Les dimanches au musée étaient toujours une expérience assez troublante. L’entrée au musée gratuite amenait une foule de toute sorte, qui me pouvait me rendre totalement dingue ou de bonne humeur suivant les visiteurs. Sans oublier les alcooliques et autres marginaux que les dimanches gratuits apportaient, ce qui nous forçait à jouer à la police en compagnie de la sécurité. Dire que j’avais dû prendre des cours d’arts martiaux pour me défendre contre des visiteurs violents…dans un musée, quel comble !
Mais le visiteur que j’observais pour le moment, je ne savais pas dans quelle catégorie le ranger. Il était habillé avec un sweatshirt et un pantalon en mauvais état, son regard dément passait d’un endroit à l’autre et il devait avoir au moins fait quinze fois le tour de cette exposition sur Captain America. Quand il était bousculé par inadvertance, il semblait devoir contrôler des pulsions de défense. J’hésitais à l’approcher tant il avait l’air perdu, mais je ne pouvais pas m’occuper de tous les gens en peine qui erraient au musée, sinon je ne rentrerais jamais chez moi et le musée allait bientôt fermer. S’il ne partait pas, peut-être que je ferais quelque chose. La sonnerie de fermeture retentit et l’homme étrange s’en alla en passant devant mon comptoir, il avait un visage étrangement familier, mais je ne parvins pas à mettre un nom dessus. Sans doute venait-il assez souvent ici, peut-être était-il passionné par l’histoire de Captain ? Depuis cette histoire à Washington, nous avions eu beaucoup plus de visiteurs qui se passionnaient pour cet homme. J’avouai que cela me dépassait un peu cette fascination, mais d’après mon chef Luca c’était à cause de mes origines européennes. Lui était italien et avait aussi de la peine à comprendre cette fascination. En plus, j’étais suisse donc, selon lui, un peu moins expressive de mon admiration.
En pensant au loup, mon chef s’approcha de moi pendant que la sécurité fermait les portes. Il avait la cinquantaine et m’appréciait parce qu’il pouvait pratiquer son français avec moi et il osait se confier sur le désastre de son couple, mais il ne parvenait pas à quitter sa femme. J’étais attentive, même si cela ne m’intéressait pas tellement. Il me tendit une petite enveloppe.
Luca : Voilà le décompte des pourboires pour ce mois-ci, Aurore. Tu viens boire un verre avec nous ?
Aurore : C’est gentil, mais je dois passer chez ma mère ce soir. Des voisins m’ont dit que sa radio s’allumait automatiquement tous les jours, j’avoue que je n’ai pas pensé à vérifier ce genre de chose.
Luca : Tu avais la tête ailleurs avec son décès. Je sais que c’est encore difficile pour toi, courage. Mais ils se plaignent après tout ce temps ! ?
Aurore : Ils ne savaient pas qu’elle était morte et comme elle ne sortait plus de chez elle, ils ne se sont pas posé de questions vu qu’ils me voyaient de temps à autre.
Luca : Au moins, ils s’en sont inquiétés. Si tu as besoin de parler, n’hésite pas à appeler.
Je le remerciai et embarquai mes affaires en me pinçant les lèvres pour ne pas pleurer. Cela faisait déjà trois mois qu’elle était morte et je commençais doucement à m’en remettre. Avec la tumeur au cerveau qui l’avait rongée, je m’y étais préparée, mais la peine avait été vive.
