Premier Pas

126 23 86
                                    

— Il a eu ce pédé ! Il pensait pouvoir le baiser, la salope ! mais il l'a bien dribblé et puis hop ! Une bonne frappe ! La balle est entrée dans la cage ! s'extasie un fervent supporter de foot autour d'une table.

Ses amis s'esclaffent en portant leurs bières à leurs lèvres. Le liquide ambrée empeste dans toute la maison et les effluves de mégots de cigarettes tapissent le sol. Au coin de la pièce, quelqu'un observe distraitement ces hommes qui affublent toutes ces insultes «inoffensives» à leurs rivaux.

— ANGELA ! PLUS DE BIÈRES !

La jeune Angela soupire en allant chercher les boissons. Son père lui intime de déposer leur bien et de disparaître, c'est leur moment entre mâles forts. C'est ainsi que son père a toujours décrit cette journée, une réunion amicale du dimanche où les vrais hommes diffusent de la testostérone pour compenser les semaines à se torcher au boulot. Tout ce qui la fatigue parce qu'elle sert de serveuse à ces derniers.

Elle s'en va en courant, fatiguée d'écouter tous ces mots durs. Elle s'enferme dans sa chambre, puis se glisse sous les draps. À vingt ans, elle vit encore sous leur toit, ce qui ne l'enchante pas plus que ça. En tant que fille unique, elle se soumet aux moindres directives et ordres de ses parents, sinon elle subit elle aussi les remontrances de son père.

« C'est quoi ces baskets ? Va te mettre du maquillage, tu fais gouine. On dirait un routier. »

« Je n'aime pas ce petit haut, c'est très pute. »

« Jouer au foot ? Ce sont des branleuses, elles vont te sauter dessus dans les vestiaires, tout le monde le sait. »

Sa porte s'ouvre d'un coup, sa mère lui intime de passer à l'épicerie pour chercher des légumes pour la soupe de ce soir. Elle n'a pas le choix, malgré sa mine boudeuse, elle traverse le quartier à vélo pour faire les achats. Les cheveux attachés derrière la nuque, elle pédale doucement, à la vue des voisins, des garçons du lycée le plus proche, des passants curieux ou désintéressés, elle fait bonne figure. Elle préférerait slalomer les virages avec aisance et souplesse, sentir son corps vibrer avec un vélo moins rose bonbon, mais ses parents détesteraient ça. Une jeune fille ne fait pas ci, ne fait pas ça, ne se donne pas en spectacle, se fait toujours belle et surtout ne fait rien qui pourrait ternir ses parents.

Les règles de bases répétées encore et encore, à l'enfance, à l'adolescence, à la sortie du lycée.

Des affiches bordent les murs du quartier. Impossible de savoir de quoi elles parlent, certaines sont déchirées, d'autres tagguées. Elle aperçoit qu'un petit bout de couleurs, peut-être un vandalisme de jeunes rebelles. D'habitude ça n'arrive pas, le sujet de cet affichage devait déplaire. Elle range son vélo et se dirige droit vers les légumes. Elle les choisit avec patience.

— Tu iras au rendez-vous la semaine prochaine ?

Deux filles papotent à côté d'elle. Celle qui parle est féminine dans sa petite robe, l'autre est en chemise très large et Jean, mais son maquillage plus sombre détonne avec celle de son amie. Angela les trouve très jolies, chacune à leur manière. Elle pourrait dire bonjour, se familiariser et peut-être devenir amies avec ces superbes filles, mais elle est bloquée. Quelque chose coince. Depuis le temps, elle arrête de se demander quoi.

— Impossible. Je vois des clients à l'institut de beauté, ma patronne va jaser.

— Tu ne lui as pas demandé une permission ?

— Pour lui dire quoi ? Que je suis lesbienne ? Qu'il faut que j'aille à un rassemblement pour lutter pour mes droits ? Elle va me renvoyer sur le champs, bébé. J'ai besoin de ce boulot, sinon on ne tiendra pas le mois. On devrait plutôt trouver le moyen de récupérer le reste de tes affaires chez ton frère, sinon il pourrait les jeter à la rue.

Premier PasWhere stories live. Discover now