V.iolet

63 13 24
                                    


J'avais passé la nuit dehors, une cigarette pendue entre les lèvres, les cheveux en bataille. J'avais sûrement l'air d'une sorcière, mais cela m'était égal. En cet instant, je ne pensais qu'au bruit que produisait le vent dans mes oreilles. Un faible souffle, un grésillement qui me faisait tressaillir. J'étais partie de la maison pour m'éloigner de mes parents, l'espace de quelques heures. La nuit, ils ne pouvaient pas m'entendre sortir, et je pouvais rester éveillée aussi longtemps que je le souhaitais. J'avais besoin d'être seule.

—Oh, merde, ai-je juré en voyant le soleil se lever à l'horizon.

Paniquée, je me suis levée et j'ai dirigé mon regard vers la ville, en contre-bas. J'étais montée sur une colline à un quart d'heure de ma maison. Je devais me dépêcher si je ne souhaitais pas être découverte dehors par ma mère, surtout avec une cigarette dans la bouche. J'avais beau avoir 18ans, ma mère refusait catégoriquement que je fume. Je me suis mise à courir en descendant la pente de la colline, me laissant porter par le vent léger. J'avais l'impression de voler, ainsi courant dans les bras de la brise. Je suis vite arrivée devant la maison, alors j'ai rapidement jeté ma cigarette dans une poubelle alentour.

Je suis montée par dessus le portail arrière du jardin, puis j'ai rejoint ma chambre, au rez-de-chaussée. Ma fenêtre était ouverte, ce qui me permettait de rentrer en silence. Lorsque j'ai regardé sur mon horloge digitale, les chiffres rouges m'ont étonnée. 8:15. Ma mère entrerait dans ma chambre dans environ cinq minutes. J'étais vraiment très en retard. J'ai rapidement discipliné mes cheveux, puis j'ai entendu deux coups frappés à la porte.

—Chérie, debout !

Ma mère a poussé la porte, puis, étonnée, elle m'a souri.

—Déjà prête ! Je vais au travail, a-t-elle dit, répétant les mêmes paroles que tous les autres samedis. Tu te débrouilles ?

—Maman, j'ai dix-huit ans ! me suis-je agacée.

Elle a pincé les lèvres, puis elle est ressortie. Comme chaque autre jour, elle ne s'était pas rendue compte que mes yeux étaient rouges. Chaque soir, je pleurais en silence, la tête cachée sous ma couverture. Mes parents avaient beau me voir sans arrêt, ils ne remarquaient rien. Quand je rentrais de mon boulot en semaine, ils ne voyaient pas que j'étais triste. Devais-je leur en tenir rigueur ?

J'avais besoin d'eux dans cette étape de ma vie, car je me sentais inutile et complètement délaissée. J'avais l'impression d'essuyer des critiques partout où je passais. Mes collègues de travail n'étaient pas assez sympas pour éviter de me rabaisser alors que je pouvais les entendre.Ils pensaient que je ne les entendaient pas, mais en fait, leurs mots me heurtaient.

J'attendais surtout une réaction de ma mère. Mon père n'allait jamais se préoccuper de moi, et je le savais depuis toute petite. Il préférait les bières à sa propre fille.

Je suis sortie de ma chambre après m'être changée et avoir enfilé un sweat confortable. Le samedi était consacré à la sieste et au repos. Dans la cuisine, mon père décapsulait une énième cannette, vêtu d'un jean délavé et d'un pull taché. Malgré les supplications de ma mère, il s'évertuait à garder des vêtements salis sur lui.

—Violet, a-t-il hoqueté en me voyant.

Il a posé une main sur mon épaule puis l'a massée, comme pour me relaxer. Je n'étais pas stressée, pourtant. Je me suis éloignée de lui pour aller prendre mes habituels céréales, puis je me suis installée devant la télé.

—Désolé, j'avais l'intention de regarder ma série. Tu peux rester dans la cuisine, sinon.

Son ton était innocent, mais il insinuait bel et bien que je m'en aille et le laisse tranquille. Une odeur désagréable planait autour de lui, témoignant le nombre considérable d'alcool qu'il avait du boire durant la nuit.

‣¦‣

C'était maintenant ou jamais. Alors, après le boulot, le lundi suivant, je suis partie de la maison. J'avais passé une journée déplorable à cause de mes collègues. J'avais de nouveau entendu des jugements dans mon dos. J'étais assez grande pour les ignorer, mais ça me semblait impossible. J'avais beau me concentrer sur ma tâche, je ne pouvais faire semblant de ne rien entendre. C'était ainsi qu'après avoir pris un sac d'affaires à la maison, j'étais partie. La veille, mon père s'était montré violent envers moi. Il avait été ivre durant toute la soirée. Je m'en voulais d'abandonner ma mère, mais je savais qu'elle pouvais se débrouiller. Mon père n'était pas méchant avec elle.

Je devais être cruelle tout de même, pour pouvoir ainsi m'en aller et laisser mes parents à leurs problèmes. J'étais une fille ingrate. J'étais incapable, lâche et faible. De simples mots pouvaient me détruire, et, après deux ans de supplice, je n'en pouvais plus. Pourquoi le malheur m'avait-il prise pour cible ? Pourquoi personne ne se rendait compte de mon désespoir ?

J'ai marché durant plusieurs heures, entre champs et plaines. Un vent léger soulevait mes cheveux emmêlés, et je repensais à ma mère, de nouveau. J'étais vraiment très lâche.

Comme à chaque fois que je perdais ma confiance en moi, j'ai senti une vague d'adjectifs me submerger. Peureuse. Idiote. Inutile. Moche. Lâche, lâche, si lâche.

Plus je m'éloignais de ma maison, plus le vent soufflait fort. Je l'aimais ainsi, incontrôlé et indécis. Il se calmait parfois, tout comme moi, car il me calmait. Quand une bourrasque devenait une brise, je redevenais souriante et je reprenais confiance.

Je me sentais bien, ainsi libre dans la nature, marchant au gré du vent. Car je le suivais,  selon la direction où il soufflait. Je changeais mon cap selon mon compagnon de voyage, mon nouvel ami. Je courais de temps en temps pour retrouver l'impression de voler, et je me sentais libre comme l'air. Je me sentais devenir inconsistante et rejoindre le vent, flotter à ses côtés. Il était mon remède, le pansement qui guérissait mes blessures.

De nouveau, je me sentais confiante. Les critiques ne m'atteindraient plus jamais, et je ne me laisserais plus humilier. J'étais forte, pour la première fois depuis bien longtemps.

Belle, courageuse, inatteignable et utile.

V.I.SUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum