pale

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Je t'ai rencontré dans une boite de nuit. C'est improbable ; je déteste les boites de nuit. Sortir le soir pour me frotter à des inconnus est tout ce dont j'ai horreur. Comment peut on aimer ça ? Mais Jungkook avait insisté pour que je vienne. Alors je l'ai suivi, à contrecœur. Était-ce le pire ou le meilleur choix de ma vie ? Je ne sais toujours pas. Mais j'y suis allé. Au bout d'une heure je n'en pouvais plus. La chaleur était insupportable, Jungkook introuvable et une fille n'arrêtait pas de me draguer. Alors j'ai voulu sortir, partir loin de cet endroit horrible. J'ai tenté de me frayer un chemin dans la foule, mais je me suis cogné à quelqu'un. C'était un garçon, à peine plus grand que moi, avec des cheveux bleus et des yeux rouges. Et à la peau diaphane, si blanche qu'on aurait dit un ange. Sauf que les anges se sortent pas en boite de nuit. Tu étais totalement saoûl, et beau aussi. Tu m'as regardé sans me voir et tu as continué à marcher, sans savoir où tu allais. Je me suis retourné et t'ai observé quelques secondes, ou minutes. Je t'ai vu embrasser une fille, boire dans un verre et embrasser une autre juste après. J'ai trouvé cela triste. Puis nos regards se sont croisés à nouveau. Le temps s'est arrêté à ce moment là, je crois. Je suis sorti et j'ai attendu. J'attendais Jungkook. Mais c'est toi qui est sorti. Tu m'as vu cette fois, tu m'as souri, les yeux imbibés d'alcool. D'un sourire doux, et lointain. 

- Tu es seul ?

Je ne l'étais pas, mais j'ai dit oui. Je voulais continuer de te voir sourire. C'est ce que tu as fait. Et tu m'as dit ton nom.

Yoongi.

Tu ne me l'as pas demandé, alors je ne t'ai pas dit le mien. Après, je ne sais plus de quoi on a parlé. Notre discussion a peut-être duré dix minutes ou une heure. Peu importe. Ce que tu disais n'avait aucun sens, et moi je répondais sans t'écouter. Je regardais juste tes lèvres, qui bougeaient paresseusement dans le nuit. Tes lèvres pâles. J'avais un peu bu aussi, je crois. Ce dont je suis sûr, c'est que tu as fini dans ma voiture, puis dans mon appartement. J'ai oublié Jungkook sur place. Il m'en a un peu voulu, au début.

Je ne sais pas ce qui m'a pris ce soir-là. Quand on est arrivés chez moi tu as commencé à me déshabiller sans un mot. Je n'ai même pas pensé à te repousser. Pourtant je ne suis pas quelqu'un qui dit oui facilement. Mais là c'était différent. Peut-être que je me sentais seul depuis trop longtemps. Ou peut-être que je sentais que toi tu l'étais depuis toujours. Alors je t'ai juste laissé m'enlacer, caresser ma peau de tes mains froides. Et je me suis laissé frissonner sous ton toucher de velours, me noyer dans ton souffle. Tu as enlevé tes vêtements et j'ai pu mieux voir ta peau, si pâle. Cette blancheur qui contrastait avec les cicatrices rouge carmin sur tes avant-bras. Mon coeur s'est serré quand je les ai vues. Tu étais encore en train de sourire. J'ai eu besoin de t'embrasser. Je l'ai fait, des millions de fois. On a passé la nuit ensemble. C'était doux, passionné, triste. À un moment, tu m'as dit que tu m'aimais. J'ai failli en pleurer. Parce que ta voix s'est cassée en le prononçant, parce que même si tu ne connaissais pas mon nom, cela sonnait plus sincère que toutes les autres fois où je l'avais entendu.

Le lendemain matin, comme je m'y attendais, je me suis réveillé sans toi. Sur mon oreiller, il y a avait un bout de papier avec un numéro et quelques mots écrits dessus. "Je veux connaitre ton nom". Je me suis dit que je ne t'appellerai jamais. Tu étais trop beau pour ne pas me faire souffrir. Mais j'ai gardé le bout de papier ; et je t'ai appelé une semaine après. Tu es venu tout de suite.

Tu m'as étreint à nouveau. Tu es reparti. Cela a recommencé, une, deux, trop de fois. À chacune de nos rencontres, je refusais de te dire mon nom. J'avais peut-être peur que tu ne viennes plus si je le faisais. Tu ne le demandais jamais de toute façon. Au début on faisait juste l'amour, ne pensant à rien, cherchant à s'oublier dans les bras de l'autre. Puis on a commencer à parler, s'écouter, partager autre chose que nos corps. Il y avait quelque chose de mélancolique dans chaque mouvement que tu faisais, chaque parole que tu prononçais. Tu disais que l'amour ne pouvait être éternel quand les gens ne l'étaient pas. Je te répondais qu'il l'était, que même si les gens partaient, lui était toujours là.

Un soir tu es venu à l'improviste. Tu as frappé à ma porte, crié dans le couloir de l'immeuble. Tu avais bu. Un ruisseau coulait le long de ton visage pathétique, innondant tes lèvres translucides. J'ai passé des heures à essayer de te consoler, caressant tes cheveux, apaisant ton cœur jusqu'à ce que tu t'endormes, tes jambes entrelacées aux miennes, ton corps tremblant entouré de mes bras. Le lendemain, je me suis réveillé avec un ange à côté de moi, les rayons du soleil plongeant dans sa chevelure océan. Pour la première fois, tu étais encore là. Tu m'as souris quand tu as ouvert les yeux. D'un sourire doux, et lointain. Quand tu es parti j'ai glissé un post-it dans la poche de ta veste avec un mot écrit dessus. "Jimin". Parce que je savais que tu reviendrais.

Depuis tu es venu me voir de plus en plus souvent. Tu cherchais des excuses pour cela. Tu faisais exprès d'oublier quelque chose à toi pour prétendre venir le rechercher, et tu recommençais à chaque fois. Je te trouvais devant ma porte quand je rentrais du travail. Tu restais de plus en plus longtemps. Il nous arrivait de passer des jours entiers enfermés, à faire l'amour et d'autres choses. On ne sortait jamais ensemble ; on préférait regarder un film sur le sofa pour pouvoir s'embrasser tout le long. Avant que je puisse m'en rendre compte, une bulle s'était cristallisée autour de nous ; une rêverie douce amère où tu m'aimais et je t'aimais.

Tu disais que j'étais ton chat persan, qui t'apportait de la chance et de la sérénité. Je pouvais sentir ta douleur à travers les battements de ton coeur quand tu me serrais contre ta poitrine. J'aurais voulu la faire disparaitre, et faire disparaitre ces marques sur tes bras. Mais certaines blessures ne pouvaient plus être guéries. Alors je me contentais de te tenir, vainement. Ta peau. Si pâle. Ton corps. Si froid. Tes cheveux. Bleus comme une tâche de penicillium.

Tu souriais toujours. Quand tu arrivais, quand tu repartais. Tu souriais comme si cela demeurait la seule chose que tu savais faire sans te tromper. Ce n'était pas un sourire heureux, mais quelque chose d'une beauté triste. Tes lèvres étaient une des seules parties de toi qui étaient restées chaudes. Deux petites collines sur une prairie glacée. Elles étaient comme un paradis défendu. Et je les embrassais, sans jamais m'en lasser ; pour les garder chaudes, parce que j'avais peur du jour où elles ne le seraient plus.

Un jour, des semaines, des mois, ou des années qui sait après notre rencontre, tu m'as appelé. C'était étrange. Tu ne m'appelais plus depuis longtemps. Tu venais juste chez moi ; ce chez moi qui était devenu chez toi aussi, en quelque sorte. J'ai senti ton souffle au bout du fil. La même respiration saccadée que lorsque tu étais venu sonner en pleurant à ma porte. J'ai commencé à paniquer. J'ai tenté de te parler, de te demander ce qu'il se passait. Mais tu as raccroché. Je t'ai rappelé plusieurs fois, sans réponses. Je ne savais même pas où tu habitais, je ne savais même pas si tu habitais quelque part. J'ai attendu, une, deux, une éternité d'heures, serrant fort contre moi le sweat que tu avais laissé. Mon portable a sonné. Je l'ai saisi.

Je me suis précipité hors de mon appartement. J'ai couru, pris un taxi, couru encore, mes poumons en feu, mon cœur en chute libre. J'ai monté les escaliers et ouvert la porte. J'ai été te prendre dans mes bras. T'enlacer de toutes mes forces, frottant mon nez dans tes cheveux décoiffés, les innondant de la pluie qui tombait de mes yeux. J'ai très doucement embrassé tes lèvres. Si froides.

Le docteur m'a dit de m'éloigner. Je l'ai fait. Je t'ai regardé. Ta peau était de la même couleur que les draps de ta chambre d'hôpital. Blanche comme celle d'un ange. Un ange qui sortait en boite de nuit. Notre rencontre était un hasard, notre fin une tragédie. Mais Yoongi. Tu souriais. D'un sourire doux, et lointain.

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- T.L

pale [ y.min ]Where stories live. Discover now