me brasse avec sa Candice. J'ai pas suivi l'histoire, mais ça sent l'attrape-pigeon à plein nez. Comme d'habitude. Mon silence l'indique : je suis pas d'humeur à écouter les aventures de Yannick et la Mère Michto. Mais bon, je ne désespère pas, un jour il reprendra peut-être possession de ses couilles.

On arrive devant la porte, je presse le bouton de la sonnette... et celui qui se tient à côté de moi m'arrache une nouvelle fois de mes pensées :

– Ca fait longtemps que j'ai pas vu ta mère.

J'acquiesce, le regard lointain.

– Ca fait un moment, oui...

Ma mère prend toujours minimum 100 ans pour ouvrir. J'avance ma main pour sonner une nouvelle fois, mais la porte s'ouvre brusquement sur elle, tout sourire. Sans un regard pour sa progéniture, elle tend joyeusement les bras vers Yann :

– Aïe, aïe, aïe, aïe, aïe que lindo ! (*qu'il est beau)
– Vous allez bien Madame Moreira ?
– Je te l'ai déjà dit, c'est Izia.

Alors qu'ils s'enlacent longuement, je me faufile à l'intérieur :

– Maman, il s'appelle Yannick, pas Quélindo.
– Tais-toi, imbécile.

Le rire puissant de Yannick éclate gaiement et ils mettent fin leur embrassade. Après l'avoir détaillé de la tête aux pieds, ma mère lisse la chemise impeccable de Yann et se tourne enfin vers moi :

– Cyril, pourquoi tu t'habilles pas plus souvent comme ça, hein ?

La question c'est plutôt « pourquoi ce négro est sapé comme un conférencier alors qu'on est là pour un atelier bricolage ? ». Agacé, je m'avance vers elle sans répondre, et je l'enlace à mon tour en esquivant son baiser sur mes lèvres. Pas devant les potes. Jamais.

– Asseyez-vous ! Je vais vous servir quelque chose à boire.
– Non maman, c'est pas la peine, on va attaquer direct.
– Ah bon ?
– Ouais, on va jeter l'ancien meuble et dès qu'on revient, on monte le nouveau.
– Mais buvez quelque chose avant, non ?
– Tout à l'heure.
– Bon...

Elle pose les mains sur les hanches et nous observe palabrer sur la meilleure façon de saisir l'objet. C'est qu'il est autant mastoc que vieillot ce truc, et la tenue de Yann est tellement ridicule que je suis obligé de le charrier entre deux.
On finit par se mettre d'accord et le gentleman autoproclamé qui me sert d'ami décide de faire tomber la chemise. Il se retrouve en marcel blanc et il en a pas fallu davantage pour que ma mère y aille de son commentaire :

– Yannick, tu deviens trop musclé, je suis pas d'accord. Il faut y aller doucement.
– Haha ! Mais non, c'est rien ça. Il y a pire que moi.
– Hmmm... fais attention, ne gonfle pas trop les bras. Et pas de stéroïdes, sinon tu vas devenir un gros molosse avec une petite quequette.

Sandy KilosWhere stories live. Discover now