LUNDI 23 / 14 HEURES 05

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Son colocataire lui faisait l'effet d'être un étranger familier. Comme ces visages que l'on aperçoit dans la rue, et qui nous dise vaguement quelque chose. On ne saura jamais qui ils nous rappellent, ou l'endroit où l'on les avait déjà croisé, il n'en restera que l'impression de déjà-vu. C'était pareil pour Louis, qu'elle trouva devant sa porte, les épaules à moitié-tournés, prêt à déguerpir. Il n'avait pas pu radicalement changé en trois jours, et pourtant, après avoir passé des journées à le fréquenter, en le retrouvé, Ninon eut du mal à s'y faire. La barbe plus longue, les yeux moins tirés, l'air un peu plus pimpant. Il n'était plus malade, de toute évidence.

─ Salut, lança-t-elle d'une voix blanche.

─ Salut.

Ils restèrent calmes, à se faire face, soutenant les yeux l'un de l'autre. On aurait pu croire que dans les circonstances où ils avaient rompu le contact, ils n'y parviendraient pas. Pourtant, ils se dévisagèrent longuement. Ninon se demanda si ça lui faisait la même impression, à lui. Ils ne savaient pas quoi se dire, malgré les trois jours sans se voir. Pas étonnant, ils avaient dû passer les dernières 72 heures à répéter la même routine. Manger, se distraire, dormir. Ninon croisa les bras pour occuper ses mains, et posa sa tête contre l'encadrement de la porte.

─ Je me suis pris une amende, dit-elle pour briser la glace.

─ Hein ? s'étonna Louis.

─ L'autre soir, ma mère m'a appelé et ça m'a énervé, alors je suis sortie prendre. J'avais pas le papier, et il a fallu que je me fasse contrôler. Les mecs n'ont pas du tout été arrangeants, j'ai essayé de leur expliquer que l'immeuble était juste derrière moi, mais... rien à foutre. 135 balles. Ça fait mal.

Louis haussa les sourcils, sans voix, cherchant des mots réconfortants. Ninon s'en moquait, elle ne voulait pas sa charité ou sa pitié, elle voulait juste se plaindre, elle n'avait eu personne à qui se confier. Sa mère en avait déjà assez dans son assiette.

─ Ça va, quand même ? s'inquiéta Louis.

Ninon haussa les épaules. Elle aurait pu lui mentir, inventer des bobards et affirmer qu'elle s'en sortirait. Seulement, un tiraillement au creux de son estomac l'en empêchait. C'était étrange, car même si elle n'avait pas envie d'être dans la même pièce que lui, l'épisode malheureux du vendredi n'effaçait pas tous ceux d'avant. Alors même si elle était gênée, Louis restait une personne de confiance et son colocataire. Son regard se perdit au plafond, alors qu'elle sentait les larmes lui monter. Le garçon resta les bras ballants, interdit et impuissant. Ninon souffla pour faire redescendre la pression en elle.

─ Ouh, soupira-t-elle.

Mais les larmes se firent plus denses, malgré la tentative de les contenir. D'une voix tremblante, elle dit :

─ Pas vraiment, en réalité. Je suis un peu... un peu paniquée. J'ai pas arrêté de nettoyer ma chambre pendant deux jours, et... ça me démange d'aller faire de le reste de l'appartement, mais... Apparemment, la seule chose plus forte que mon obsession de la propreté c'est mon obsession de pas te croiser.

Ses épaules tombèrent, pendant qu'elle essuya ses joues mouillées. Ninon continua de cracher ce qu'elle avait sur le cœur.

─ Mon beau-père est malade, et j'ai pas de nouvelles, parce que ma mère ne répond pas, et j'ai reçu un mail de mon directeur de mémoire, il veut que je lui envoie un rapport de progression en fin de semaine. Sauf que je n'ai rien fait. Alors bon... c'est pas la forme.

Avec une certaine ironie, elle ajouta dans un sourire contrit :

─ Et toi ?

Louis déglutit, et haussa les épaules.

La houleWhere stories live. Discover now