Chroniques du Roi-Sorcier - Balkar - l'héritage

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Les rideaux étaient tirés, mais quelques maigres rayons de lune parvenaient à en traverser l'épais tissu. Pour autant, la majeure partie de la vaste chambre du prince Balkar restait plongée dans la pénombre. Paupières closes, la reine Gilaad s'y mouvait avec l'aisance due à une longue habitude.

Les yeux toujours fermés, elle s'avança d'un pas lent et sûr en direction du lit de son fils. La dague qu'elle portait au côté lui pesait avec lourdeur sur la hanche. Elle ouvrit enfin les yeux pour regarder quelques instants dormir son héritier, puis elle étendit sa main sur le front du garçon et repoussa du bout des doigts une mèche blonde. L'enfant sourit, avant de se retourner dans son sommeil.

— Il est temps, murmura Gilaad.

Ses cheveux bancs se soulevèrent faiblement lorsqu'un vent magique traversa la chambre. Une plainte sourde s'éleva tandis que la reine prononçait les paroles antiques que sa famille se léguait de génération en génération depuis des âges immémoriaux. Une forme sombre emplit la pièce de sa présence et se courba devant sa maîtresse. Celle-ci leva une main décharnée et la tendit face à la créature.

— Honore la promesse faite à mes lointains ancêtres. Je te l'ordonne, démon : transmets le Don à mon fils unique, le prince Balkar !

— Es-tu bien certaine de faire le bon choix ? Il était dit qu'un moment viendrait où la magie ne serait plus, répondit l'ombre. Ce temps ne serait-il pas venu, selon toi ?

— Cela ne se peut, affirma la reine. La magie coule toujours dans mes veines. Vois mon corps. Constate les effets de la puissance qui était mienne.

Le démon contempla en silence les traits ravagés de la reine. Elle n'avait pas dépassé la quarantaine, mais sa peau parcheminée et pâle, creusée de profonds sillons rouges, portait ancrés en elle les stigmates de la vieillesse.

— Il est trop tard pour toi, ma Reine. Tu n'as pas su, ou pas voulu me libérer de mes chaînes et ainsi annuler la malédiction qui pèse sur ta famille. Épargne ce destin à ton fils. Il sera un grand roi, avec ou sans pouvoirs. Libère-moi !

— Sans magie pour les contenir, nos vassaux se retourneraient aussitôt contre nous et nous tueraient. 

— Tu te trompes. La puissance n'est pas tout. La volonté de fer dont tu as fait montre a joué son rôle dans ta réussite en tant que guide de ton peuple.

— Non, c'est toi qui es dans l'erreur. Le peuple n'est qu'un mouton qui suit aveuglément celui qui lui montre la voie. Le peuple doit craindre son roi. Il ne doit pas l'aimer. Et en même temps, que lui importe le visage de ses dirigeants ? Il ne le reconnaît que parce qu'il détient le pouvoir et qu'il a suffisamment de détermination pour en user.

— Votre puissance ne tenait qu'au bon sens de vos paroles et de vos décisions, ainsi qu'à vos talents de diplomate. Pas à une quelconque source de magie.

— Il suffit, créature infernale ! Vous tiendrez promesse. Mon fils sera fort, je l'ai éduqué en ce sens. Il écrasera ses rivaux et leur survivra. Il sera le plus grand des Roi-Sorciers que notre terre ait connu. Cela fait de trop nombreux siècles que rien n'est fait pour enrayer le déclin inacceptable de notre grandeur passée.

Sans attendre davantage, la reine s'empara du long couteau qu'elle portait à la ceinture. Elle s'entailla le bras et l'approcha de la créature d'ombre. Celle-ci lécha le sang avec avidité. Son corps se mit à palpiter tandis que la vie de Gilaad passait en lui.

— Mon tendre époux, je te rejoins enfin, expira la reine en s'écroulant au sol.

Le souffle de Gilaad s'épuisa et sa peau desséchée prit la pâleur de la mort. Le silence retomba sur la pièce. La créature d'ombre se redressa et observa le cadavre.

— La magie n'est plus, mais tu auras refusé d'y croire jusqu'au bout. Et me voilà, à nouveau, enchaîné pour une génération supplémentaire, au moins. Puisse ton fils nous délivrer tous.

Étendant sa présence sur le corps de Gilaad, l'ombre lui referma les paupières. Elle paraissait apaisée, délivrée du poids de ses devoirs et de sa trop lourde charge.

Dans son lit, le garçon s'agita. Il s'éveilla tout à coup et comprit, en découvrant le corps sans vie de sa mère que celle-ci avait accompli le rituel. Il ne sentait pas différent de la veille, mais le pouvoir était en lui. Il en était certain. Il ne vit pas la créature d'ombre se disperser, disparaître sans un bruit.

— Aujourd'hui commence mon règne, déclara le garçon en se remémorant les paroles que lui avait fait apprendre sa mère, la reine. Aujourd'hui, je deviens le nouveau Roi-Sorcier !

Il se leva, un léger sourire flottant sur son visage. Il contourna le corps de celle qui fut Gilaad Taberkan, épouse du grand Roi-Sorcier Makuni Taberkan. Déjà, elle retombait en poussière tandis que le souvenir de son existence même se faisait plus ténu dans l'esprit de Balkar. Le Roi se para des symboles de sa charge, le sceptre d'or à tête de lion et l'anneau de cuivre au serpent. Puis, il ouvrit les portes de sa chambre d'une brève poussée.

Bientôt, le monde apprendrait à le connaître.

Bientôt, le monde se prosternerait à ses pieds et lui rendrait grâce.

Ainsi en avait toujours voulu sa mère.

Ainsi en voulait la Magie de l'Ombre.

Les Terres Sombres - Arc des Rois-SorciersΌπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα