Chapitre I - Mort Moqueuse

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                       Ce fut à la vêprée qu'elle vint saisir sa main. La tendre et douce Mort. La pulpe de ses doigts rencontrant le froid du visage pâle, anémié de sa nouvelle victime. Dans son lit, incapable de résister à la fatigue, ne pouvant se rebeller face à son trépas imminent, les yeux fatigués de la jeune femme tentaient de déceler sous cette large capuche les traits s'y dissimulant. Ses joues creusées par la faiblesse et la dénutrition perdirent leur rigidité, l'expression de la malade devenue moins aigre, presque détendue. Ses lèvres tirées vers le bas cessérent leur grimace emplie d'acidité, cédant à l'harassement d'une vie bien courte.

Elle se mourrait, et ne voyant plus aucun intérêt à persister dans l'acariâtreté, la jeune femme laissait pour une rare et dernière fois son corps se relâcher. La nausée, l'opression, le froid, toutes ces terribles afflictions eûrent quitté son enveloppe charnelle. Ses sens s'affaiblissaient petit à petit. La chambre décorée de photographies vint à devenir une simple mer aux tons de gris antarcite et bleu royal où quelques lumières de son chandelier l'aveuglaient avec tendresse, finissant par s'éteindre, la plongeant dans le Noir. Plongée sous l'eau, incapable d'entendre le moniteur cardiaque à son chevet, les simples battements de son coeur finirent par être le dernier son, transformés en vibrations pulsant dans ses oreilles. La Malade ne put bientôt que se souvenir de la sensation des draps de coton qu'elle serrait entre ses faibles doigts, incapable de déceler le tissu contre sa peau ou le froid paralysant ses jambes. 

Tous ses sens doucement s'éteignaient, le Feu de la Vie calcinant la ficelle de son existence, atteignant finalement le bout de sa course afin d'y rencontrer la cire fondue des souvenirs et sentiments l'ayant rendu humaine, vivante. Sa fin était venue. 

Cependant, elle n'avait pas peur, pour la première fois depuis des années la jeune malingre tirait de son trépas imminent une vitalité que jamais elle n'eût ressenti, une énergie inconnue. Paradoxalement, l'éternelle infirme semblait vivre dans ses derniers instants, tendant sa main tremblante dans l'espoir que celle de la Mort la saisisse, incapable de ne voir ou percevoir sa présence physiquement, ressentant l'entité par son âme quittant sa chair. L'épaisse tunique obsidienne tendit son bras, accueillant au creux de sa paume les doigts gelés de la mourrante, refermant cette dernière auteur d'eux. Le froid mordant se métamorphosa en une chaleur douceureuse. Enveloppée dans une étreinte rassurante, entourée d'une bulle anti-choc, anti-tout, la jeune femme sentant son palpitant décélérer dans sa course, perdant peu à peu pied avec la réalité ne pouvait se dire qu'une chose :

«Enfin.»

Enfin son calvaire toucherait à sa fin. Enfin elle pourrait en terminer avec ses souffrance. Enfin ce monde qu'elle abhorrait tant ne serait plus le sien. Enfin, une bonne fois pour toute elle viendrait à s'évader, s'échapper, s'envoler et laisser tomber l'enclume la maintenant à terre. Enfin elle serait libre. La malade sentait son esprit s'alléger tandis que son corps s'engourdissait, et le moniteur fit sonner l'alarme d'une ligne sans reliefs, le cardiogramme affichant une absence de mouvement. La sonnerie continue ne ramena cependant personne, la Mort ayant également quitté les lieux en compagnie de sa nouvelle conjointe qui eût délaissé sa personne sans l'ombre d'un regret. De ses yeux rougis par la fatigue s'échappa sa larme finale, servant d'adieu au monde matériel et pesant sur son dos. L'esprit leva les bras, accueillant en  son sein la douce et tendre lumière de son sommeil éternel, s'élevant finalement vers les cieux, baignant dans les astres du firmament. Elle la sentait, la voyait, la goûtait, sa clé salvatrice. Du bout de ses doigts, la Malade en était si proche, il lui fallait seulement un peu plus s'en rapprocher, ne serait-ce qu'un peu. Et quand la jeune femme s'en saisit enfin.

Elle se réveilla. Ahanante.

En se redressant brusquement, ressentant la sueur de sa nuit ayant trempé ses draps, une main tremblante vint se placer sur son visage. Sa paume glacée rejoignant son front brûlant eut l'effet de la calmer un instant, reprendre son souffle avant de saisir machinalement la tablette d'aluminium. La jeune femme en extirpa une dragée pour la mettre en bouche, le regard perdu sur son environnement, la même chambre que dans la vision dont elle venait de sortir. Ce n'était pas un rêve. Il ne fallait pas que cette scène relève du fictif. Elle devait, ou plutôt avait l'obligation de se réaliser. Visiblement agacée par son objectif tristement raté, la sonnerie de son téléphone sur sa table de nuit la tira de ses idées qu'elle saisit avant de décrocher, peu enjouée.

«Bonjour Rize, n'oublie pas ton rendez-vous aujourd'hui. Annonça une voix masculine d'un ton avenant.

-J'en suis consciente, Edgar. Répondit la fraichement nommée avec amertume, tenant le recepteur d'une main, l'autre la hissant hors de son matelas.»

L'individu à l'autre bout de la ligne, visiblement plus âgé par le grain de sa voix, laissa un soupir s'échapper de ses lèvres. Il fit abstraction des dires de sa cadette, ce n'était pas une chose inhabituelle de sa part. Cette femme en permanence habitée par la froideur et l'aigreur, ne pouvait être agréable lors de son réveil, sortie de ses habituels cauchemars pour ne plonger que de plus belle dans ce monde qu'elle ne pouvait que détester. Cependant, cette nuit elle ne trouva dans ses songes d'horribles et macabres idées, mais plutôt une tendre récompense. Ce rêve était sûrement le plus beau, le plus réconfortant qu'elle n'ait produit de son esprit fatigué, et elle était irritée qu'il se termine ainsi, inachevé, irréel. 

La jeune femme écoutait silencieusement ce que son interlocuteur avait à lui annoncer, son absence de réponses fonctionnant comme approbation de ses propos. Il lui fallut quelques instants pour marcher. Grimaçant à chacun de ses pas, tordant son visage de douleur à chaque fois que ses pieds nus embrassaient le marbre froid, offrant la sensation de marcher sur des lames affûtées, transperçant sa chair, martyrisant ses articulations. La dénommée Rize, après la rude traversée de sa chambre parvint au corridor de son appartement, s'enfonçant dans la piéce en face. Le dressing-room.

«-Comme je te le disais, l'agence du journaliste a vivement insisté pour avoir cette interview. Alors essaye de leur donner de véritables informations pour une fois, d'accord ? Le ton du vieil oscillait entre l'inquiétude et l'humour, sachant dors et déjà que son interlocutrice n'en aurait que faire, persistant dans ses habitudes.

-Erdgar. Répondit séchement la femme, épuisée de s'être réveillée. Je ne donnerais des informations seulement si les questions sont pertinentes. Exposa-t-elle entre deux grimaces, saisissant du pilulier sur sa table basse pour en consommer la partie prescrite.

-D'accord, je sais que je ne te ferai pas changer d'avis. Dit-il, s'avouant vaincu face à son indétrônable aridité. Tu l'as pris ? Questiona-t-il.

-A l'instant. Répondit la cadette, faisant abstraction de la pointe d'inquiétude présente dans la question de son interlocuteur, mettant fin à l'appel par la même occasion. »

Seule dans sa demeure, prise d'un frisson parcourant son corps, la jeune femme se redressa douloureusement de sa posture. Son regard balaya l'imposante pièce dans laquelle elle se trouvait, ne sachant que faire de tous ces vêtements, accessoires, bijoux et parûres pullulant tels des parasites. L'opulence, l'abondance de choix, la richesse de possibilités lui donnaient pourtant cette impression de sécheresse créative. Il y avait tellement de choses, qu'elle était fatiguée simplement en observant sa penderie à la superficie absurde. 

Comme le reste de sa résidence dont le marbre coquillier, reconnaissable à son noir profond et l'abondance de ses veinures blanches, servait de sol, sa garde-robe conservait le même parquet luisant, reflétant les spots lumineux. Le large tapis à franges au centre de la pièce vint rapidement réchauffer les pieds de la propriètaire, ne supportant que peu le froid mordant sa peau au contact de la pierre glaçante. La teinte beige apporta une touche de chaleur dans la salle cruellement impersonnelle. Ce dressing-room dicrhomatique aux murs gris antharcite, se trouvait placardé d'étagères et incalculables tiroirs du même bois de bouleau semblait chercher à faire briller de milles feux ses plus belles pierreries, tout en restant froid, prétentieux, hautain de par son chic sans égal. 

Pourtant, la dénommée Rize n'y trouva aucun intérêt, affreusement indifférée par le luxe se présentant sous ses yeux polaires. Toute cette magnificence matérielle regroupée entre ces quatres murs n'avait plus de valeur qu'une épave encombrante au fond de l'océan, attisant les regards mais n'apportant aucun bénéfice à son environnement. Le regard prétentieux, dédaigneux, jeté sur les richesses de la penderie creusa à nouveau une distance entre la propriétaire et son habitat, semblant déranger la jeune femme d'être détentrice de ces affaires, incommodée de posséder ces objets qu'elle n'eût jamais payé, bénie par cette pluie d'offrandes remplissant sa penderie.

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⏰ Cập nhật Lần cuối: May 15 ⏰

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