La bague

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Le soleil se couchait par delà les collines, la nuit étendait peu à peu son emprise sur la campagne irlandaise. Andrew au volant de sa voiture noire parcourait les kilomètres à un rythme effréné.

Ce jeune médecin des faubourgs de Londres avait appris la mort de sa mère. En 1938, la route était encore longue jusqu'à Dublin et le ferry n'attendrait pas une minute de plus. La pénombre croissante angoissait de plus en plus Andrew. Il voyait sa mère allongée sur le lit, sa sœur éplorée assise sur le Voltaire mauve. Distrait, le jeune homme appuyait sans cesse sur l'accélérateur. Les arbres défilaient telles des lignes noires devant le pare-brise, les tournants s'enchaînaient en une mer de goudron râpeux, agitée par la tempête soulevée par le passage de la voiture. Andrew sentait ses yeux lourds et fatigués, ils n'étaient plus que deux poches enflées par les larmes. Il n'avait toujours pas allumé les phares et négociait les virages à vive allure, sans discernement. Une courbe inattendue s'ouvrit devant lui, le menant à travers bois. Il freina subitement, faisant crisser les pneus, sans vraiment avoir eu le temps de réaliser ce qu'il avait vu. Le choc fut inévitable. Il sentit une forte secousse avant d'atterrir dans le fossé. Encore ému par cette sortie de route, il comprit qu'il était trop tard : il ne serait jamais à temps pour l'enterrement de sa mère.

Andrew parvint finalement à s'extirper de la carcasse fumante, qui étrangement ne portait aucune trace d'impact. Il escalada rapidement le fossé pour revenir sur la route. Il s'arrêta et vérifia s'il n'avait aucune blessure. Son bras le piquait, comme si une lame avait percé ses muscles. En reprenant peu à peu ses esprits, il se tourna vers la route. Il n'y avait rien, pas même la présence d'un animal percuté par le bolide. C'était impossible, il l'avait bien vue, cette chose sur la chaussée. Une ombre longiligne immobile. L'avait-il frôlée ? Non, la voiture avait bien reçu un choc, il en était sûr, cette chose s'était retrouvée sous la voiture avant qu'il ne tombe en contrebas.

La nuit devenait plus oppressante, les arbres n'étaient plus qu'ombres menaçantes étirées vers le ciel. La lune, elle, jouait avec les nuages vaporeux. Il ne pouvait pas rester seul au milieu de la route. Alors il se mit à marcher, longtemps, des heures à ses yeux, jusqu'à ce qu'il sorte enfin du bois et arrive sur une plaine. Là, au loin, une maison se dessinait à l'horizon. L'air était lugubre, sans bruit. C'était le calme inquiétant de la mort. Seule une chouette au souffle fort, semblable à une respiration humaine, osa briser ce silence effrayant. Une lumière s'échappait d'une des fenêtres de la bâtisse. Il était peu probable que l'électricité y fut installée. En s'approchant de l'entrée, la demeure paraissait être une ancienne maison de paysan, logée sur des prairies vallonnées. Les pierres avaient souffert du temps, de la terre meuble coulait de leurs plaies béantes. Il frappa à la porte.

Une vieille dame tenant un bougeoir lui ouvrit. Elle arborait un sourire édenté et le fit entrer sans dire un mot. En le menant vers un salon, Andrew commençait à lui raconter ce qui lui était arrivé, la mort de sa mère, cet accident et cette chose. Il remarqua les meubles en bois disposés dans la pièce. Son regard se posa sur de vieux objets loufoques qui étaient déposés sur la cheminée où un Christ côtoyait une patte de lapin. Des photographies trônaient sur un vaisselier. Un bébé figurait sur chacune d'elles avec ce qui semblait être ses deux parents. Dans une autre, mise à l'écart, une jeune fille aux cheveux clairs se tenait contre sa mère, cette même femme qui lui ouvrit la porte. Son œil s'arrêta sur la bague que portait la jeune fille, une croix sertie d'une émeraude.

- Que m'avez-vous dit ? redemanda la vieille dame en s'asseyant autour de la table invitant le jeune homme à faire de même.

- Je vous expliquais que j'ai eu un accident non loin d'ici. Quelque chose... oui... Un animal ou je ne sais quoi est subitement apparu sur la route, rajouta-t-il hésitant. Et j'ai perdu le contrôle de mon véhicule. Il faut que je trouve un garage pour qu'ils sortent ma voiture du fossé.

Son discours était laborieux, il peinait pour retrouver son souffle ainsi que pour tenir ce débit rapide.

- J'espérais donc pouvoir téléphoner depuis chez vous... termina-t-il par dire.

- Je n'ai pas de téléphone, répondit-elle sèchement sans lui faire attention.

Andrew examina à nouveau les photographies, la dame comprit à l'insistance de son regard.

- C'est ma fille, avoua-t-elle. N'était-elle pas belle ? Elle avait dix ans. Si jeune... Sa voix se mit à trembler.

- Qu'est-elle devenue ?

- Morte. La fièvre l'a emportée une soirée d'hiver.

N'osant plus parler, Andrew attendit un instant avant de se montrer plus indiscret.

- Et votre mari, c'est lui sur celle-ci ? Il montra du doigt un homme, une canne à la main, qui souriait.

- Lui aussi, il est mort, cracha-t-elle avec fureur.

Ne voulant plus tellement s'attarder dans cet endroit si hostile, il désirait continuer sa route. Mais la vieille dame l'en empêcha et lui donna une chambre pour la nuit. Il n'oublierait jamais ce qu'il entendit ce soir-là. Allongé sur sa couchette, il entendit du bruit à l'étage, des petits pas rapides parcourir les escaliers, puis une marche lente et claudicante en direction de sa chambre, comme si quelqu'un se déplaçait avec une canne. Le lendemain, Andrew reprit la route et atteignit enfin la ville la plus proche. Il se rendit à un garage et leur expliqua son accident ainsi que l'accueil de la dame. Philip et James, deux garagistes, montèrent dans un des véhicules et se rendirent sur les lieux de l'accident. Au retour, Andrew leur montra la maison dans laquelle il avait passé la nuit. Celle-ci semblait tellement abandonnée à présent. Les deux hommes s'esclaffèrent.

- Mais ça fait longtemps que plus personne n'habite dans ce taudis. Pas depuis que cette vieille sorcière y avait tué sa fille et son mari. Hein ? Te rappelles-tu? Questionna-t-il à son collègue.

- Oui c'est vrai ce qu'il raconte, ajouta le second.

Andrew, déstabilisé, resta silencieux jusqu'à ce qu'ils aient amené la voiture en ville. Impossible. Qui lui avait donc ouvert la porte hier soir ? Arrivés au garage, les deux hommes inspectèrent la voiture et évoquèrent encore ce drame.

- Les faits se sont produits il y a vingt ans de cela. Oui, je m'en rappelle encore, fit-il en plissant ses sourcils. Elle avait gardé sa fille enfermée pendant des années, elle était blanche comme la lune.

- La pauvre petite n'avait plus vu le soleil depuis longtemps, précisa James à son tour. Mais on ne l'a jamais retrouvé. Et son mari, lui, il était handicapé et a fini sur une chaise roulante. Il paraît que son squelette y était toujours, une hache enfoncée dans la poitrine.

Le jeune médecin était hors de lui, son cœur battait à tout rompre et il commençait à suffoquer. Son esprit rationnel défaillait. Il s'éloigna, en essayant de se rappeler de tout.

- Hé, James ! Viens voir ! cria soudain Philip.

Le second se précipita vers le nez de la voiture. Là, une goutte perlait sur la carrosserie avant de tomber, agrandissant ainsi une tâche rouge sur le sol. Les deux hommes ouvrirent le capot. Là un bras détaché de son corps s'était coincé entre les mécanismes. Le membre était blanc, il avait été violemment arraché. De la plaie un liquide rouge visqueux s'échappait, la chair presque brûlée par le moteur chaud, s'était cautérisée. Le jeune médecin porta ses yeux vers la main dont les doigts recroquevillés, telles des griffes, enserraient une bague. Andrew sentit ses jambes céder. La bague portait une croix d'argent surmontée d'une émeraude.

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⏰ Last updated: Apr 06, 2020 ⏰

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