Chapitre 1, la suite

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Judith se détendit et passa la fin du vol à discuter à bâtons rompus avec Alexandre.
Elle parla de son fils Léopold. De son ex-compagnon, Thierry, qui était parti travailler à New York. De leur relation qui n'avait pas survécu. De leur amitié préservée malgré tout. Du bon père qu'il était. De la distance difficile à gérer.
Elle passa sous silence Vincent, non nouveau petit ami. Elle s'en voulut un peu, mais n'assumait pas encore vraiment, n'arrivait pas à se sentir pleinement investie dans cette nouvelle relation. Enfin nouvelle... elle datait depuis déjà une année. Mais elle avait à la fois l'impression de trahir le père de son fils auquel elle demeurait très attachée, et son fils lui même. Et à l'instant présent, elle ne pouvait s'empêcher de  comparer Vincent à Alexandre.
Son voisin n'était pas d'une beauté absolue. Mais il débordait de charme. Grand, brun, sympathique et avenant, très souriant, il avait de grands yeux bleus rieurs. Sa chevelure bouclée auréolant sa tête, lui donnait l'air d'un artiste. Tout l'opposé de l'image que se faisait Judith d'un pilote de ligne.
Et tout le contraire de Vincent. Blond, grand, l'allure fière, d'une beauté froide, il renvoyait l'image d'une personne très sûre d'elle. Une épaule solide, un homme raisonnable, posé. Il était rassurant. Il lui manquait peut être cette pointe de folie qui faisait rêver Judith. Mais était-ce ce dont elle avait besoin réellement ? N'était-elle pas en attente de stabilité, après ses récents déboires sentimentaux ?

Quoi qu'il en soit, elle n'évoqua pas son existence. Elle mit cet oubli sur le compte d'une vague coquetterie féminine. Sans doute un besoin de séduire, même si l'on sait qu'on ne franchira pas le pas, juste pour se rassurer, pour l'estime de soi.

Alexandre fut de compagnie agréable. Il plaisanta. Parla un peu de lui. Passionné d'aviation, il était parti dans la vie pour épouser une toute autre carrière. Il avait fait des études d'histoire. Mais la mort prématurée de ses parents fut pour lui un électrochoc. Il saisit d'un coup toute l'urgence qu'il y avait à vivre ses rêves. Il travailla jour et nuit pour obtenir son brevet de pilote. D'abord comme amateur, il fit tout ce qui était en son pouvoir pour passer pilote de ligne professionnel. Il passa les concours pour entrer dans les compagnies les plus prestigieuses. Et y parvint. Depuis deux ans maintenant, il était copilote pour Air Corsica, une filiale d'Air France. "Membre de Skyteam", pouvait-on lire sur les documents distribués à bord. Il n'était pas encore arrivé au bout de ses ambitions. Il visait la plus haute marche : devenir un jour commandant de bord.
Tout à ses rêves, il n'avait pas pris le temps de vivre à côté. Il enchaînait périodes de célibat et relations sans lendemain. Il n'en souffrait pas, ne faisait souffrir personne, ne promettait rien à personne. Ses priorités étaient ailleurs. Mais à trente-six ans, il avoua à Judith qu'il songeait désormais à s'engager dans une relation plus stable. Restait à trouver la bonne personne. Il approchait de son but professionnel, il était temps de se consacrer à sa vie personnelle. Il rêvait d'enfants et de bras aimants, sous le soleil de sa Corse natale.
Judith fut touchée par ses avoeux.

"Je suis sûre que vous allez trouver chaussure à votre pied, Alexandre ! lui dit-elle pour l'encourager
- Mmmmhhh... Si vous me laissez votre numéro de téléphone, c'est possible, lui dit-il avec un clin d'oeil taquin.
Judith se sentit rougir, mais ne voulut pas se laisser démonter. Elle poursuivit sur le ton de la plaisanterie.
- Pourquoi, vous comptez sur moi pour vous présenter mes copines ?
- Pas tout à fait, non... Mais... on aura l'occasion d'en reparler tout à l'heure, on a encore une autre heure de vol à passer ensemble...
- Oui, enfin ensemble... pas exactement. Vous serez aux commandes, et moi parmi les passagers. Je vous aurais bien envoyé des textos, mais les téléphones doivent être éteints en vol...
- Judith, maintenant que je vous connais, vous ne pourrez plus vous débarrasser de moi, voyons ! Je vais devenir votre pire cauchemar ! Hors de question que vous restiez avec votre trouille de l'avion parmi des passagers totalement incapables de vous rassurer ! Non. Vous viendrez avec moi au cockpit. Vol VIP, ça vous dit ? On a beaucoup moins peur lorsqu'on voit les commandes, je vous assure, dit-il pour tenter de la convaincre.
- Pourquoi pas. Ca me fera plaisir de voir votre environnement de travail. Et puis comme ça, j'aurais mon coach de vol perso à disposition !
- Vous verrez, vous ne le regretterez pas. C'est fabuleux lorsque l'on est aux premières loges. Bon, maintenant, préparez vous, on amorce la descente. Dans vingt minutes, nous aurons atterri."
Judith se crispa. Elle avait réussi à oublier sa peur en vol, mais l'imminence de l'atterrissage faisait resurgir son stress.
Alexandre le sentit et se fit rassurant dans ses paroles.
"Pas de panique, tout va bien se passer. Je suis là. Je sais voler, moi !" Il la regarda, et posa sa main sur son avant-bras, d'un geste protecteur.
Judith ne chercha pas à s'y soustraire. Elle en avait besoin en ce moment précis. Elle leva sur lui un regard chargé de reconnaissance. Il la sentit plus détendue.

Le commandant de bord fit une annonce, délivra la température au sol, les conditions météo. L'avion descendait doucement. De nouvelles secousses, encore la couche de nuage... Judith ne put s'empêcher de fermer les yeux, mais elle garda contenance.
Elle apercevait par le hublot les lumières de Paris, déjà allumées sous un soleil déclinant. L'aéroport d'Orly était proche. Les pistes d'atterrissage étaient désormais clairement visibles. L'avion se rapprochait du sol. Judith distinguait même des lapins courant sur les pelouses alentoures. Et dans un bruit assourdissant, l'avion se posa. Un peu brusquement. Une dernière secousse, et la jeune femme sentit l'engin se freiner, se freiner, se freiner comme on retient par la bride un cheval lancé au grand galop.

Enfin le silence se fit. Les lumières au dessus des rangées de fauteuils indiquaient toujours aux passager l'interdiction de détacher leurs ceintures. Alexandre avait gardé sa main posée sur l'avant bras de Judith. Elle ne s'était même pas aperçue que de son autre main, elle lui avait planté ses ongles dans la chaire. Elle avait juste consciente d'être vivante. Son stress retombait enfin. Le vol suivant vers Montpellier n'était encore dans sa tête qu'une lointaine réalité...

Embarquement immédiatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant