Chapitre 2 : Engagements

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Anatole acquiesça les propos de son père d'un geste de la tête. Il y avait plusieurs années de cela, l'entreprise familiale, spécialisée dans la métallurgie et tout particulièrement dans la fabrication de rails, avait été battue par un concurrent sur des critères économiques dans un duel pour remporter la construction de cette ligne ferroviaire, chose qu'Alexandre Bourg-Ravage avait du mal à avaler. Pour un maître d'oeuvre comme lui, parler d'argent pour la production de biens communs était une infamie et le résultat ne pouvait qu'être mauvais. Anatole partageait ce point de vue. Son père avait toujours été le meilleur dans son domaine, tout comme son père qui tenait lui-même du sien et ainsi de suite. Il était le nouveau Gustave Eiffel. Pour autant, bien qu'il n'arrivait pas à en connaître l'exacte raison, Anatole avait cette étrange intuition que son père allait bientôt être dépassée par le progrès et que ce serait à son tour d'être innovant. Il était d'ailleurs doué pour imaginer des choses atypiques, tant son imagination était florissante, mais il avait un véritable handicape que ces prédécesseurs n'avaient pas : il était extrêmement peu habile de ses mains et, en conséquence, particulièrement mauvais en mécanique. Quel type d'ingénieur allait-il faire s'il restait médiocre en ingénierie ? C'était là un mystère dont son père semblait être le seul à ne pas se soucier, pourtant, devenir responsable de la branche canadienne de l'entreprise... ce n'était pas rien.

Soucieux, Anatole détourna une nouvelle fois son regard vers la fenêtre. La pluie s'était invitée sur les carreaux, comme un avant goût de l'angleterre.

En vérité, Anatole savait au fond de lui qu'il était capable de le faire et ces questionnements, liés à ses capacités professionnelles, n'étaient que minimes vis à vis des autres doutes qui s'étaient immiscés en lui ces derniers jours, pour de toutes autres raisons.

*

C'était deux jours plus tôt. La peau blanche de Juliette dansait à la lueur des rayons de lune, qui traversaient sa chambre. Les courbes de son corps frêle, nu et froid semblaient avoir été minutieusement sculptées pour ce moment, des mains d'un artiste bucolique. Son dos, parsemé de mignonnes petites taches de rousseurs, brillait d'une sueure presque désirable sous les yeux d'un Anatole encore allongé, sur le vieux matelas qui les avait accueilli tous les deux. En observant la jeune femme s'étirer, les bras tendus en direction du plafond et les jambes croisées sur elles-même, Anatole se rappelait les histoires folles d'un ami d'enfance, concernant les génies des rêves. Celui-ci affirmait que, dans un autre monde, au Pays des Alentours, des esprits venaient la nuit à la rencontre des dormeurs et se glissaient dans leurs songes pour capter une émotion devenue trop forte pour être supportée seul et la partager avec eux afin de les apaiser. La joie, l'excitation, la peur... Si cette idée saugrenue avait dû être réelle, Juliette aurait été l'un d'eux, Anatole en était certain : elle avait le don d'amplifier la beauté et de la sublimer un peu plus encore. Plus que son coeur ne pouvaient le supporter sans brûler.

Comme un génie des rêves.

— Marions-nous.

C'était sorti tout seul. Surpris par sa propre initiative, Anatole n'en eut même pas honte : c'était comme si son âme s'était exprimée avant même qu'il n'eut le temps d'y réfléchir lui-même, ou simplement d'y penser. Pourtant, une fois la chose dite, cela lui semblait une évidence.

Juliette pouffa de rire comme une gamine découvrant une bêtise d'un camarade de classe et cela contraria Anatole.

— Juliette !

Doucement, la jeune rousse pivota sur elle-même, révélant une poitrine peu généreuse et aux mamelons discrets, mais aux formes parfaites à tout point de vue.

— Quoi ?

Elle avait une mine fatiguée qui témoignait d'une journée de travail épuisante, mais affichait son éternel air de gamine espiègle.

Au Méconnu Pays des SpectresWhere stories live. Discover now