— Que se passe-t-il ?
— Il y a une queue qui s'est pointé pour essayer de le stopper. Il arrive à éviter la blessure qui risquait de lui être infligée. Il continue. Quelque chose de noir et de rapide vient de l'érafler. C'est un e-motio dévoreur évolué. Il... Oui, c'est Mégaira qui vient d'apparaître. L'homme s'est arrêté. Il est toujours debout, mais il gémit. Il transpire et tente de reprendre sa respiration. Il tient son bras droit. C'est là qu'il a été touché.
— Mégaira ! Il s'est fait rattraper par ces bêtes...
— Ils sont tous sortis : Mégaira, Tisiphone, Alektõ et même Hochmut. C'est vraisemblablement l'heure de son jugement.
— Son jugement ?
— Oui... lorsqu'un inconnu pénètre la Toile, il finit, s'il a de la chance par obtenir un procès, avant d'être jugé pour son audace.
— Aucune chance de survie ?
— Je n'ai vu que peu d'infiltré en réchapper. Et tu en fais partie. Ah, ça commence... Hochmut s'avance l'air sévère... Il débute par des insultes... Il dit que ce sont les ancêtres de la race des hommes qui se sont enorgueillis et ont décidé de fouler le pied de la demeure des e-motios. « Auriez-vous oublié que c'est vous qui nous avez rendu plus dur envers vous ? » lance-t-il, sans perdre son sang-froid. Le prêtre...
— C'est Nsenga...
— Ah, oui... Merci... Nsenga n'arrive pas à comprendre... Il dit clairement : « Nous ne sommes pas entrés sur vos terres pour vous piller... nous nous sommes aventurés dans le but d'obtenir... » Il est coupé abruptement par Hochmut qui lui sourit tout en achevant à sa place : « des trésors appartenant à ces terres, n'est-ce pas ? »
» Hochmut se rapproche de Nsenga. Ce dernier n'est pas en forme. Il a envie de reculer, carrément de chanceler — Ah, il parle à nouveau — Je parle pour mes compagnons et pour moi-même, dit-il en considérant l'imposante bête face à lui. Hochmut reprend : « Humain... croyez-vous pouvoir nous duper encore une fois ? Votre monde est suffisamment bien organisé pour n'avoir aucunement besoin de venir fouiner par ici. »
— Que font les autres ?
— Ils restent comme à leur habitude en retrait, mais surveille toujours Nsenga. Hochmut continue sa phrase : « Nous avons beau être cajolé, protégé... l'envie nous viendra toujours de vouloir en obtenir plus ». Nsenga se défend : « je ne suis pas entré dans la Toile pour dérober un quelconque savoir ou même un trésor... pas même une feuille... Je suis ici pour rencontrer... »
» Il est à nouveau coupé par l'e-motio : « ...pour obtenir beaucoup plus, n'est-ce pas ? Nous sommes au courant de ce que tu convoites... C'est absolument époustouflant comme les hommes restent toujours possédés par un élément hors de leur portée, alors qu'il leur suffit de se concentrer un peu pour trouver la réponse en eux... » Il s'arrête... tiens, il reprend : « oh, excuse-moi ! Tu pensais qu'il te fallait vraiment voyager pour obtenir satisfaction ? Ou devrais-je plutôt dire... que tu connais déjà la réponse, mais... franchir frontière, tu rechignes... n'est-ce pas ? »
» Nsenga abaisse son bras. Il fixe l'e-motio et parle enfin : « je ne suis pas extraordinaire. C'est vrai, pourquoi faire tout ce chemin pour une réponse que j'entrapercevais dès le premier pas lancé devant le seuil de mon temple ? Pour tromper qui, hein ? Mais... aussi fou que cela puisse vous paraître... Je... J'ai ressenti ce besoin... pour la première fois depuis des années, je me sens maître de mon destin. Pas de chef, pas de pression, juste un voyage... Une quête pour une réponse qui m'était déjà limpide au départ : prends tes deux jambes et lâche tout et prouve-toi que tu existes. »
» Il ne parle plus et fixe l'e-motio qui s'est penché à cinq centimètres de son nez. Ils s'étudient mutuellement — Ah, il reprend : « même si cela semble égoïste, on n'y peut rien. Tout comme il est impératif de manger et de boire, il est nécessaire à notre misérable espèce de se chercher une raison d'exister... de creuser un sentier plus personnel à travers la roche. Plus d'une porte, nous faut-il. Plus d'un pilier... qui nous corresponde. »
» Hochmut répond sans attendre : « Serais-tu prêt à tuer pour cela ? » Nsenga rétorque : « le jour où le sang d'un innocent tombera à cause de moi, je me devrais de passer de la poussière sur ma tête, de faire pénitence et de tenter par tous les moyens de réparer la faute, même si cela doit me prendre tout ce qu'il me reste de vie ».
» Hochmut renvoie la balle : « pourquoi ne pas disparaitre pour expier ses péchés ? » Nsenga répond : « ce serait être un lâche que de ne pas affronter pire que la mort : ses responsabilités ». Hochmut le fixe encore. Ils ne se quittent plus des yeux. Finalement, il se redresse quelque peu sans briser l'échange oculaire. J'n'y vois rien sous cet angle... attends...
— Alors ?
— L'e-motio parle à nouveau, il dit : « C'est en cherchant ce que l'on est réellement pour soi, que l'on abandonne quelque chose de petit pour s'ouvrir à quelque chose de plus grand. Humain... Ce que tu cherches te sera bien difficile à obtenir... mais si ton cœur est pur, alors, il se présentera à toi. Tes compagnons n'étaient pas digne de chercher ce qu'ils étaient venus piller ». Nsenga écarquille des yeux : « que leur est-il arrivé ? » En disant cela, il se tourne vers sa gauche où il reconnaît Alektõ, l'implacable. Hochmut répond calmement : « ce fut expéditif, mais justice fut tout de même faite. Je suis désolé de l'apport d'affection que tu continues à entretenir pour ces moins que rien, mais vois-tu... ces insectes ne sont plus... » Nsenga est effaré. Il ne sort pas un mot. On dirait qu'il s'émiette sur place. Il reprend aussi : « et la jeune aventurière, qu'en est-il de sa situation ? » Hochmut lui donne l'information : « Alpha ? »
Nsenga hoche de la tête. Il se refuse à le croire.
Hochmut se presse d'effacer toutes incompréhensions : « Ne te méprends pas... Alpha est en sécurité. Elle a démontré un fort talent que tout ce qu'on imaginait. Il te faut traverser la porte pour la rejoindre ». Nsenga s'étonne à nouveau : « traverser pour où ? Est-elle hors de la Toile, à présent ? »
Mentio cesse abruptement de détailler ce qui se passe là-bas.
— Qu'est-ce que tu as ?
— Eh bien ! Ils sont entrain d'ouvrir la porte à Nsenga.
— Aussi simplement ?
— Ils reprennent à parler : « prêtre de la kerha ! Bon voyage dans l'Eden... si tu as de la chance, tu la trouveras... »
— Et c'est tout ?
— Oui... Je ne distingue plus grand-chose. Tout est blanc. Ils ont disparu.
— Peux-tu préciser l'endroit où Nsenga se trouve actuellement dans l'Eden ?
— Hum... non, malheureusement... Je ne le vois pas encore. Il est voilé par un mystérieux pouvoir. Ce doit être un endroit pas très recommandable.
— Qu'entends-tu par-là ?
— Il existe trois emplacements où les connexions sont difficiles à établir : le district de la hache de la colère, celui du palais de la joie, ainsi que celui de l'antre de la honte. Nous pouvons un tout petit peu compter le district du trou de la mort, pendant les temps de blizzard.
— Je vois, achevé-je, tout en considérant un trait gris droit devant nous.
Les arbres dudit gris font nettement office de frontière. On reconnaît ce qui doit être la limite du district de l'aube de la surprise.
— Nous y sommes... Là, au loin en gris, c'est la frontière du district du souffle de la peur. Nous allons pouvoir continuer notre route.
Après quelques minutes, nous observons la bête se recroqueviller. Ses pattes transparentes se collent à son ventre. Il commence à dégringoler doucement. D'une décélération régulière, nous procédons à l'atterrissage. Je remarque une sorte de point, près de la frontière. C'est une autre créature.
Nous finissons par toucher le sol. Le paysage n'a pas changé. Toujours d'un blanc sans tâche. Je fixe notre passeur pour ainsi dire : c'est un tigre se noyant dans le décor, de taille moyenne avec des yeux blancs luisants. C'est bien un puissant e-motio juste à l'aura qu'il dégage. Je ressens aussi son calme implacable. Il n'est pas surpris de nous voir ici. Il lève la tête pour considérer son chef.
— Célaciel ! Tu as encore la bonne volonté de ton premier bénévolat, on dirait... Tu ramènes ces derniers comme s'ils étaient les seigneurs de ses terres.
Célaciel s'assoit et baisse sa gueule pour exprimer son attention. Sans crier gare, le tigre se redresse et prend la forme d'un humain aux cheveux de même couleur et avec une barbe lui allant jusqu'au ventre. Nos regards se croisent. Il m'étudie fermement avant de reprendre, tout en s'avançant :
— Je suis heureux de te savoir ici, Alpha. Certains sommes-nous que ton voyage sera des plus agréables.
Il a une voix si douce que je me demande si c'est vraiment un vieillard, comme le présente son apparence. Il lève les bras voulant presque m'embrasser.
— Ma fille ! Si tu savais à quel point tu es aimée.
Il se rapproche et me sert contre lui. Je ressens un léger picotement, dû à sa barbe. Ce contact me réchauffe quelque peu. Je me laisse aller. Soudain, des flashs me parviennent. Je vois des gens en fête, des personnes criant, chantant... des fleurs poussant à une vitesse ahurissante, un jeune homme rentrant chez lui et à qui on ouvre la porte. Tout cela ne m'est expliqué. Dans cette suite d'image, une musique domine. Je ne sais quelle est cet air, mais cela me rappelle quelque chose... quelque chose de paisible et de fort. Dans ce tourbillon, je finis par lâcher le nom de « Célaciel ». Le vieil homme se détache de moi et me fait face. Un silence s'installe, pendant lequel il baisse une fois ses prunelles, avant de finalement revenir à la charge :
— Comment as-tu su que c'était moi, Célaciel ?
— Je ne l'ai pas su, j'ai juste voulu te donner ce nom et tu n'l'as pas refusé.
Un vrai sourire transparait alors.
— Alpha ! J'ai hâte de te revoir... me dit-il, toujours souriant.
— Je reviendrai, Célaciel... avec mes émotions. Et alors, je pourrai rire et crier comme toi... pleurer et trembler comme n'importe qui...
— Je sais à quel point tu as souffert...
— Tu ne peux pas savoir, excuse-moi, dis-je, en le regardant calmement. C'est comme être enfermé dans sa propre peau. Vivre tout à l'intérieur sans aucune possibilité de s'extérioriser.
Le vieil homme tente de fuir mes yeux, terriblement gêné.
— Cette sensation d'avoir un vide dans ton être. De contempler les autres sourirent sans que tu puisses le faire. Remarque ! Toute cette tendresse sans que tu ne puisses en faire autant... pourquoi ? Parce que tu n'en ressens pas l'intérêt... parce que tu as beau comprendre le concept, au moment d'agir, tu fais les choses de travers... tel un égoïste, tu ne penses qu'à toi... les amis, les collègues,... les frères... et même les anges sont facilement remplaçable pour toi. Ressens-tu de la rage ? Non, voyons... comment le pourrais-tu ? Tu n'as ce qu'il faut pour le générer. Tout ce que tu possèdes, c'est cette curiosité désespérante. Tu es sans arrêt gavée de nouvelles informations et tu désires toujours en savoir plus, sans jamais t'arrêter... encore heureux, tu peux encore canaliser cela à d'autres fins.
Il prend un moment avant de reprendre :
— Je sais tout cela... cela se lit sur ton visage... tu es déterminée et je sais que tu ne reviendras pas en arrière... Je sais aussi ce qui t'a poussé à quitter Éris... tu dois sacrément tenir à lui pour foncer, tête la première dans le royaume de l'impossible.
Je ne réponds pas et continue à le fixer intensément.
— Il t'a sûrement proposé plus... et toi, tu as failli lui donner le contraire de ce que tu voudrais... Alors, tu t'es décidée de creuser, de creuser encore... encore et encore... jusqu'à trouver ce que tu as perdu aux portes de Lodart.
— Que feriez-vous si l'on vous arrachait votre bien le plus précieux, pour vous permettre de continuer à respirer ?
— Où en est la saveur, me diras-tu ?... ma fille... Ce que tu cherches... j'aurai voulu te le donner... Je ne suis ni ton père, ni ton frère, encore moins la porte de la vérité éternelle, mais je sais que j'aurai été prêt à sacrifier une part de mon existence pour te contempler sourire et... pourquoi pas rester ainsi éternellement.
— Si vous avez une quelconque information, alors donnez-la moi... cela me suffira.
— Lorsque tu verras la lumière briller au loin, tu sauras... lorsque le sol se sera calmé, un son te sera donné de percevoir et alors les âmes de la Toile te répondront et dans le chant de l'e-motio unique, tu trouveras ta réponse...
Je me détache de sa vue et commence à marcher en direction du prochain district à une cinquantaine de pas. Lorsque j'en effectue quinze, je pivote de la tête et reste volte-face devant le gouverneur :
— Attendez mon retour... Je serai assez longue, c'est vrai... mais...
Je me retourne et fait face aux deux seigneurs de ces terres, pour terminer mon discours :
— Ce qui compte, c'est la réponse au bout du chemin... n'est-ce pas ?
Le vieil homme me considère avec des prunelles emplies de peines.
— Je te souhaite un bon voyage, mon enfant...
Je baragouine quelques mots à l'intention de qui l'entendra, tout en reprenant ma marche :
— Si j'en reviens saine et sauve...