Mes doigts se resserrent autour des accoudoirs du siège alors que je l'écoute me punir encore un peu plus dès mon premier jour. Il faut les comprendre. Ce type, dans son grand fauteuil et son costume parfait, a la pression. Ils n'ont pas le droit à l'erreur avec moi. Question de réputation. Et pourtant, dès mon premier échec, je suis prêt à parier qu'ils envisageront mon renvoi. « C'est la seule solution » me diront-ils.

Le CPE me tend une feuille. C'est un emploi du temps qui récapitule mes heures de cours et mes heures supplémentaires de soutien.

- En premier lieu, tu t'entretiendras avec Monsieur Richer, à compter d'une heure par semaine.

- C'est juste histoire de discuter des cours, de ton adaptation, il se veut rassurant.

Alors c'était ça ce regard qu'il me lançait tout à l'heure, en classe. Il savait ce qui allait m'arriver, ce qu'on allait m'annoncer dans ce bureau.

- Effectivement. Et à cela s'ajoute, une heure de soutien scolaire avec Elyse, présente avec nous ce midi.

Je tourne la tête vers la fille. Elle me sourit. Pas d'un sourire faux ou timide. Non, elle semble pleinement consciente de la corde qu'ils sont en train de me mettre autour du cou et elle semble même ravie.

- Elyse est élève en terminale dans notre établissement. C'est une excellente élève et nous sommes persuadé qu'elle pourra t'aider à rattraper ton niveau.

Évidemment, mon niveau était jugé bon là où j'étais l'année dernière. Mais rapporté à ici, on doit être à la limite du passable voire du médiocre.

- Si je résume, tu as rendez-vous avec Frédérique le lundi et le jeudi. Puis avec Monsieur Richer le mardi et enfin, cours de tutorat le vendredi.

Comment gâcher la fin de ta semaine.

- Et si je refuse ?

Tous leurs sourires se mettent à dépérir. S'attendaient-ils à ce que je signe sans protester ?

Je me lève de ma chaise et désignant la fille d'un coup de menton, je conclus :

- Je n'ai pas besoin d'elle.

Sur ce, je quitte la pièce. Derrière la porte, Gaspard se lève de la chaise sur laquelle il s'était assis pour m'attendre et j'intercepte son regard mi inquiet, mi admirateur qui oscille entre moi et le bureau du CPE. Mais aucun d'entre eux ne semblent réclamer mon retour immédiat. En revanche, il y a cette fille. Elle m'appelle encore et encore dans le couloir. Seulement je refuse de me retourner.

- Léonard, est-ce qu'on peut parler s'il te plait ?

Il y a tellement de politesse et de condescendance dans sa voix que ça me fait grimacer. Mais elle parvient à m'attraper par le bras et à se poster devant moi. Cette fois-ci, je prends le temps de la dévisager de la tête aux pieds. Elle est frêle, mais déterminée. Juchée sur ses talons hauts, elle n'est pas loin de faire ma taille. J'ai à peine besoin de baisser les yeux pour voir les siens. Ils ne vacillent pas et toute son assurance en déborde presque. J'ai encore plus envie de grimacer. Qui m'a collé une fille pareille ?

- Il n'y a rien à discuter. Je ne veux pas le faire.

- Mais je veux t'aider moi, elle m'assure.

Ah le revoilà ! Ce sourire conquérant comme si tout lui était dû, que tout lui réussissait, ce que je ne doute pas.

- Et moi je n'ai pas envie d'être une ligne de plus dans ton CV : « a aidé ce pauvre garçon des quartiers défavorisés », je lui balance à la figure en me penchant vers son visage.

Les autres peuvent bien aller se faire voir - T2Όπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα