... signée Lil
En grognant contre elle-même, Yume poussa la porte de la salle de classe et fila s'installer dans les rangées du milieu, histoire de se faire plus discrète qu'à son arrivée dans l'établissement. Elle posa ses affaires dans plus de chichis et laissa tomber sa tête entre ses bras croisés sur la table. Elle avait une sainte haine des journées comme celle-ci: un mauvais départ suivi d'une succession de conséquences de mauvaises décisions passées. Génial !
Elle releva la tête quand on posa un sac plein de bric et de broc sur le bureau collé au sien. Elle croisa le regard bleuté d'une rousse à l'air avenant et se sentit déjà plus calme: sa camarade ne semblait pas encline à la critique ou à l'agressivité.
Silencieusement, elle contempla la nouvelle venue qui sortait des affaires toutes plus colorées les unes que les autres d'un sac à l'air de tenir le choc par l'intervention du Saint Esprit. Finalement, la rousse s'assit et adressa un sourire éclatant à sa nouvelle camarade.
"Salut, tu es nouvelle ?"
Yume hocha la tête en songeant qu'elle risquait d'entendre cette phrase toute la journée. Fantastique, un nouveau point négatif dans cette belle journée moisie ! Elle retint un soupir du bout des lèvres.
"Je m'appelle Iris, et toi ?
- Yume, consentit à marmonner la jeune fille à la crinière arc-en-ciel."
Elle espéra éviter une énième remarque: "Ah, ton nom est japonais mais pas toi ! Que c'est cocasse !". Ce n'était pas de sa faute si sa mère avait passé suffisamment de temps au Japon dans sa jeunesse pour souhaiter lui donner un prénom à consonnance asiatique. Le ciel savait à quel point elle avait envie de s'appeler Marie ou Eloise ou tout autre prénom européen normal !
Iris ne parut pas s'en formaliser cependant. Elle lui proposa de manger en sa compagnie et, à sa propre surprise, Yume accepta. C'était sans doute une manière plus simple et moins stressante de faire connaissance: autour d'une table couverte de nourriture. A cette pensée, son estomac se tordait presque douloureusement. Son retard l'avait privée de petit-déjeuner et son corps tenait à le lui rappeler.
Quelques heures plus tard, le sac plein de paperasse à compléter pour la fin de semaine, Yume se baladait dans les couloirs. Elle cherchait le réfectoire où Iris lui avait donné rendez-vous. Au cours de ses déambulations, elle croisa un type qui retint son attention.
Principalement vêtu de noir, le jeune homme avait les cheveux rouges comme le sang et les yeux gris comme un ciel nuageux. Le gros bémol : il tirait une tronche complètement blasée et renfrognée qui gâchait son charme... et détruisait le peu de volonté que Yume avait rassemblé pour demander son chemin.
Guidée par son ventre, elle finit par trouver une salle qui sentait la nourriture. Iris l'aperçut depuis sa table bien remplie et lui fit de grands signes. La demoiselle à la crinière arc-en-ciel l'envia une minute d'avoir le cran de se faire remarquer ainsi puis se servit allègrement de quoi remplir son pauvre petit estomac qui hurlait à la famine depuis quelques heures déjà.
Une fois son plateau prêt ( et plein à craquer), elle se dirigea vers la jeune rousse. Elle tergiversait silencieusement sur la place à choisir quand un jeune homme arborant une tignasse d'un bleu électrique se décala gentiment sur le banc pour lui laisser de quoi poser ses fesses. Elle le remercia du regard et se laissa aller sur le banc en soupirant profondément. Les présentations furent vite faites et les discussions allèrent bon train.
Yume perdit même le fil des bavardages pendant une minute jusqu'à ce qu'Iris élude une question sur le divorce de ses parents en se tournant vers elle.
"Et toi, Yume ? Ta famille ?"
Le rouge de l'embarras reprit sa place sur les joues de la nouvelle. Elle ne parlait jamais de sa famille, pour la simple raison qu'elle n'en avait plus. La question la prenait de court, elle ne pourrait sûrement pas inventer un mensonge crédible. Elle s'éclaircit la gorge en vitesse et avoua, la gorge nouée.
"Je préfèrerais qu'on change de sujet, si ça ne vous dérange pas..."
Alexy passa la main dans son dos en la vrillant d'un regard compréhensif et la tablée repartit sur un autre sujet que Yume n'écouta même pas. Elle se mura dans le silence, toutes à ses idées noires, ses mauvais souvenirs d'abandons et de tristesse prenant le pas sur le semblant de bonne humeur que ces nouvelles connaissances avaient réussi à lui donner.