Chapitre Un : la rencontre

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Il y a ceux qui sont méchants parce qu'ils souffrent et ceux qui font souffrir parce qu'ils sont méchants...


  Antoine est un quadragénaire menant une vie tranquille, il écrit des livres pour enfants et donne quelques cours particuliers de français. Il vit seul dans une grande maison à la campagne. C'est une très vieille bâtisse qu'il a achetée il y a une quinzaine d'année et qu'il a retapé tout seul. Son Univers se cantonne à ses élèves, sa maison et quelques amis fidèles qu'il voit une ou deux fois par an. Il vit seul depuis une vingtaine d'année et se trouve plutôt chanceux et heureux. Chanceux parce qu'il a pu s'acheter cette maison au calme et la façonner à son image, à ses envies, parce qu'il a des élèves qui l'écoutent et l'apprécient. Heureux parce qu'il rend les gens heureux, c'est ce qui le motive, se savoir utile à quelque chose, voir dans les yeux de la personne en face de lui un petit éclair qu'il reçoit comme un remerciement, un " petit bonheur " comme il dit. Lorsqu'il va à la rencontre de ses lecteurs, il remarque cette petite étincelle dans le regard des bambins, la même qui jaillit lorsqu'un enfant découvre un cadeau devant un sapin, et qu'il se demande s'il est pour lui. La même qui fuse quand il se rend compte que son prénom est inscrit dessus. La même qui irradie au moment où il le prend dans ses mains.

  Ces " petits bonheurs ", il va en recevoir toute une journée, car demain il participe à un salon du livre où il a été invité. Il se prépare, un peu excité. Un carton, puis deux sont déposés dans le coffre de la voiture. Un pantalon repassé à la hâte, une chemise qui ne se repasse pas sont disposés dans la salle de bains pour ne pas perdre de précieuses minutes le matin. Le repas vite englouti, il regarde le programme télé et soupire. Rien de bien intéressant à son goût. Alors il prend un livre et se cale dans son fauteuil, un chat sur les genoux.

  Ce samedi de juin, Antoine a rendez-vous à neuf heures et ne supporte pas d'être en retard. Comme à son habitude, il peste après les conducteurs devant lui qui ne savent pas conduire parce qu'ils ne le font pas comme lui, parce qu'ils ne le laissent pas passer, qu'ils ne mettent pas leur clignotant. Lui qui est si docile dans la vie, si gentil, si patient, se métamorphose littéralement dès qu'il tourne la clé de contact. Heureusement, il reprend son calme dès qu'il n'y a plus personne devant son véhicule et au moment de fermer la portière quand il est arrivé à l'heure à bon port. Ce matin, il a quelques minutes d'avance et se présente à l'accueil. On lui indique sa place, il y dépose ses cartons de livres et va saluer quelques confrères déjà sur place. Aujourd'hui, il a apporté sept livres. Il prévoit toujours un nombre impair. Il dispose trois piles sur la droite, trois piles sur la gauche et garde l'espace en face de sa chaise pour son préféré : son Livre Magique. Pour celui-ci il faut faire l'article, le manipuler, attiser la curiosité, répondre à un tas de questions. Il s'agit d'une petite histoire pour les enfants avec des illustrations qui ont la particularité de disparaître et de réapparaître au gré de celui ou celle qui connaît le secret. Quand il fait apparaître les images devant les enfants ou les parents, qu'il voit dans leurs yeux ce petit éclair, il se dit que la vie vaut vraiment d'être vécue et qu'il aime ce qu'il fait. Ces moments-là, il est en APNEE comme il dit : Aide Père Noël En Ecriture. C'est le genre d'humour qui ne fait rire que lui, mais ce n'est pas grave. Il dit que les minutes passées à chercher sont des minutes de bonheur, que les secondes passées à les expliquer sont des secondes de bonheur et que l'incompréhension générée par le regard de l'autre dure une bonne heure.

Il est prêt, les portes ouvrent au public. Sa voisine de droite termine son étalage, elle a refusé son aide. Son voisin de gauche n'est pas encore arrivé. Il sourit bêtement et se prépare à vivre une belle journée. Rien ne peut l'atteindre dans de tels moments, rien ne peut entamer son enthousiasme, sa joie et son optimisme.

S'il pouvait se douter...

Quelques minutes encore avant que les premières personnes arrivent devant lui, il les observe parcourir les livres des concurrents, leur poser des questions, passer à celui juste à côté, le dévisager comme un animal de zoo, baisser les yeux sur les ouvrages proposés. Il attend son tour, c'est toujours comme ça au début de la journée, ceux placés près de l'entrée sont les premiers visités. Antoine se trouve en face de l'accès, c'est-à-dire à la moitié du parcours pour ceux qui font le tour, mais il y a aussi des tables au milieu de la pièce, ce qui rend plus aléatoire son ordre de visite. Après environ une heure, c'est l'anarchie totale, les personnes se précipitent vers les tables où il y a foule, regardent l'écrivain et attendent, ou partent vers quelqu'un de moins pris. Ils en oublient par où ils sont passés et se retrouvent perdus. Les plus cartésiens repartent du début et inspectent les tables une à une, les autres slaloment et finissent par aller s'asseoir quelque part pour reprendre leur souffle.

LaurasseDonde viven las historias. Descúbrelo ahora