Partie 1

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21 jours avant Noël

HELEWIS

Les toits de la ville s'étaient couverts de givre. De là où je me trouvais, j'en avais une bonne vision. Le toit-terrasse des Galeries Lafayette offrait une vue imprenable de Toulouse, telle que je l'avais rarement observée. Pourtant, j'y vivais depuis... trop longtemps pour y penser maintenant, cela me rappellerait mon âge.

Dans quelques jours, je gagnerai une nouvelle année. J'avais cessé de fêter mon anniversaire depuis belle lurette. Rose avait bien tenté de raviver la tradition, mais elle avait abandonné devant ma réticence. Je n'avais jamais compris l'amour de mon mentor pour ces célébrations. C'était un truc de mortels, non ? Dénombrer les années, quand on savait qu'elles nous étaient comptées, avait une évidente logique, mais pour des créatures comme nous... Je n'avais aucune idée de l'âge auquel mon corps me lâcherait et se mettrait à décrépir, et cela ne m'intéressait pas. Je mourrais de toute façon lames à la main et chevelure enflammée, j'en étais certaine.

À l'époque où j'étais venue au monde, on ne gardait guère en mémoire les dates d'anniversaire, si bien que certains Voyageurs attachés à cette tradition, à l'instar de Rose, s'étaient choisi leur propre jour. Je n'avais pas eu besoin de faire cela. J'étais née la veille de Noël. Une date difficile à oublier.

Quelques flocons de neige se mirent à tomber, se déposèrent sur ma peau et s'évaporèrent en nuages de vapeur. Je retins un couinement. Autant dû à la glace fondue qu'aux lèvres d'Ethan qui se posèrent dans mon cou. Je n'avais pas besoin de me retourner pour savoir que c'était lui, je l'aurais reconnu les yeux fermés. Son parfum musqué me chatouillait les narines et la chaleur qui émanait de son corps de loup-garou ne laissait aucune place au doute. Il couvrit mes épaules de mon manteau de laine qu'il venait de récupérer au vestiaire et me rendit mon écharpe.

— Quel joli spectacle, souffla-t-il à mon oreille.

Je hochai la tête, reportant mon attention sur la neige qui s'accumulait lentement sur les toits brillants. Elle ne tiendrait probablement pas plus de quelques heures, mais j'étais heureuse de ce moment de sérénité.

— C'est rare de profiter de cette vue, renchéris-je.

— C'est de toi que je parlais, corrigea-t-il tout bas en riant.

Mes joues s'empourprèrent. Mon instinct me soufflait de me retourner et de lui en coller une – au moins pour la forme – mais il avait anticipé le geste et me maintenait fermement plaquée contre lui d'un bras, tout en caressant lascivement ma nuque.

— Tu ne perds rien pour attendre, lâchai-je en profitant malgré tout de sa proximité.

Toutefois lorsqu'il relâcha enfin son étreinte, j'avais oublié toute velléité de vengeance et ne pensais plus qu'à rentrer à l'appartement. Mon sang s'était échauffé sous ses attentions, et je ne brûlais plus que d'une envie. Cela dit, Ethan était un loup. Au-delà de la revanche, patienter un peu aiguiserait ses sens. Je l'embrassai donc langoureusement tout en nouant discrètement mon étole à son poignet d'un côté et au garde-corps de la terrasse de l'autre, puis le plantai là. Oh, je n'avais pas l'intention de le retenir, simplement de le retarder. Il pourrait déchirer mon écharpe et se libérer en quelques secondes, mais il était bien trop galant pour agir de la sorte. Je l'imaginais parfaitement en train de tenter délicatement de se dépêtrer du nœud que j'avais serré de toutes mes forces.

Je sentis son regard sur moi tandis que je m'enfuyais en riant à travers le restaurant* jouxtant la terrasse et dévalai les escaliers à toute vitesse – l'ascenseur de ce magasin avait la lenteur d'une tortue. La fraicheur de l'air me fit regretter l'absence de l'accessoire bien nécessaire en cette saison, mais je l'avais sacrifié pour la bonne cause. Rentrer chez moi depuis les Galeries était très rapide, j'habitais à quelques rues à peine, près de la place du Capitole. Cependant, je décidai de jouer un peu, sachant qu'Ethan me poursuivrait à la trace, et m'engouffrai dans les ruelles de ma ville. Petit détour par la place Salengro, passage par Saint-Rome, et stop sur les quais de la Daurade. J'y patientai un instant, les yeux brillants d'une fièvre passionnée, m'assurant qu'il me suivait toujours. Quelques minutes plus tard, sa haute silhouette se dessinait à quelques mètres.

Be safe and come back to meWhere stories live. Discover now