the fault in our books

2. faute de sentiments

« Je venais de la/le rencontrer il y a si peu de temps. Et pourtant, je l'aimais déjà à la folie »

Lumières. Guichet ? Oui, force un peu sur la main s'il-te-plaît, nous sommes en retard comme nous ne l'avons jamais été. Un an Guichet, un an que l'on prépare la deuxième série de l'émission et un an que les spectateurs sont en rogne. Tu mérites la destruction immédiate.

Oui oui, allez, tiens-toi derrière moi. Ça y est ? Trois, deux, un ; musique.

Bonjour, bonsoir à tous ! Quelle immense joie de vous retrouver aujourd'hui ! Le temps s'est fait long cette fois-ci, je le sais bien, je le sais bien, et nous en sommes terriblement peinés.

Guichet, au lieu de ce sourire béat, tu ferais bien de mimer une mine désolée, dans le cas contraire nous aurons du mal à les douiller, ces pauvres gens. Voilà, fabuleux.

Hum, votre attention s'il-vous-plaît ! Mes chers spectateurs il est temps pour vous de découvrir la phrase que moi et mon assistant avons piochée ce matin-même, dans les bois, et que nous allons décortiquer pour vous telle une crevette borgne et boiteuse.

Mais d'abord, et comme de coutume, nous cherchons à savoir ce que signifie aimer. Qu'est-ce-que, véritablement, l'amour véritable ?

Aimer, v. ; faire passer la totalité de sa vie après la personne/l'objet concerné(e).

Hé oui, rien que ça. Autant vous dire qu'à cause de moi Guichet ne fais plus rien !

Hum.

Hum, bon. Passons à la suite si vous le voulez bien.

Une bonne critique commence par une bonne analyse du sujet ; et en l'occurrence cela revient à en faire ressortir les mots-clés : « rencontrer », « peu de temps », et « aimer à la folie ». Ce que je veux dire, maintenant, c'est que je détecte une anomalie au niveau de l'association de tels mots entre eux. Et d'un point de vue plus particulier, au niveau de « peu de temps » et « aimer à la folie ».

Aimer à la folie en peu de temps.

Je ferai une courte pause afin de t'ordonner, Guichet, d'inviter nos préférés antagonistes sur le plateau, Racoin et Herwest, puis de sortir le bac de tomates du garage. Tu peux à présent les en couvrir des pieds à la tête ; ne te fais pas prier surtout.

On reprend ? Aimer à la folie en peu de temps. Ce concept prétendrait ainsi qu'il est complètement possible de tomber amoureux d'untel en une semaine tout au plus et de le rester jusqu'à la fin de sa vie ; telle est la mode (absurde, il faut tout de même l'avouer) d'aujourd'hui. Si l'on veut se baser sur des faits réels, l'on peut se reporter à la plus belle histoire romantique (et grotesque, ne nous voilons pas la vérité) qu'il m'est été donnée de connaître : celle de Racoin et Herwest. À ce propos, Guichet, ne reste pas planté en plein milieu de l'estrade, s'il n'y a plus de tomates, tu vas chercher un deuxième bac au garage, voilà tout.

Bien. Je sens que vous mourrez d'envie de savoir comment le chemin de nos deux tourtereaux se sont un jour croisés pour ne jamais plus se séparer (sauf exception pour les allées et venues de chacun aux latrines, qui pour le coup, ne se font pas accompagnées). Racoin était fermier. Jeune, mais fermier tout de même. Il aimait les chèvres. Et ce soir-là, comme il avait eu l'occasion de quitter la campagne et de se trouver au petit bar de la ville, il venait de poser son regard sur la plus belle serveuse du local, suite à un petit accident : il avait éclaté sa chope de bière sur le sol en parfait maladroit de naissance et Herwest avait accouru. Elle était très jolie, elle avait les cheveux bleus et des yeux émeraude avec une petite jupe en dentelle noire. Bien sûr, Racoin s'est redressé sur son tabouret en manquant de tomber en arrière et il remet soudain son chapeau de paille en place en lui lançant : « Tu es la plus belle chèvre que j'aie jamais vue ». Herwest rougit en se plantant quelques morceaux de verres dans les doigts ; on ne sait pas si elle se teinte de cramoisi à cause du charisme de Racoin ou à cause de la douleur qu'elle essaie de contenir en silence. Dans tous les cas, le jeune paysan était sous le charme et il est rentré dans sa chaumière comme sur un petit nuage.