Chapitre 2

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Judith avait deux heures à tuer avant de prendre son vol vers Montpelliers. Il était encore trop tôt pour manger, Mais alle acheta un sandwich malgré tout. Elle ne savait pas ce qu'on lui servirait à bord, et elle ne voulait pas arriver affamée chez Vincent, afin de ne pas se jeter sur la nourriture. Il l'avait invitée à passer une semaine à Montpelliers, chez ses parents. C'était les présentations officielles.

La jeune femme craignait un peu ce moment. Elle ne se sentait pas très sûre d'elle, pas assez investie dans cette relation. Pourtant, cela faisait un an qu'elle et Vincent étaient ensemble. Il connaissait bien Léo, ça se passait très bien entre eux. Vincent était adorable avec lui. Et elle ne pouvais pas lui demander d'attendre encore. Elle ne pouvait pas lui dire qu'il était trop tôt pour rencontrer ses parents. Trop tôt après un an, il l'aurait mal pris. Il aurait même souffert. Enfin peut être... Vincent ne montrait pas beaucoup ses sentiments. Il était solide en toute circonstance.

18h12. L'embarquement était à 19h05.

Dans l'aéroport, les gens se croisaient. Couraient, flânaient dans les magasins. Lisaient des revues, achetaient du parfum. Mangeaient, avalaient un café. Dormaient, parfois, assomés par le décalage horaire. Judith commençait à s'impatienter. Elle appela ses parents pour leur dire que le vol s'était bien passé. Elle les rappellerait, promis, lorsqu'elle serait arrivée à Montpelliers. A 28 ans, et bien qu'elle soit elle-même maman, ils la traitaient comme une ado. Elle se disait souvent qu'elle ne ferait pas pareil avec son fils, mais plus elle expérimentait son rôle de mère, plus elle se surprenait à reproduire les comportements parentaux qu'elle exécrait. Etait-ce le lot de tout parent ?

Elle appela également Vincent. Il ne répondit pas, cela l'arrangea. Elle lui laissa un message, lui rappelant l'heure d'arrivée de son vol, et lui disant qu'elle avait hâte de le voir. Elle se sentit coupable. Elle était contente, certes, lorsqu'elle était avec, mais il ne lui manquait pas lorsqu'il n'était pas là.
Il fallait qu'elle arrête de se poser des questions stupides. Il correspondait en tout point à l'idée qu'elle se faisait de l'homme idéal, le problème ne pouvait donc venir que d'elle. Il fallait qu'elle se détache un peu de son fils. C'était ça le problème : elle n'arrivait pas à se projeter dans cette relation car trop accaparée par Léo. C'était la raison pour laquelle elle ne l'avait pas emmené avec elle cette semaine. Pour se donner une chance avec Vincent. Pour se donner du temps, seule à seule avec lui. Cette semaine, c'était leur semaine en amoureux. Elle allait tenter de la vivre pleinement.

Regonflée à bloc par cette idée, elle sourit, et se plongea dans son livre pour attendre l'embarquement. Elle grignota son sandwich sans grande faim, mais après tout, il n'était plus très loin de 19h...

Curieusement, elle avait hâte de monter dans l'avion. Etait-ce la perspective de passer le vol au cockpit ? Ou celle, inavouable, de profiter encore une heure de la présence d'Alexandre ? A cette idée, Judith sourit. Elle avait été particulièrement tarte, lors du vol précédent. En même temps, la peur la paralysait totalement. Habituellement, elle était plutôt enjouée et toujours prête à rire, mais là, elle ne se reconnaissait plus. Seule son étourderie légendaire avait transpiré de la mièvre personne en laquelle elle s'était muée. Alexandre avait eu bien de la patience.

Elle se replongea dans son bouquin. Soudain, elle entendit : "Mademoiselle, vous avez perdu ça...". Elle leva la tête, et un vieux monsieur lui tendit son billet. Il avait certainement glissé de son sac.
L'homme lui dit : "Attention, c'est précieux ! Il faut faire attention à vos affaires !
- Si vous saviez, mon pauvre Monsieur, lui répondit Judith mi agacée- mi amusée, c'est mon quotidien depuis ma naissance : conserver plein de choses inutiles, ne jamais les égarer, et perdre tout ce qui est important. Le jour de passer mon permis de conduire, j'avais perdu ma carte d'identité... Je ne suis plus à un billet d'avion près... Mais je crois bien que vous venez de me sauver mes vacances... Alors merci... !
- Y'a pas de quoi, ma petite demoiselle !"
Et le vieil homme s'éloigna.
Judith se sentit flattée de s'être fait appeler "Mademoiselle". Il est vrai qu'elle avait conservé un visage juvénile. On lui donnait facilement la vingtaine, alors qu'elle en avait presque trente. Elle était plutôt jolie. Elle le savait, et ne s'embarrassait pas de tous les complexes féminins que les magazines s'acharnaient à relever. Oui, elle avait pris un peu de hanches depuis la naissance de Léo, mais après tout, quoi de plus féminin ? Oui, elle avait peut être trois ou quatre kilos de trop, mais était-elle vraiment prête à se priver de manger pour les perdre ? Elle aimait trop la bonne chère pour ça ! Par ailleurs, ses yeux verts et sa folle chevelure bouclée, ainsi que son naturel étaient ses atouts charme. Peu sophistiquée, un rien l'embellissait. Elle n'en jouait pas, et prenait ça plutôt comme un cadeau de la vie. Comme disait souvent sa mère : "On démarre avec plus de chances dans l'existence quand on a un physique avantageux". Ce n'était pas tout à fait faux, bien que Judith ne fût pas pleinement en accord avec elle. La personnalité était pour elle un facteur bien plus important. Mais elle se lançait rarement dans une polémique qu'elle savait stérile, et répondait toujours par l'affirmative à sa mère. Question de tranquillité.

On appela enfin pour l'embarquement de son vol. Curieusement, Judith n'avait pas peur. Elle ne quittait personne ici, sauf son ennui, et elle s'apprêtait à retrouver un compagnon de voyage fort sympathique. Elle en trépignait presque d'impatience. C'était bien la première fois qu'elle était heureuse de monter à bord.

Pour la deuxième fois de la journée, elle passa les portes de l'avion, tendit son billet - retrouvé - à l'hotesse de l'air, et alla s'asseoir à sa place. Elle n'avait pas vu Alexandre, il était certainement déjà à son poste. Un peu déçue, elle s'était imaginée qu'il l'attendrait à l'entrée de l'avion. Mais non. Elle entreprit de mettre sa valise dans le compartiment à bagages, ce fut, une fois de plus, périlleux. Et cette fois-ci, personne ne vint l'aider. Elle s'assit, et éteignit son portable. L'avion se remplissait petit à petit. Enfin, la file des voyageurs dans l'allée principale se résorba. Judith se fit une raison, elle passerait son vol à sa place, coincée entre un ado boutonneux, et un homme d'affaire, visiblement peu soucieux des consignes de sécurité, puisqu'il continuait à pianoter sur son smartphone.
Soudain, une jeune et jolie hotesse, un bibi bleu marine sur la tête, se planta devant Judith.
"Mademoiselle Duval ?" demanda-t-elle.
- Oui ? répondit Judith, le coeur bondissant dans sa poitrine.
- Veuillez me suivre, je vous prie. Vous avez un bagage à main ?"
A deux, elle réussirent à tirer la valisette, une fois de plus, récalcitrante.
Un fois son bagage recasé ailleurs, l'hotesse dit à la jeune femme : je vous emmène dans le cockpit.

Alexandre l'y attendait, souriant comme toujours.
"Voilà la plus jolie ! Comment ça va ? Tiens, assieds toi là !" fit-il en lui désignant un strapontin prévu pour les "passagers clandestins", comme il les appelait. L'hotesse l'aida à s'installer. C'était moins confortable que dans un fauteil classique, mais pour rien au monde elle n'aurait échangé sa place.
Alexandre poursuivit : "On se tutoie, hein ! C'est la règle au cockpit. Je te présente Jean-Pierre, le meilleur commandant de bord de la planète !"
Le pilote lui tendit la main pour la saluer. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, à l'air sage et aux tempes grisonnantes. Il paraîssait sympathique.
"Bon, on va devoir se concentrer un peu au décollage, parce que je m'en voudrais de planter l'avion, surtout que tu es dedans, mais après, on pourra reprendre notre passionnante conversation, est-ce que ça te va, Judith ?
- Je crois que je n'ai pas le choix, à vrai dire, plaisanta-t-elle. Et comme je tiens à ma vie...
- Bon, souviens toi : douze secondes pour décoller, ce ne sera pas long. Tu vas pouvoir tenir douze seconde sans moi ?
La jeune femme sourit.
- Je viens de tenir deux heures, donc ça devrait aller !"
Alexandre lui fit un clin d'oeil et se concentra sur les commandes de l'appareil.

Embarquement immédiatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant