Chapitre 8 - Avoir le beau rôle

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Nous passons la demi-heure suivante à écouter Varely et Malyan exposer le plan. Kalen, Jofen et accessoirement Mei seront donc en première ligne pour mettre à mort Carotte Man. Je vois bien que cela n'enchante guère le trio. Kalen repète qu'il fera tout pour déverrouiller l'accès, mais à aucun moment il ne promet d'assassiner son géniteur. Varely semble s'en contenter. De notre côté, Sam, Sayan et moi devrons patienter dans un vaisseau d'évacuation. Quand j'aborde le problème de la menace de l'arme noire et de sa destruction, je sens que le Borl est mal à l'aise. Nous finissons par comprendre qu'il ne sait pas grand-chose. Ni comment elle fonctionne, ni s'il est possible de la mettre hors service. Voilà qui est très inquiétant.

Avant que le duo ne parte, j'ose énoncer à Varely une demande qui me tient à cœur. Elle concerne la zone qui s'apprête à être bombardée. Si j'ai bien compris, le rebelle a accès à l'équipement de communication du Consul et il est capable de pirater les systèmes. Je sais qu'autour de Budapest, il y a la base Faraday-13, ou peut-être 14, et surtout un grand nombre de camps extérieurs abritant les réfugiés européens. J'ai espoir que mes parents en fassent partie. Aussi, je supplie notre nouvel allié d'essayer de prévenir les populations terriennes de l'imminence du bombardement. Ce dernier comprend ma demande, mais ne peut rien me promettre. Je vais devoir me contenter de ça.

Après le départ du frère et de la sœur, j'éprouve le besoin de parler de ma famille. Je raconte le jour où mon père a voulu m'apprendre en vain à nager, le dernier anniversaire que j'ai fêté avec eux. C'était mes seize ans, peu de temps avant mon départ pour Chongqing. Bon sang, c'était il y a huit ans. Ma voix se brise dans ma gorge, et Sam enchaîne avec les souvenirs qu'elle a de sa mère, et de leur vie à trois avec Hassan. Puis la lente descente aux enfers quand le Grand Chaos a fait cesser de fonctionner les micros implants qui la maintenaient en vie, malgré la maladie.

Mei évoque avec pudeur son enfance difficile, entre la dépression de sa mère et l'alcoolisme de son père. C'est la première fois que je l'entends évoquer son passé d'enfant battu devant public. Jofen semble particulièrement ému : son corps se tend et ses yeux rougissent. Sam, quant à elle, ne retient plus ses larmes et les laisse couler silencieusement.

Enfin, vient le tour des Selcyns. Leur enfance a tous les trois est finalement bien similaire : nos amis se sont construits dans un milieu dépourvu d'amour, de sentiment, de petits rien qui marquent la mémoire de manière indélébile. Et des souvenirs, ils en ont justement très peu qui ne soient pas en rapport avec leurs formations. Leur vie d'avant semble creuse, vide, et un sentiment de tristesse m'envahit. Je serre spontanément la main de Kalen qui réagit en entrelaçant ses doigts dans les miens. Plus tard, nous parvenons à nous isoler tous les deux (autant qu'il est possible de le faire dans vingt mètres carrés) :

— Comment tu te sens ? demandé-je timidement.

— Comme un homme à qui on a demandé de commettre un meurtre. Certes, je déteste la politique du Consul, et oui, j'ai sciemment désobéi à nombre de ses ordres... mais ce n'est pas pour autant que je souhaite le tuer.

— Parce que c'est ton géniteur ?

— Non, Chaton. Parce que tuer est un acte grave, irrévocable. La vie est trop précieuse. Même les selcyns, que tu juges si détachés de tout, le savent. Certains s'en moquent plus que d'autres, je te l'accorde. Pour ma part, même en étant un Temen, un chef de guerre, ôter la vie ne m'a jamais laissé indifférent. J'ai été le dernier chef de division à glisser pour cette raison : je ne voulais pas voler la vie d'un innocent, même d'une autre race. Alors oui, tu vas me dire que j'ai déjà tué au combat. Oui, à la guerre, en défendant ma vie contre des soldats ou des robots d'attaque. C'est tout de même autre chose que ce que les rebelles attendent de moi.

Corps étrangers [TERMINÉ] Where stories live. Discover now