Emmanuel

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     Je marchai sur une autre rue dont je ne connaissais pas le nom sur le long de la Seine aux petites heures du matin. Les rues étaient désertes en raison des temps froids que l’on avait connus cet automne à Paris. Je revenais d’un autre bar d’où j’avais sorti, coups de pied au cul, avec une bouteille de Jack à la main après m’être battu avec l’entièreté de la communauté Irlandaise qui se résumait à environ 75% des personnes qui s’y trouvait. Avec un sourcil ouvert d’où le sang s’écoulait pour suivre mon arcade sourcilière pour continuer son chemin sur ma joue, je cherchais désespérément à retrouver ce que j’avais perdus il y a bien longtemps.

     Je tournai à droite afin de traverser un pont dont le nom m’échappait aussi. Je m’arrêtai à mi-chemin sur le pont pour me pencher par-dessus le garde-fou qui protégeait les piétons imprudents de se précipiter dans la Seine. Je pris une longue gorgée de Jack Daniels.

     J’avais commencé à boire il y a déjà beaucoup trop longtemps et je n’arrivais même pas à me rappeler de quel âge j’avais. C’était en recherchant en vain quelque chose qui pourrait me faire sentir en vie. L’alcool avait apporté à ma vie cet aspect de l’incertain qui lui donnait toute son importance. C’est bien la seule raison pourquoi je persistais à en boire. Je parcourais les rues illuminées dans ces temps où le tourisme était très peu fréquent ce qui me permettait de laisser mon esprit se reposer pour quelques temps. Je vivais à 100 miles à l’heure essayant de pouvoir oublier à quel point je désirais changer de vie et finalement pouvoir ressentir un sentiment autre que la peine qui m’avait habité depuis la mort de mes parents à Marseille. Le jour de leur mort me hantait régulièrement durant les quelques heures que je consacrais à dormir.

     Je m’ennuyais des émotions que j’avais connues seulement à leurs côtés. Le simple fait de sourire me hantait comme un parasite toujours dans le fond de ma pensée sans que je ne puisse l’en chasser. À chaque fois que je vois des touristes, je me sens m’effondrer de l’intérieur. À chaque fois qu’un père tient la main de son fils alors qu’ils traversent la rue, je me meurs un peu plus. À chaque fois qu’une mère porte son fils après avoir une journée à marcher alors qu’il s’endort peu à peu dans l’étreinte chaleureuse maternelle.

     Je regardai dans l’eau qui passait sous le pont et me laissai flatter par le vent. Le vent m’avait toujours guidé dans mes décisions, aussi irresponsables qu’elles furent. Cette soirée-là, le vent me mena sur la balustrade de ce pont. Il me fit tourner sur moi-même pour faire dos à la Seine. Je regardai en l’air. Qu’est-ce qui pouvait y avoir là-haut ? Des étoiles, un ciel, mais un paradis ? Est-ce qu’un Dieu existe vraiment ? Si oui, alors pourquoi est-ce qu’on se sent ainsi ? Pourquoi chacun de nous doit survivre au pire pour être fort ? Pourquoi y-a-t-il des gens qui se meurent de faim alors que d’autres mangent tellement qu’ils engraissent jusqu’à en mourir ? Quel genre de Dieu laisserait faire ça. Quel genre de Dieu laisserait les humains s’entretués pour des bouts de papier auxquels on attache tant de valeur.

     Je n’avais pas ce que certains appelaient la foi. Je ne crois pas qu’on puisse trouver après la mort, un paradis, un monde meilleur. Je n’avais jamais partagé cette naïveté et je ne le partagerai jamais d’ailleurs. Cependant, l’idée d’un endroit meilleur. Je crois en les mots de Rabelais à ces derniers moments : « Je vais quérir un grand peut-être. » C’est ce que j’avais cherché depuis que je les avais lu dans une bibliothèque à 15 ans. C’est ce que j’avais cherché dans mes fonds de bouteilles et dans mes cendres de cigarettes. C’est que j’avais cherché en suivant le vent.

     Cette soirée-là, le vent m’avait pointé vers mon grand peut-être. Il m’avait pointé au fond de l’eau. Alors j’avais levé un pied au-dessus de l’eau, puis l’autre, et j’avais lâché de Jack qui se fracassa sur la balustrade en même temps qu’une femme se mit a crier. 

***

         Je n’étais pas mort, mais surtout, je n’étais certainement pas dans un grand peut-être. J’étais à ‘hôpital, saint et sauf, enfin, si on peut en dire autant. Je n’avais toujours pas prononcé un mot depuis mon réveil il y avait déjà quelques heures. Les infirmières ont bien voulu me faire parler, mais j’étais impartial. J’ai longtemps pratiqué cette technique et j’en étais devenu un expert.

         On m’avait nourri d’un gruau aux textures et au gout horribles. J’en avais mangé jusqu’à temps que je sente l’horrible mixture remontée mon œsophage. Heureusement, j’ai réussi à m’empêcher de la régurgiter. Une autre chose dans laquelle les nombreuses années passées à me souler me rendirent spécialiste.

         On finit par me laisser regarder a télévision sans trop me déranger. Je passai à travers les chaines jusqu’à ce que les nouvelles piquent ma curiosité.

         « Deux individus ont tenté de se suicider hier soir dans les eaux de la Seine. À un intervalle de 37 minutes selon la police, ils auraient sauté à une distance de quelques mètres. Ils ont tous les deux été transportés à l’Hôpital de l’Hôtel-Dieu où on a pu les maintenir en vie. Apparemment, ni l’un ni l’autre ne se connaissent. Cet évènement pourrait susciter des questions voire à l’existence du destin. »

         Je regardais fixement la boite de 32 pouces datant des années 50 qui servait de télévision. Les images de la reporter devinrent celles des scènes où les deux individus auraient sautés. Puis, deux photos arrivèrent sur l’écran. Du côté gauche était une jeune femme d’environ mon âge. Elle avait de longs cheveux roux dont les pointes étaient blondes. Son nez était percé d’un anneau d’or que je pouvais à peine distinguer sur l’écran rempli de pixels. À sa droite, il y avait a photo d’un jeune homme blond. Ses cheveux étaient frisés et tombaient sur ses épaules. Sa barbe était vieille de trois jours environ et je n’avais même pas besoin de le déchiffrer de sur l’écran pour une très simple raison. Ce jeune homme, c’était moi.

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⏰ Last updated: Jul 19, 2013 ⏰

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Paris, ville lumièreWhere stories live. Discover now