Chapitre 1

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De tout ceux qui étaient là, elle était la seule. Personne n'aurait pu imaginer ce qui allait se passer, et pourtant tout semblait si prévisible au milieu des arbres carbonisés et des cendres qui tombaient du ciel légères comme des plumes. Le temps s'était arrêté, la vie s'était arrêtée, plus un oiseau ne chantait, plus une âme ne soufflait. Et il se tenait là, où il s'était déjà tenu plusieurs mois auparavant, face à elle. Elle ne respirait plus et pourtant sa fureur et son dernier cri semblaient recouvrir le monde d'un voile de fumée, comme si sa puissance avait repoussé les limites de la forêt, de la région, du pays. Comme si elle avait tout maudit et tout emporté avec elle, brisé les frontières de la vie et de la mort elles-mêmes. De tout ceux qu'il avait rencontrés, expériences ratés, anomalies, cas inexpliqués, elle était la seule à être née avec un tel pouvoir, un tel fléau. Ce profond brasier qui l'avait dévorée. Il se laissa tomber près d'elle et se rappela tout ce que ses yeux à présent fermés avaient vu ces derniers mois, et avant même de se remémorer tout cela, il eut peur. La peur, c'était la peur qui l'avait menée à cette issur, c'était la peur, la pire ennemie de l'être humain.

Asher était une jeune femme discrète, elle ne parlait pas aux autres et se tenait loin d'eux et de leurs états d'âmes qui les rendaient si compliqués. Son isolement attirait les uns et effrayait les autres mais il ne laissait personne indifférent. Où qu'elle eût été, sa chevelure blonde et son regard de braise la détachaient du paysage et du reste des hommes. On la voulait, on la jalousait, pas pour son visage d'ange mais pour cette aura mystérieuse qui flottait tout autour d'elle et envoûtait tout ceux qui l'approchaient. Elle avait quelque chose que les autres n'avaient pas mais personne n'arrivait à savoir quoi. Elle avait pourtant fini par toucher un autre humain, plus par pitié que par amour, et au fil du temps elle avait commencé à éprouver de l'affection pour lui. Theo avait toutes les qualités d'un bon petit ami, cependant, il considérait Asher plus comme un trophée que comme son égale, elle le savait, il était fier de pouvoir dire aux autres qu'il lui parlait, qu'il la touchait, ce que personne n'avait jamais réussi à faire. Il ne savait pas qu'elle l'avait choisi parce qu'il avait persévéré durant des mois et qu'elle était épuisée de repousser ses avances, ou encore qu'il lui servait surtout à se rassurer elle-même, à se dire qu'elle n'était pas sans coeur, puisqu'elle l'appréciait. Certains avaient eu du mal y croire, autant qu'elle, parce qu'elle était toujours distante avec lui, et que même si on pouvait le voir poser son bras autour de ses épaules, ou lui décrocher un sourire timide, elle semblait s'en méfier plus qu'autre chose, comme si une force supérieure la tirait hors de ses bras. Theo n'était pas duppe, il voyait bien qu'elle n'était pas amoureuse, tout le monde le voyait. Et Asher avait beau faire tous les efforts du monde, si quelqu'un lui avait dit qu'elle pouvait tomber amoureuse de lui, qu'il lui suffisait d'aller à l'autre bout du monde et de retrouver un quelconque objet à la dérive au beau milieu de l'océan, ou d'escalader le plus haut sommet de cette terre, juste pour ressentir la passion s'emparer d'elle et l'attirer vers lui, elle l'aurait fait. Mais personne ne peut s'imposer de tels sentiments, et Asher, bien qu'elle manifestât une force de caractère terrible, n'y faisait pas exception. Pourtant ils restaient ensemble, parce que même s'ils n'étaient pas heureux, ils n'étaient pas malheureux non plus, et les choses continuaient ainsi, plates, fades, mais réelles. Jusqu'à ce soir de septembre où elle était restée figée face à son écran de portable, les yeux rivés sur une photo qu'une colporteuse de ragots lui avait envoyée "malencontreusement". Une photo de lui, avec une fille qui n'était pas Asher, et quand bien même elle n'éprouva aucune sorte de jalousie, elle se sentit trahie. Elle sentit soudainement un goût amer se répendre dans sa gorge et sa poitrine se mit à la brûler comme si on y avait jeté un flambeau avec rage. Juste pour la faire exploser. Peut-être faisait-il cela justement pour qu'elle manifeste un intérêt plus profond pour lui ? Mais ce n'était pas une raison, ni une façon de faire. Elle ne tarda pas à se rendre directement chez lui, la rage au ventre, comme si rien ne pouvait plus l'arrêter. Le jeune homme balbutia d'abord, éleva la voix ensuite, puis il ne tarda pas à l'accuser de sa propre erreur.

"Tu ne m'aimes pas ! Tu n'aimes personne !"

Elle aurait voulu lui dire que si, lui hurler qu'elle ne voulait pas le perdre, qu'elle avait besoin de lui, qu'il la rendait heureuse. Mais cela ne fit que lui traverser l'esprit, les mensonges ne pouvaient pas atteindre le bout de sa langue. Et alors qu'elle tentait de contenir sa colère, la sienne explosa, et il ne put s'empêcher de parler, il enchaînait même parfois deux phrases sans reprendre son souffle, tant il était remonté et paniqué. Cette fille qu'il trouvait depuis toujours exceptionnelle semblait encore plus inaccessible depuis qu'il la cotôyait, plus il voulait s'en rapprocher et plus elle s'éloignait, sans même le vouloir, et il sentait que rien, et surtout pas lui, ne pouvais la contrôler, la ranger parmi les autres.

"Je ne sais pas comment tu fais, criait-il, je ne sais pas qui tu es, ce que tu es, tu ne parles pas, tu ne dis jamais rien, et j'ai l'impression que chaque pensée te pousse davantage au silence et au mensonge, je suis fautif de t'avoir trompée et trahie de la sorte, mais tu es coupable de m'avoir humilié jour après jour pendant ces quelques mois où j'espérais que nous allions aboutir à une réelle histoire. Tu es le vrai monstre, le vrai coupable, c'est toi qui n'es pas capable d'aimer, toi qui te tiens à l'écart de la vie, qui ne sait pas apprécier les bonnes choses..."

Il l'avait traitée comme un monstre, comme si elle avait arraché son coeur de sa cage thoracique et qu'elle l'avait écrasé, puis découpé en morceau devant lui. Elle se sentit encore plus humiliée, injustement insultée. Et chaque mot qu'il prononçait ne faisait que renforcer la colère de la jeune femme, si bien qu'elle eut l'impression que son sang s'était mis à bouilloner dans ses veines, au point qu'elle n'eut plus que pour seule envie de claquer la porte et de partir loin, prendre l'air, histoire de calmer sa rage. Mais au moment où elle tourna le dos à Theo, il l'attrapa brusquement par l'épaule et la fit se retourner. La jeune femme eut pour seul réflex de le pousser violemment. Il essaya de la calmer, mais la main qu'elle avait posée sur son torse se mit à chauffer, à brûler, et il se mit à crier. Lorsque Asher comprit qu'elle lui faisait mal et qu'elle retira sa main, il était trop tard. Ses vêtements avaient pris feu, comme s'il sortait d'une maison incendiée, il se mit à hurler de douleur, et elle resta paralysée, ne comprenant pas comment une telle chose avait pu arriver, ni comment elle avait pu faire cela sans s'en rendre compte. Les parents de Theo furent alertés par les cris de leur fils, ils se précipitèrent dans la chambre et tentèrent d'éteindre les flammes en le recouvrant d'un rideau que l'adrénaline dans le sang du père avait permis d'arracher d'un coup sec. Mais les flammes ne s'éteignirent que lorsque Asher quitta la pièce, complètement troublée et apeurée par ce qu'elle avait senti monter en elle au moment de l'incident. Elle se mit à courir dans les rues sombres sur lesquelles les lampadaires diffusaient leur lumière rassurante, sans aucune direction en tête, seulement la lune, qui semblait s'éloigner un peu plus à chaque pas qu'elle faisait. Elle se réfugia chez elle, sans adresser un seul mot à ses parents, sans donner aucune réponse au regard inquiet de sa mère. Qu'avait-elle fait ? Etait-ce vraiment de ses propes mains que le feu avait jailli ? Recroquevillée sur elle-même, elle n'était plus capable de penser clairement, tout se mélangeait et elle n'était plus que spectatrice de ce que son esprit produisait. Elle revit les flammes jaillir des vêtements de Theo, lui qui se roulait à terre en hurlant, ses parents qui s'efforçaient d'éteindre les flammes sans résultats. Il faisait une chaleur étouffante dans la chambre, son propre souffle lui brûlait les lèvres. Elle se leva et ouvrit la fenêtre, et alors que l'air frais de la nuit pénétrait doucement dans les pièce et lui caressa le visage, elle entendit les sirènes résonner à l'autre bout du quartier. C'était réel, c'était grave. Comme si elle avait peur que sa fenêtre la trahisse, elle s'en éloigna et se laissa tomber dans un coin de sa chambre, elle se terra dans l'obscurité, osant à peine respirer, à présent elle savait qu'elle était coupable de quelque chose de grave, quelque chose qui la dépassait, mais qui venait d'elle, peut-être Theo avait-il raison, peut-être n'était-elle qu'un monstre. 

CendresWhere stories live. Discover now