pourquoi moi?

Chapitre 1

Cela va bientôt faire trois ans que ma vie a radicalement changé...Avant, j'avais des amis, une famille et même un chat, mais aujourd'hui je n'ai plus rien.

Je me retrouve seule, assise sur un banc délabré, à surveiller les alentours. Les personnes comme moi sont depuis longtemps devenues des cibles de premier choix et j'ai appris à ne me fier qu'à mon instinct.

Je tends les oreilles, essayant de déterminer si un eye-watch serait en approche. Ces nouveaux équipements de traque sont une vraie menace. Complètement silencieux, ils sont capables de détecter les sources de chaleur d'un corps humain à plusieurs mètres. J'aime les comparer à des gros bourdons silencieux, particulièrement nuisibles. Ils sont par ailleurs très résistants et en cas de panne, les secours arrivent sans tarder. Il m'a donc fallu apprendre à être plus maligne et les semer avant qu'ils ne me découvrent. A l'extérieur, je ne porte que des vêtements dotés d'un masquage de signature thermique. Lorsque je m'équipe de gants, capuche et lunette, je suis quasiment invisible. J'ai enfin compris qu'il était beaucoup plus utile de ne pas bouger et de retenir sa respiration, les expirations d'air chaud sont comme des affiches publicitaires « regardez-moi, je suis là » !

Je n'ai bien entendu pas appris tout cela toute seule ...Et comme toute chose, cela a un prix.

C'est bien pour payer ce prix que je suis aujourd'hui sur ce banc. Le petit matin vient juste de se lever et il fait encore froid. Le bitume est recouvert d'une mince couche de gel blanc. Cette pellicule blanche, immaculée, me ramène à ma vie d'avant. Avant, je serais allée courir dans cette rue, m'émerveillant de laisser des petites traces de pas. Avant, j'aurais ramassé une poignée de poudreuse et tenté d'en faire une boule de neige. Avant, je l'aurais planqué dans ma main pour la glisser dans le col du manteau de mes frères.

Cette neige m'est aujourd'hui interdite, car toxique. Je ne me serais toutefois pas sentie autorisée à venir souiller ce petit paradis blanc.

Je souffle fort et lève les yeux au ciel. Mes fesses sur le banc commencent à s'engourdir. Il est temps pour moi de faire ce pour quoi je suis venue. Je ferme les yeux pour trouver le courage d'activer le petit émetteur. Mon pouce joue sur le bouton, l'effleurant sans arriver à le presser. J'ai finalement peur.

Pourtant, je me prépare à ce moment depuis plus d'un an.

Je sens la rugosité du capuchon rouge sous mes doigts. Sans réfléchir plus longtemps, j'appuie d'un coup sec sur le boîtier. J'ai l'impression d'avoir activé une bombe et inconsciemment je retiens ma respiration. Rien ne se passe mais je sais pourtant que j'ai déclenché l'alarme des guetteurs...et ils seront bientôt là.

Je sens mon cœur tambouriner très fort. Appréhension, peur, excitation ? Je ne suis plus en capacité de réfléchir. J'attends les secondes interminables qui viennent sceller mon destin.

Putain, un émetteur vient d'être activé ! J'active le code rouge et je bondis dans la première voiture. David se glisse rapidement à mes côtés et j'appuie sur l'accélérateur. Un émetteur ! Cela fait deux ans que le dernier signal a été émis. Je sens l'adrénaline monter en moi.

« 5 minutes avant interception, m'informe David.
- Ok. Mets en place le traceur, je passe en pilote automatique. Dans 3 minutes, tu peux larguer les petits caniches. »

Les petits caniches sont le nom que nous avons donné aux drones de capture. Une gentille blague entre nous.

« Caniche largué. Attention, on se rapproche du Time Of Target (TOT) »

Je scrute les environs à la recherche d'un indice sur l'identité de celui qui aurait pu activer le bouton. La rue devant nous est recouverte d'une fine couche de neige, que notre voiture écrase impitoyablement. J'adore venir souiller cette blancheur trompeuse, nous sommes maintenant les seuls à encore pouvoir le faire.