J'arrive au début

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Girl :  Je levai les yeux péniblement du sol qui défilait depuis un temps indéterminé, continu et monotone. Le soleil commençait à poindre, écarlate sur le chemin, tel un dieu sur son trône de terre, dominant un territoire sans frontières. J'avais opté pour une courte pose peu après minuit, mais la perspective de l'importante distance qu'il me restait à parcourir m'avait vite convaincue que de rester étalée les yeux ouverts n'était pas le bon choix, et j'avais promptement repris ma route. Je ne savais plus, alors que le lever de soleil dessinait de longues ombres autour de moi, si j'avais beaucoup avancé, et rien dans les environs ne pouvait me sortir du noir qui m'entourait encore. Seul le temps me dirait si la marche m'avait menée à bon terme. Après avoir quitté ma maison, je n'avais parlé à personne, et seul mon sens de l'orientation et l'espoir avaient guidé mes pas, et ce n'était qu'à mon intuition que je devais mon itinéraire. Pour autant que je sache, je marchais vers le sud-ouest, laissant le feu du ciel légèrement sur ma droite et le vent qui me poussait en avant avait quelque chose de motivant. Dans l'espoir que ma destination finale se découperait bientôt sur un ciel clair, je laissai mes pensées dériver vers ce qui pourrait m'arriver. Les mots de mes parents résonnaient encore dans ma tête, ils ne m'avaient pas quittés en plusieurs jours d'un périple éreintant.

«Marche toujours vers le sud-ouest, et suis sans t'en détourner la route principale. Tu traverseras d'abord plusieurs villages de pêcheurs, le long de la rivière, puis ta route te mènera à la limite de la forêt de conifères, que tu longeras sans y pénétrer. Après quelques temps, tu t'en éloigneras, et pendant de longs jours tu ne verras rien que des plaines où vivent des animaux sauvages mais paisibles, ce sera fade, mais non dangereux. Alors, si tu marches régulièrement, tu atteindras, à l'heure où le soleil touche le sol, la ville des dieux. C'est là que tu te rends, là que tu trouveras ceux qui sauront reconnaître tes compétences. Au revoir, ma chérie.»

Des mots qui s'étaient imprimés dans ma tête comme le cambouis sur un chiffon, indélébiles, pérennes. J'avais suivi à la lettre les instructions qu'ils m'avaient transmises, et je devais toucher à la fin de mon voyage.

La ville des dieux était le nom que l'on donnait à la capitale de l'Empire ; c'était là que siégeait la Guilde Impériale, dirigée par l'Impératrice, héritière – disait-on – des dieux. Dans notre culture, ils étaient considérés comme dotés d'un pouvoir inconnu du peuple, mais très puissant, qui leur permettait de nous protéger des guerriers du khanat voisin, dont le dirigeant nourrissait des ambitions dangereuses, et l'Impératrice était porteuse de ce pouvoir en lequel résidait la principale force de notre nation. Tous les ans, le doyen de la Guilde effectuait un voyage à travers l'Empire, et apportait la parole de l'Impératrice, accompagnée chaque fois d'un texte recensant les nouvelles décisions des dirigeants. Ses récits nous projetaient dans ce milieu de perfection, de toute puissance, qui irradiait et nimbait nos cœurs et nos âmes d'espoir jusqu'à sa prochaine venue.

Et c'était dans cette ville, hôte de l'éminente et remarquable Impératrice, que je me rendais. Malgré moi, j'esquissai un sourire.

Je repris le contrôle de mes sens lorsque l'énorme boule rouge du soleil face à moi me fit cligner les yeux. Une vague d'enthousiasme me gagna avec la promesse d'une journée chaude et ensoleillée.

J'avais quinze ans. Au cours de mes études, des tests avaient montré que je disposais de facultés intellectuelles surpassant la moyenne, et à quelques jours avant mon anniversaire, mon professeur avait convoqué mes parents. Sans pour autant que je sache ce qu'ils s'étaient dit, je savais depuis longtemps les ambitions qu'ils nourrissaient pour moi, et c'était sans surprise que j'avais appris la nouvelle de mon très prochain départ pour la capitale. Il y avait là-bas plusieurs universités, qui, outre leurs réputations qui franchissaient pour certaines les frontières du continent, accueillaient élèves et instructeurs de très haut niveau. En accord avec les règles générales de scolarité, il me manquait deux ans pour tenter l'inscription dans une quelconque grande école, et je redoutais d'avoir à me justifier par mes propres moyens lorsque j'irai me renseigner pour intégrer l'une d'elles.

L'atmosphère était celle d'un beau jour, et les oiseaux dans le ciel volaient haut, planant au-dessus de la lande à de vertigineuses altitudes. Comme mes parents m'en avaient informée, j'avais croisé quelques bêtes isolées, mais si quelques rares m'avaient dévisagée avec curiosité, – en effet, la majorité des gens à notre époque voyageaient, sinon en voiture, du moins à cheval, et toujours sur la route principale – aucun n'avait montré le moindre signe d'agressivité, et, indépendamment des difficultés physiques et matérielles, la nature s'était avérée impassible à ma présence. Depuis plusieurs jours, que je n'avais comptés, je n'avais pas rencontré de civilisation, et le dernier village que j'avais croisé se mêlait à d'autres souvenirs brumeux de ma route. De toute manière, je n'avais pas souhaité d'interaction qui n'aurait rien permis que de me faire m'apitoyer sur un sort qui ne le méritait pas.

Le soleil passa au zénith durant sa course, qu'il poursuivit sans me voir faire de pause, trop impatiente d'arriver. Je ne sentais plus mes membres, et mes articulations, irritées depuis longtemps ,étaient couvertes d'une telle couche de crasse sèche que les frottements, inévitables, rendaient le mouvement résistant. Mon chargement avait connu une nette baisse de poids alors que je consommais mes vivres, et il était à présent réduit au port-monnaie que mon père m'avait confié au départ, et mes quelques affaires. L'après-midi sembla interminable, alors que je fatiguais progressivement, et que je me faisais languissante de la ville. La notion de temps m'avait complètement échappé durant ma randonnée, et je ne savais plus si j'y étais vraiment. La vérité était que je l'espérais.

Et puis d'un coup, dans la lumière rougeâtre de la fin d'après-midi, je réalisai que l'ombre sur laquelle mes yeux étaient inconsciemment posés depuis une durée indéfinie s'avérait être les murs, derrière lesquels s'élevait, fière et droite, la ville des dieux. La terre durcie me figeait le tour des yeux et les paupières, mais une larme de joie quitta néanmoins mon œil, roulant doucement sur ma joue, la brûlant sur toute la hauteur d'une chaleur nouvelle, ardente, emplie d'espoir.

J'étais arrivée au début de ma vie.

J'étais enfin sur la ligne de départ.

La course commençait à Sonthenza.

DuetWhere stories live. Discover now