chapitre premier

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Le ciel est insondable. Le navire chavire. Les vagues fouettent le bois sous la coque, les algues s'accrochent aux bords, le vent griffe le voile. Sur le bateau, un jeune homme se débat. Le froid se glisse sous ses vêtements et dérape sur sa peau. Il essaye de se défaire de l'emprise de la mer, mais elle le tient, elle l'appelle. Elle le possède.

Il a le temps de goûter le sel sur ses lèvres desséchées. Il entend le violent tumulte des eaux tout autour de lui, la déraison indomptable de la tempête qui l'emporte. Il le sait, et il s'abandonne à elle. Les yeux rivés au ciel, il laisse les éléments l'engloutir tout entier. Il n'a pas peur, seulement froid. Il a terriblement froid.

À ses pieds, un vieux sac en toile de jute chancelle au gré des vagues. Dedans, une boule en verre clignote faiblement. Une lumière chaude en émane, se déversant sur les pieds nus du jeune homme. Rapidement, il se penche pour attraper le sac. Mais la mer coléreuse le trahit : bousculant le petit bateau, elle envoie le jeune homme, son sac et son globe de lumière dans les profondeurs obscures.

~

Le jeune homme se sent flotter au-dessus de tout. Il ouvre les yeux lentement, savourant l'insaisissable moment qui précède le battement de ses cils dans la soudaine lumière. Une lumière terne et qui pourtant l'aveugle. Ses membres vibrent d'énergie. Ses cheveux tournoient en un halo brun autour de sa tête. Une certitude s'inscrit alors dans son esprit : il est vivant. Il a survécut.

Sa vision s'éclaircit peu à peu. Devant ses yeux s'étend une infinité bleuâtre. Des reflets d'argent scintillent partout autour de lui. Il sourit, et des bulles s'échappent des coins de ses lèvres. Elles s'enroulent autour de ses doigts, de ses chevilles, s'accrochent au bout de son nez. Il comprend qu'il est toujours sous l'eau.

Il ouvre la bouche et essaie de prononcer son propre nom. Mika. Des rayons de soleil l'atteignent, dansant à travers la surface de l'eau et caressant sa peau. « Mika », ils l'appellent, le cajolent, l'attirent vers eux. Il tend les bras et les touche du bout des doigts. Pendant un instant, il hésite. Il se sent bien ici, enlacé par l'eau salée et les bulles argentées. Mais la lumière pure lui manque. Il donne un puissant coup de pied et pousse son corps vers le haut. Il ferme les yeux au moment de briser la surface.

Il émerge entre deux vagues. Il s'attend à goûter l'air avec avidité, à remplir ses poumons d'oxygène, à reprendre son souffle, mais il n'est pas essoufflé. L'air lui semble même fade, un peu plat, comme vide.

« Je m'appelle Mika », énonce-t-il avec hésitation. Le vent est clément, le soleil généreux. Mika regarde le ciel. Ce ciel qui le fixe avec curiosité et a l'air de lui répondre :

- Je te connais, petit – j'ai failli te perdre pour de bon.

- Et pourtant je vis, Mika s'étonne.

- N'es-tu pas heureux de me revoir ? le ciel a l'air de demander.

- Je ne sais pas. Je suis trop embrouillé pour être heureux.

Le revoilà qui parle tout seul. Il ferme les yeux et se tape le front de la paume de la main. Il se fige. Sa peau lui parait un peu trop moite, un peu trop savonneuse. Il tend les deux bras devant lui et se fixe les mains. Sous l'eau, ses longues jambes continuent à fouetter l'eau inlassablement pour maintenir son corps à la surface. Quelque chose en lui a changé, il le sent. 

Le jeune homme et la merΌπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα