Dans une pièce du bâtiment de la Zucker Hillside à New-York, aux États-unis, un homme d'une soixantaine d'années se tourne les pouces.
Assis sur une chaise en fer, dans les locaux affiliés aux interrogatoires des médecins, il porte ses deux coudes sur la table en fer.
Il a le regard contrarié, un soupçon de fatigue due à un manque de sommeil. Il porte sa main droite sur son front, en murmurant des mots inaudibles.
Son gardien, un afro-américain, de grande taille, tenant à rester le plus réservé possible, se tient près de la seule porte, donnant accès à ce sept mètres carrés.
C'est ici que l'homme, dont les cheveux blancs trahissent des années de vie bien remplies, se retrouve après avoir agressé un de ses collègues à son domicile. La victime ayant sommé sa femme de téléphoner à la police, avait sauvé ses vieux jours. Mais, au vue des premières réponses données par le sexagénaire, il fut décidé de l'extrader dans un hôpital psychiatrique afin de mieux cerner ses propos.
« C'est à n'y rien comprendre », avait déclaré le commissaire ayant assisté à son premier interrogatoire.
« Ou il est fou... ou nous sommes face à une grosse blague », avait glissé l'inspecteur en chef.
Mais c'est la déclaration finale qui fit pencher les médecins dans une situation de validation en cas d'hallucination. Je cite très clairement les mots des premiers psychiatres dépêchés au parquet :
« On se croirait dans une science-fiction telle la matrice, tellement il a l'air de détailler les faits, comme si ils étaient réels »
Soudain, on entend des pas à l'extérieur. La porte ne tarde pas à s'ouvrir sur trois hommes, en uniforme de médecin blanc. L'un d'eux, chauve, lui adresse un brin de sourire. Le plus indiqué des trois s'assit sur la chaise, en opposition à celle du vieil homme.
Il dévisage un moment, celui qui, sans surprise, allait lui poser les mêmes questions lassantes.
Le concerné, en effet, se dépêche d'ouvrir un énorme dossier contenant des informations sur l'agresseur à la mine harassée. Le médecin lève finalement les yeux vers le fameux patient, car oui, L'homme avait déjà interpellé pas mal de personne du métier, comme un nouveau cas parmi tant d'autres, mais avec une réaction bien inattendue de la part de certains cas dans son genre. Mais ne dit-on pas qu'il ne faut jamais s'étonner des actions d'un fou ?
— Bien, Monsieur Butler, débute le médecin, replaçant ses prunelles sur la fiche. Je suis le Dr. Plitz Norkwood... Je suis en charge de ce département...
— Tout ce que je veux, interrompt sans attendre le patient, c'est que vous me laissiez rentrer chez moi... Je n'en ai rien à faire de vos avis...
— En effet, Monsieur Butler, nous faisons en sorte de régler tout ceci le plus vite possible... Notre vœu est de vous voir très vite, reprendre vos habitudes au musée national.
Le vieil homme parait plus calme, prêt à coopérer.
— Bien, Monsieur Butler, vous permettez que je vous appelle Franck ?
— Faites comme bon vous semblera...
— Alors droit au but, Franck... Pourquoi être descendu chez votre ami... vieux camarade, de longue date par ailleurs, me semble-t-il ?
— Je crois l'avoir répété des dizaines de fois à vos collègues... J'étais venu demander un renseignement...
— Un renseignement ?! Et sur quoi, Franck ? Et surtout, à pareille heure ? Minuit vingt si les rapports des témoins s'avèrent exactes.
— Je viens de vous le dire, j'avais besoin de renseignements...
Le questionneur tourne machinalement les pages de son dossier tout en maintenant dans ses doigts un stylo plume qu'il tourne dans tous les sens, par occasion. Il s'arrête sur un paragraphe et le lit à haute voix :
— Il est écrit, que Monsieur Franck Butler, homme de soixante-cinq ans, a sonner à plusieurs reprises à la demeure des Stanford, a été reçu au seuil de la porte par le père de famille d'une cinquantaine d'années et a engagé une discussion de quinze minutes, montant de plus en plus le ton face aux incompréhensions du cinquantenaire. Cela s'ensuit d'une violente dispute de deux minutes. Le demandeur prend au collet le père Stanford et le plaque au mur de son couloir. Sa femme se présente, alertée par les bruits incessants. Voyant son mari dans cette position, elle obéit aux ordres de son époux d'appeler immédiatement la police.
L'objet de cette querelle, demande-t-on au père Stanford : « il voulait prendre une dizaine de mes cartes. »
Le médecin relève la tête.
— Alors, Monsieur Butler, comment pouvons-nous expliquer ce comportement vis-à-vis... d'un proche... qui, si j'en crois les nouvelles dans le Times vous a permis d'achever un livre fort prisé dans le domaine social... Vous vous attaquez d'ailleurs à l'histoire des derniers survivants du camp de Churchill... Alors comment tout cela est-il possible ?
— Ils existent, docteur, commence l'homme d'un air dur.
— Pardon, je ne comprends pas... Qui est censé exister ?
— Je crois avoir répondu à cette question, lors de mon interrogatoire dans les locaux de la police... Mais là n'est pas la question, docteur.
Il serre du poing sur la table, la face toujours sèche.
— Plitz, puis-je vous demandez de laisser votre classeur une seconde... et de prendre la peine de considérer la chose ?...
Un silence s'installe dans un intervalle de deux à trois minutes, pendant lequel le responsable des lieux ferme lentement le dossier, ayant la taille d'une affiche et volumineux tel un journal pour étudiant. Il relève la tête et fixe calmement son patient.
— Quelle chose, Franck ? reprend-t-il, le visage cherchant réponse.
Le silence qui s'ensuit, plombe l'ambiance de la pièce. Au fond, on constate les deux autres médecins notant quelque chose dans leur carnet, adossé au mur, chacun sur un escabeau métallique à trois pieds, cette fois. Le gardien, lui aussi assis, reste concentré sur les faits et gestes du sexagénaire.
— Je crois avoir halluciné ces derniers jours... Vous vous souvenez de la jeune fille qui a avoué un jour être en relation avec une sorte de conscience l'assistant dans ces choix de vies ? Un jeune prodige du violon qui est devenue présentatrice télé aujourd'hui ?
Constatant le hochement de tête de son interlocuteur, l'homme continue :
— Elle avouait que cette voix lui parvenait d'un autre monde appelé Lodart... et qu'elle n'avait aucune raison de le cacher... Cela m'amène à vous assurer aujourd'hui que tout ce qu'elle a declaré...
L'homme sent une émotion monter en lui. Il arrive tout de meme à achever sa phrase :
— Eh bien ! Il existe... J'ai... j'ai eu droit à des visions de ce voyage... et tout ce que vous voulez...
— Et vous ne croyez pas qu'il s'agit plutôt d'un mélange de vos souvenirs de cette émission ? rétorque le médecin.
— La vérité est que j'ai suivi cette émission après avoir été longuement traumatisé par mes visions...
— Et selon vous, ne s'agirait-il pas d'un manque flagrant de sommeil ?
Le prévenu s'est arreté en chemin, le regard toujours si dur. Il a ressenti le poids de cette question. Cela ne tarde guere à continuer sur sa lancée :
— Vous êtes-vous déjà figuré un monde... où toutes les lois que vous croyez avoir été inventées par notre espèce... existent depuis des millénaires ?... C'est drôle en y pensant, à présent, je ne sais quoi dire de plus... À part, qu'une petite fille ayant à peine la taille d'une brebis... est capable par sa seule volonté... d'écraser un buffle... Un voyage... où tout n'est que mystère et beauté... Et pourtant, une prophétie tente de mettre un terme à cette paix...
— Et selon vous, comment ce monde doit être sauvé ?
— Il faut retrouver le porteur... suivre le cœur du diamant rouge... et... marcher sur les traces du pèlerin...
— Qui sont ces personnes ?
— La clef qui garde les secrets de la flamme... Les sept réunis pour le défendre seront de la partie...
— De quelle flamme parlez-vous ?
L'homme se mure à nouveau dans un silence déchirant. Il délie finalement la langue en ayant une goutte de larme qui perle le coin de ses yeux.
— Retrouvez la flamme d'Atlanta...