Réécrire le film

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 Je sens encore le parcours de ses mains sur moi, une sensation glaciale dans mes veines, le fantôme d'anciennes larmes sur mes cils. Je me sens vomir mon âme, le cœur au bord des lèvres, et bon sang ça fait mal. Je voudrais lui dire que ce qu'il m'a fait restera à jamais gravé dans ma peau et que j'en tremble encore, je voudrais lui dire que je me déteste de n'avoir rien dit, de n'avoir rien fait pour l'arrêter alors que je me sentais mourir à chaque tracé indésirable de sa main sur mon corps. Mais peut-être qu'il se toucherait en y repensant et rien que d'y songer je ressens le besoin de m'immoler pour effacer toute trace de son passage de manière définitive. Alors j'ai chaud, j'ai froid et je frissonne d'effroi mais je garde le silence.

Et quand je me regarde dans la glace je vois comme une empreinte thermique des endroits où il n'aurait pas dû me toucher, j'entends sa respiration trop près de mon oreille et je me souviens qu'à ce moment-là je m'étais dit que ses yeux posés sur moi, ces yeux que j'avais trouvés beaux auparavant, me faisaient l'effet d'une boue collante dans laquelle j'étais engluée. Il m'a fallu du temps pour comprendre que c'était parce que mon dégoût se reflétait dedans. Et aujourd'hui je me demande encore pourquoi je ne suis pas partie plus tôt. J'aurais pu m'éloigner de cette pièce trop petite dès le premier contact non désiré, jeter les vêtements que je portais ce jour-là et ne plus y penser. Et je m'en veux de m'être infligée ça, jusqu'à ce que dans le tourbillon de ma culpabilité vienne une petite éclaircie et je me souviens.

Il a appâté ma pitié, en a fait une lueur dans l'obscurité à laquelle je me suis accrochée pendant que j'étais engloutie, embourbée dans cette noirceur gluante, poisseuse. Je le savais incapable de me blesser mais son emprise s'était resserrée sur ma gorge, faite d'histoires accablantes et de sourires contrits. Alors j'ai serré les dents, assez fort pour entendre ma mâchoire grincer et j'ai cherché dans son regard un signe de compréhension de sa part, quel qu'il soit. Je n'ai évidemment rien vu de cela, mais j'ai pu sentir la brûlure de son haleine saccadée sur mon épaule. Alors je serrais les dents et priais pour qu'il arrête, ou j'essayais de me convaincre que tous ces contacts n'étaient que fortuits, non prémédités. Et puis il m'a agrippée et j'ai su que cela n'aurait aucune importance pour les cauchemars que j'aurais par la suite, pour la peur que m'inspireraient les hommes après cela. Nauséeuse, j'ai cherché une échappatoire qui n'impliquerait pas de confrontation. J'ai profité d'une absence momentanée pour trouver une excuse, puis j'ai compté les minutes jusqu'à mon escapade. Ce cirque a duré des heures mais chaque seconde me paraissait plus longue que la précédente et je suffoquais. J'ai eu de la chance, je me dis, ça aurait pu être pire. Et pourtant quand j'y repense mes yeux ne manquent pas de se remplir de larmes. Ça aurait pu être pire bien sûr, mais si peu aura suffi à remplir mes cauchemars.

Aujourd'hui encore je me demande ce que j'aurais pu faire mieux, ce que j'ai raté. D'autres me l'ont demandée aussi, ça n'a pas aidé. Je me demande si l'inconfort qu'ils ressentiront sans doute s'ils viennent à lire ce que j'ai écrit aujourd'hui pèsera un peu sur leur conscience. Je me demande aussi stupidement s'il se sent coupable, mais je connais la réponse à cette question et elle me donne envie de vomir. Alors je me demande plutôt si j'arrêterai un jour de rejouer la scène dans ma tête, de chercher à changer le scénario, réécrire tout le film. Jusque-là je reste perplexe, mais on dit que les cellules de la peau se renouvellent peu à peu alors je me dis que dans un an ou deux ça sera comme s'il ne m'avait jamais touchée. Et ça aide, un peu. Ca ne change rien à mon histoire mais quelque part c'est rassurant, et ça me donne de l'espoir.

Réécrire le filmWhere stories live. Discover now