• PROLOGUE •

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     Quatre séraphins survolaient la région boisée d'un coup d'aile nonchalant.

Une brise aux relents de sapins caressait leurs plumes, rafraichissante, soutenant leur armature fatiguée. La nuit enveloppait leurs silhouettes d'une écharpe de nuages de sorte qu'ils avançaient de façon presque invisible à l'oeil inattentif. Pas de lune pour les trahir ; son demi-sourire restait coincé derrière l'amas de brouillard qui les accompagnait depuis l'Ouest.

     Le premier de la quadrature, un homme élancé aux ailes sombres, embrassa l'horizon d'un regard satisfait. En-dessous de son ventre s'étalait un océan vert de sylve, ses cimes vigoureuses perçant la brume. Les forêts de l'Est était aussi abondantes que lors de sa dernière visite, songea-t-il, quoique parsemées ci-et-là de quelques flaques de civilisation. Une ou deux clairières villageoises. Plusieurs chaumières isolées. L'ange remarqua même un petit bosquet de temples à trois lieues de leur position... Ruines perdues dans cette opulence de verdure.

Il s'étira les épaules. Non sans soulagement, sa troupe survolait enfin la destination de leur long voyage. Ici, quelque part sous la toiture de pins, vivait leur mission. Une personne. Une enfant.

     Le terrain vallonné se pencha brusquement vers l'avant. Ils purent alors voir au loin un mince ruban de plage : il s'agissait des côtes dorées de la mer Carteline, limite du continent et prémices des Îles Naïadiennes.

- Escadron de tergals à moins de cent mètres, avertit soudain l'un de ses sous-fifres. J'en compte à peu près cinquante. Armés.

Le Commandant arqua un sourcil. Il généra une petite rafale en éclaireur et, effectivement, quelques secondes plus tard, celle-ci lui rapporta une rumeur de lourdes foulées. Des foulées un peu désordonnées. Suivies d'une plainte répétitive et désagréable.

- Juste un gros peloton, corrigea-t-il.

Un sourire carnassier fleurit néanmoins sur son visage. Voilà plus d'un mois qu'ils sillonnaient l'ennuyeux ciel d'été sans aucune distraction de ce genre. Ils étaient presque arrivés... Impossible d'ignorer une telle aubaine.

- Que dites-vous d'une dernière escale ? lança le Commandant en redressant déjà ses ailes pour se mettre à planer.

- J'en dis qu'on va pouvoir s'amuser, répondit son Adjoint.

D'un geste fluide, tout les quatre replièrent leur ossature pour plonger vers l'avant. Ils suivirent la direction de leurs bourrasques et, chassant une nuée d'étourneaux indignés, s'engouffrèrent dans les sous-bois. Ici, le noir était pratiquement complet ; la voûte végétale était si épaisse que la lune s'y infiltrait à peine.

     Chaque séraphin se posta dans un arbre. Pas un tergal ne remarqua l'étau de prédateurs qui venait de se resserrer autour d'eux.

Les futurs cadavres avançaient entre les arbres d'un pas las, négligé. Ils n'étaient même pas en rythme ; le sol était martelé d'une cadence qui n'avait rien de martial. Et dans leur sillage gémissait par à coup le crissement de métaux rouillés. Un orchestre pénible, violant la quiétude forestière.

     À travers le feuillage, quatre paires d'yeux gourmands fixées sur eux. Le met n'était pas de choix, pensa le Commandant, mais l'occasion restait alléchante.

     D'un rapide coup d'oeil, il examina ses proies. Tunique ébène, cape de voyage. Le côté gauche du plastron frappé du sceau de la Reine. C'était un uniforme qu'il connaissait bien, à force de l'affronter dans le désert.

     Leurs semelles raclaient le sol, leurs épées se frottaient contre leurs hanches. Le dirigeant de la troupe, un petit Capitaine à l'air morose, marchait lui-même aux côtés de ses hommes. Ces soldats-là patrouillaient depuis visiblement fort longtemps.

ÉCARLATE - sous la cendre [T1]Όπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα