Chapitre 1

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Judith monta dans l'avion le coeur lourd. Elle venait de passer une merveilleuse semaine de vacances avec ses parents et son fils. Tout était passé si vite... La magie de Noël, la joie de Léo, les repas en famille... Tout cela allait terriblement lui manquer.

Elle regarda une dernière fois le tarmac. De loin, derrière les vitres qui jouxtaient celles de la salle d'embarquement, elle voyait son bonhomme qui lui faisait signe, du haut de ses trois ans. Le petit aéroport de Bastia permettait ce genre d'adieux à rallonge qui lui vrillaient le coeur.
Elle se mit une claque mentalement. "Lui vriller le coeur", des "adieux". Mais bon sang ! Elle partait pour une semaine de vacances avec son petit ami, elle aurait du être pleinement heureuse !

Plus d'enfant, plus de contrainte. Une semaine en amoureux... que demander de mieux ?

Elle mit cette mélancolie sur le compte de son voyage en avion. C'est vrai qu'elle détestait ce genre d'engin. Rien ne l'agaçait plus que lorsqu'on lui disait que c'est le moyen de transport le plus sûr qui soit. Certes, les risques de voir son avion se crasher sont infimes comparés aux risques d'être impliqué dans un accident de voiture, mais avec sa chance légendaire, les probabilités ne joueraient pas en sa faveur. Et il fallait bien le dire, elle avait beaucoup moins de chance de réchapper d'un crash aérien que d'un accident de voiture. Jusqu'à preuve du contraire, elle ne savait pas encore voler...
Elle avança donc sur la passerelle d'un pas hésitant, telle une condamnée vers l'échafaud. C'était certain, elle ne reverrait plus ni son fils ni ses parents. Elle venait de leur dire adieu. La perspective d'une semaine de vacances n'arrivait pas à lui redonner le sourire. Et c'est les yeux pleins de larmes qu'elle tendit son billet à l'hotesse de l'air...

Siège 14B. Elle avança jusqu'à la rangée 14, et tenta de ranger son bagage à main dans le compartiment prévu à cet effet. Qu'avait-elle pu bien mettre dedans pour que la valisette soit si lourde et si volumineuse ? Transpirante et rougissante, soufflant comme un boeuf asthmatique, elle portait son bagage à bout de bras, bloquant tous les passagers qui tentaient d'accéder aux rangées au delà de la sienne. Tout d'un coup, elle sentit sa valise se faire plus légère. Quelqu'un avait enfin la gentillesse de lui donner un coup de main.

"Voilà ! C'est fait !"
Un homme souriant se tenait derrière elle.
"Merci beaucoup, Monsieur, s'entendit répondre Judith, rouge de stress.
- Mais il n'y a pas de quoi ! Ainsi, tout le monde va pouvoir aller s'asseoir !" répliqua-t-il sur le ton de l'humour.
Judith réalisa qu'elle bloquait une dizaine de personnes, et se précipita sur son siège afin de libérer le passage.
"Oh, excusez-moi !"
Elle enfonça le nez dans son sac à main, afin de se faire oublier, et fit mine de chercher quelque chose. Le voyage démarrait mal.
L'homme qui l'avait aidée s'assit à côté d'elle. Judith le regarda l'air désespéré. Elle aurait tant aimé passer inaperçue... Et il fallait que ce soit précisément  l'homme qui lui avait fait une remarque, qui hérite de la place voisine de la sienne... Elle replongea sa tête au fond de son sac, à la recherche de son portable... quand celui-ci se mit à sonner. Fort maheureusement pour elle, la musique ne provenait pas du sac à mains, mais de la valise. Celle-là même qui était à présent dans le compartiment à bagages au dessus de sa tête...
Elle tourna à nouveau son regard vers l'homme. Elle était assise au milieu, et lui, côté allée. Elle allait devoir le déranger à nouveau. Il la regarda et prit un air sévère :
"Vous ne seriez pas un peu étourdie, par hasard ?"
Judit était trop stressée pour faire preuve de répartie. Elle balbutia un vague "euh... si, un peu..."
Ce qu'elle était vraiment. Un peu étourdie était même un doux euphémisme traduisant une réalité bien au delà de ce que son voisin pouvait imaginer.
Celui-ci se pencha vers elle et lui dit, un ton plus bas : "on va attendre que les passagers aient pris leur place, et je vous aiderai à récupérer votre portable. Vous êtes au courant que vous devez l'éteindre, dans l'avion ?"
Judith baissa les yeux, lasse, avide de tranquillité.
"Oui, mais j'ai oublié".
L'homme lui fit une nouvelle fois les gros yeux, puis finit par les lever au ciel, l'air amusé. Il se plongea dans le magazine de la compagnie, laissé dans le porte-revue devant lui. Judith, elle, consulta les consignes de sécurité. Et s'aperçut, sur le plan de l'avion, qu'il n'y avait pas de rangée "13". On passait de la rangée "12" à la rangée "14". Soit, en réalité, la rangée "13". Non pas qu'elle soit superstitieuse, mais lorsque l'on remettait sa vie entre les mains d'un pilote d'avion, n'ayant d'autre solution, en cas de crash, que d'invoquer le bon dieu, il était de bon ton de prendre toutes les précautions qui s'imposaient. Et donc d'éviter de s'asseoir à une place qui porte-malheur.
Elle pensa à son fils, à ses parents. A leurs adieux quelques minutes plus tôt. Les larmes lui montère à nouveau aux yeux. Mais elle ne pouvaient décemment pas demander à l'hotesse de l'air de la changer de place pour cause de... de peur ? de superstition ? Non, elle mourrait peut-être, mais elle avait sa fierté. Ce sentiment d'impuissance face à une situation si critique, la plongea dans un désespoir encore plus profond.

Son voisin se tourna alors vers elle : "Je crois qu'il est temps de récupérer votre portable, le passage est dégagé... "
Il joignit le geste à la parole, et se leva pour descendre le bagage de Judith. Croisant son regard, il s'arrêta soudain.
"Tout va bien ? Vous avez les yeux tout rouges..."
Judith tenta de retrouver une contenance.
"Hum, oui, euh... non... Enfin juste un petit peu de stress. En fait, je suis un peu... j'ai un peu peur de prendre l'avion... je, je..."
De plus en plus stressée, elle ne put retenir une larme qui roula le long de sa joue.
Déposant la valise de Judith à côté d'elle, l'homme esseya de la rassurer.
"Ne vous en faites, pas. Une heure et demi de vol, c'est vite passé !
- Sauf si on s'écrase... Là, ça a des chances d'être un peu plus long. Genre éternel, en fait..." répondit-elle, tentant un trait d'humour malgré tout.
Son interlocuteur eut la politesse de sourire.
"Maintenant, éteignez votre portable, si vous ne voulez pas que les appareils de bord soient perturbés. Au moins, si on s'écrase, ce ne sera pas à cause de vous !
- Ce n'est pas drôle ! J'ai réellement peur, vous savez. Je laisse des proches derrière moi !
- Derrière vous ?! Alors vous êtes sérieuse ? Vous vous voyez vraiment mourir ?"
Le menton de Judith trembla, comme si le simple fait d'évoquer la mort pouvait la rendre réelle. Ses craintes se matérialisaient dans les mots de son voisin.
Une fois le portable éteint et la valise rangée, il reprit place auprès d'elle. D'une voix un peu autoritaire, il lui dit :
"Vous avez une montre ?"
Judith acquiesca.
"Parfait. L'avion va bientôt partir, tenez vous prête."
En effet, l'immense oiseau de ferraille se mit en branle afin de rejoindre la piste de décollage.
"Nous sommes en train de rejoindre la piste, commenta l'homme.
- Oui, je sais.
- Une fois que l'avion partira sur sa lancée, nous mettrons douze secondes pour décoller réellement. Vous verrez."
D'un coup, l'engin prit de la vitesse. Les passagers se retrouvèrent presque plaqués contre leurs fauteuils. Trop angoissée, Judith ne put retenir un torrent de larmes. Son voisin lui prit le bras, et la força à regarder sa montre. Il se mit à décompter les secondes.
" Douze, onze, dix... Je vous ai dit, douze secondes. Après ce sera fini."
Le nez de l'avion se décolla du sol. Judith aggrippa fortement les accoudoirs de son siège.
"Du calme... Cinq, quatre, trois, deux, un, zéro... Regardez. Nous avons quitté le sol. On a décollé, on est en l'air ! Vous ne risquez plus rien !
- Excusez moi de vous contredire, mais je ne vois pas en quoi je ne risque plus rien ! Je suis en l'air, alors que c'est complètement contre nature ! Je ne suis pas équipée pour voler, si l'avion décide de se mettre en grève !
- C'est le décollage, le plus dangereux. Statistiquement, vous avez éliminé pas mal de risques de crash. Reste l'atterissage qui est un peu délicat, mais on peut dire que globalement, vous êtes sortie d'affaire ! C'est bon, vous pouvez vous détendre !
- Pas vraiment, non... J'ai encore un autre décollage, ensuite. On atterit à Paris, et dans la foulée, je redécolle pour Montpelliers !
- C'est pas vrai ?! Vous prenez quel vol ?
- Oh, euh... Celui de 16h35, je crois...
- Je peux voir votre billet ?
- Euh oui, bien sûr !"
Judith fouilla dans son sac, à la recherche du fameux billet.
"Montrez moi le numéro de vol.."
Elle s'exécuta.
"Quelle coïncidence ! S'exclama son voisin
- Vous prenez ce vol aussi ?
- En quelque sorte, oui... C'est moi le copilote !"
Judith le regarda. Elle ne savait pas si elle devait être rassurée ou inquiète. Il était plutôt sympathique, c'était incontestable. Mais désirait-elle vraiment confier sa vie à un homme sympa ? N'avait-elle pas plutôt en tête l'image des pilotes comme de gens extrêmement sérieux et concentrés, limite ennuyeux, tant le poids des responsabilités leur pèse sur les épaules ?

Elle ne sut que répondre.
Une secousse ébranla l'avion. Par réflexe, Judith attrapa le bras de son voisin. Il sourit d'un air rassurant : "C'est normal. Nous traversons la couche de nuages. Bientôt, vous serez parfaitement tranquille, nous aurons pris notre altitude de croisière. Plus de danger."
Ce à quoi Judith répliqua :
"Ce ne sera pas la première fois qu'un avion s'écrase en plein vol sans explication...
- Rassurez moi, questionna l'homme, vous ne vivez pas en permanence avec la crainte de faire un AVC ou une rupture d'anévrisme, si ? Parce que votre peur de l'avion me paraît à peu près aussi irrationnelle que la crainte de mourir d'un coup sans raison. Oui, les crash arrivent. Comme les crises cardiaques, les fous du volant qui vous fauchent alors que vous marchez sur le trottoir, ou la prise d'otage lorsque vous allez déposer un chèque à la banque. C'est juste pas de bol quand ça tombe sur vous. Que ce soit en avion ou ailleurs. Donc sortez vous ça de la tête, et profitez du vol, Judith.
- Comment connaissez vous mon prénom ? Demanda-t-elle.
- Vous venez de me montrer votre billet...
- Exact. Pas bête...
- Enchanté, Judith. Moi c'est Alexandre. Votre copilote, pour vous servir ! Et votre psy sur ce vol, si j'ai bien compris..."

Judith sourit. Elle serra la main qu'Alexandre - puisque c'était son prénom - lui présentait. Son stress s'atténuait peu à peu grâce à la bonne humeur et aux paroles rassurantes de son voisin. Finalement, elle commençait à apprécier sa compagnie. Le voyage ne serait peut être pas aussi éprouvant que prévu...

Embarquement immédiatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant