La nuit fut pénible pour le pauvre François.
La soirée au "pôle nord" avait laissé des traces ! Et pas seulement dans la neige ! Il avait dû prendre froid. Il se sentait vaseux, fiévreux, nauséeux. Pas idéal pour se mettre à l'ouvrage ! Mais pourtant il le fallait. C'était une nécessité vitale pour lui. Alors malgré ses frissons, son état fébrile et ses yeux vitreux, il se lança sur internet chercher des modèles, des tutoriels, des méthodes pour apprendre à écrire.
Des tonnes d'informations pleuvaient sur ce sujet. Il n'aurait jamais cru que cela soit si complexe d'écrire !
Lui qui cherchait Une Méthode, il en trouva une multitude ! Il aurait dû être content et se dire que "mieux vaut plus que pas assez" ! Mais là il était submergé ! Il croulait sous les informations. Et il trouvait tout intéressant : là une enquête de 100 pages sur "Le métier d'écrivain", un autre dossier de 100 pages aussi intitulé "Tout pour l'écriture d'un roman", ici "37 techniques pour écrire un livre", là "5 techniques pour dire adieu au syndrome de la page blanche", ici "5 astuces pour lutter contre la procrastination", et là "7 routines inspirantes d'auteurs et d'autrices célèbres". Il tomba aussi sur "Les 7 éléments indispensables à l'incipit", "comment trouver le bon titre à son roman", des "conseils pour étoffer son histoire", etc..., bref un déluge !
Il lui fallait aussi avoir lu des œuvres où les romanciers parlent de leur travail comme Stephen King dans "Ecriture : mémoire d'un métier" par exemple. Il lui fallait connaître aussi les "10 fameux conseils de Jack London". Il lui fallut visionner tout ce que Bernard Werber avait fait comme vidéos sur You Tube, une vraie masterclass accessible à tous ! Un vrai bonheur !
Et après avoir écrit son roman, ce n'est pas fini ! Il faut trouver des bêta lecteurs , des correcteurs et puis après des éditeurs !
En fait, plus il avançait dans ses recherches, plus la montagne qu'il avait devant lui devenait infranchissable.
Il tomba sur un article : "Comment écrire un roman à deux ?". Cela l'interpela. Il se demanda avec qui il pourrait bien écrire le roman qu'on lui demandait. Émile ? C'était lui le Grand Écrivain qui râflait tous les prix et la vedette, c'était lui qui aurait pu l'aider. Mais il l'avait laissé tomber. Gérard n'aurait pas été mal parce qu'il connaissait plein de bouquins. Mais François ne se voyait pas être en contact régulier pour écrire avec lui...
Il était à nouveau perdu dans toutes ses pensées.
Et les informations arrivaient encore en masse : "Comment écrire une scène de combat", " Comment écrire une scène d'amour, "Comment décrire un paysage","Comment doit-on procéder pour que nos personnages soient haut en couleurs, notre intrigue "percutante", et pour que notre histoire "captive" le lecteur avec des scènes "haletantes" !
Tous ces mots puissants sonnaient comme des arguments de vente comme dans les publicités pour des lessives ou des voitures : on vante avec force des valeurs positives comme le plaisir de conduire, la facilité d'utilisation d'une tondeuse, ou l'incroyable efficacité des pastilles pour lave vaisselle ! Mais il faut toujours lire entre les lignes, Gérard Genette le disait. Il y a toujours un sous-texte, un message en filigrane, une partie cachée ou minimisée. Là c'était un prix exorbitant, là l'efficacité testée seulement en laboratoire, et là le non remplacement du produit en cas de panne ! Bref il voyait de l'entourloupe partout. Et cela le freinait encore plus pour croire à tous ces boniments de méthodes faciles pour devenir écrivain. Le trop plein d'informations, la surcharge de prestations payantes, cela lui apparaissait comme un commerce de l'espoir et du rêve :
"Vous rêvez d'écrire ? Vous vous sentez l'âme d'un écrivain ? Alors franchissez le pas ! Devenez ce que vous avez toujours rêvé d'être ! Participez à cette formation ! Et vous vendrez plein de livres ! Vous serez célèbre ! et vous gagnerez bien votre vie !"
— Ça sonne faux ! C'est pour les gogos! pensa-t-il.
Mais il était tellement seul et tellement en manque d'informations sur le sujet qu'il était prêt à croire n'importe quoi. Il lui fallait des pistes. Des idées pour commencer.
Il trouva ici un "guide de l'écriture" sobre, et utile. Il fut aussi intéressé par un dossier qui explique qu'il faut "réfléchir pour mieux écrire" ! Et qui lui expliquait "comment créer des personnages captivants".
Plus tard, il tomba sur un blog dont l'auteur se décrivait comme une "faiseuse d'écrivains" (rien de moins !) et qui envoyait par mail, à qui s'inscrit gratuitement, son "Quotidien des écrivains". Plein de bonnes intentions et de bonnes idées dans ses mails mais jamais trop de détails dans ses conseils, c'est une formation très alléchante mais payante. Et François n'avait pas le sou ! Il n'allait pas pouvoir atteindre le Graal faute de moyens.
Il se désespérait un peu plus à chaque trouvaille.
Une autre influenceuse aussi fut très intéressante pour ses conseils d'écriture plus développés.
Il trouva une petite mine d'or mais toujours cette sensation d'inachevé, que rien n'est gratuit et qu'il faut toujours passer à la caisse pour avancer.
— On n'a rien sans rien ! se dit-il !
Il piochait encore gratuitement ça et là une foule de données parcellaires plus ou moins utiles et efficaces pour se mettre à l'ouvrage, trouver son sujet, bien l'écrire et même bien l'éditer ! "Comment réussir la fin de son roman" , "Comment publier un recueil de poèmes à succès", "Comment se faire éditer"...
Il avait trouvé trop de donnés et c'était dur pour lui de trier les flocons utiles dans cette avalanche !
— Je n'ai encore rien écrit ! Se dit-il. Je ne vais pas chercher à me faire éditer ! C'est mettre la charrue avant les bœufs !
Il parcourut, encore, et lut, encore, en diagonale, des pages intéressantes sur les différents types de roman et leurs spécificités, le "bullet journal" (carnet à emporter partout et où tout noter), la "technique de la visualisation pour mieux écrire", "4 (autres) moyens d'être (encore) plus créatif", "5 qualités essentielles pour son héros", etc...il se noyait, il buvait la tasse, il ne respirait plus !
Mais à un moment, dans sa course folle aux renseignements, il se stoppa net. Il lut qu'il pouvait faire un roman juste en le demandant à une intelligence artificielle : le fameux "Chat Gpt" qui défrayait la chronique !!
Il en avait deja entendu parler mais ce côté robot multifonctions ne l'attirait guère. Il semblait perdre toute décision, tout choix, toute créativité humaine. C'était la mort de la littérature. Comme ces images générées par ordinateurs qui déstabilisent le réel, qui sont magnifiquement fausses.
Mais la fausseté ne fait-elle pas partie de la beauté ? Une femme ne se maquille-t-elle pas pour paraître plus belle ? Les talons, le parfum, les cheveux ne sont-ils pas autant d'options attirantes ?
Tout est truqué pour plaire. Le cinéma en est la preuve évidente !
Bref il est logique que les robots soient utilisées même dans ce domaine si fin qu'est l'écriture. L'invasion est partout ! Ils nous remplacent jour après jour un peu plus et nous chassent !
Malgré son incrédulité, il voulut quand même tester cette fameuse "I.A." .
Il lui donna un terme et fut intrigué par ses réponses : il lui dit de partir sur le mot : "Montez !"
Il fit 5 demandes identiques et obtint 5 réponses différentes :
1 - La première etait assez sommaire, basique, évidente :
"Ces deux mots sont souvent utilisés pour encourager quelqu'un à monter quelque chose, comme des escaliers, une colline ou même un cheval. C'est une phrase simple mais efficace pour encourager quelqu'un à aller de l'avant et à surmonter un défi physique.
Cependant, il est important de noter que cette phrase doit être utilisée avec prudence et respect. Elle ne doit jamais être utilisée pour harceler ou intimider quelqu'un, ni pour le forcer à faire quelque chose qu'il ne veut pas faire.
En fin de compte, "Montez !" est une phrase utile et motivante qui peut aider à inspirer les autres à se dépasser et à atteindre leurs objectifs. Utilisée avec gentillesse et respect, elle peut être un outil puissant pour encourager la persévérance et la réussite."
La deuxième se passait en montagne :
2 - "Montez !" cria l'instructeur à ses élèves, les encourageant à escalader la haute paroi rocheuse devant eux. Les jeunes grimpeurs se mirent à gravir la montagne avec détermination, s'accrochant aux prises avec habileté et force. Les muscles de leurs bras et de leurs jambes travaillaient dur tandis qu'ils progressaient lentement mais sûrement vers le sommet.
Finalement, après des heures d'efforts, ils atteignirent enfin le sommet, où une vue à couper le souffle les attendait. Ils se reposèrent un moment, admirant le paysage magnifique qui s'étendait devant eux, remplis d'une satisfaction immense d'avoir accompli un tel exploit. En descendant la montagne, ils étaient épuisés mais heureux d'avoir vécu une telle aventure et d'avoir réussi leur ascension."
La troisième joue le guide touristique zen :
3 - "Montez les escaliers jusqu'au sommet de la colline, où le soleil se couche lentement à l'horizon. Là-haut, vous serez récompensé par une vue imprenable sur la ville qui s'étend en contrebas, baignée dans une lumière dorée. Prenez le temps de respirer profondément, d'admirer la beauté qui vous entoure et de laisser votre esprit s'évader. C'est dans ces moments de calme et de contemplation que l'on trouve parfois les réponses aux questions qui nous tourmentent. Profitez de ce moment privilégié pour vous connecter à votre moi intérieur et ressentir la paix qui émane de ce lieu magique."
Le quatrième se passe à l'armée :
4 - "C'était l'ordre que j'entendais tous les matins lorsque j'étais en service militaire. Le sergent criait cette phrase pour nous dire de nous lever et de commencer la journée d'entraînement physique. Nous devions tous nous lever rapidement et nous préparer pour la journée à venir. Les jours étaient longs et épuisants, mais nous étions tous unis dans notre détermination à réussir et à nous améliorer. Avec chaque jour qui passait, nous devenions plus forts, plus agiles et plus disciplinés. Et lorsque le moment est venu de quitter l'armée, nous étions tous fiers de tout ce que nous avions accompli ensemble."
Le 5ème et dernier n'apporte rien de mieux que le premier :
5 - "La voix retentit dans l'air, claire et forte. Les mots résonnent dans le silence, emplissant l'espace de leur énergie. Les regards se tournent instinctivement vers la source du son, cherchant à déterminer qui a prononcé ces mots. Puis, lentement, le sens de la phrase s'impose à tous. Montez ! C'est un appel à l'action, un ordre impérieux qui ne souffre aucun délai. Les corps se mettent en mouvement, se précipitant vers l'escalier, vers le sommet de la colline, vers l'objectif à atteindre. Il n'y a pas de temps à perdre, pas de place pour l'hésitation. Le chemin sera peut-être difficile, mais la récompense en vaut la peine. Alors, montez ! Et laissez-vous porter par l'élan de la victoire."
5 essais, 5 coups d'épée dans l'eau !
Rien de transcendant ! Une expérience bien triste au vu de ce qu'on dit et de ce qu'on attend de magique de ce moment. On dirait plus un "Google trad" amélioré en lexicologie !
Bref, après les livres, les robots n'allaient pas non plus pouvoir aider notre apprenti scribe.
Après toutes ses recherches, il avait, finalement, engrangé beaucoup de techniques et d'informations utiles pour commencer. Les bagages étaient remplis. Il pouvait larguer ses amarres et (enfin !) partir en voyage d'écriture avec son propre cœur, son puits d'émotions !