Comme une tombe

Cette nuit là, après avoir comptabilisé un nombre incalculable de moutons avec pour conséquence la sensation d'avoir plusieurs troupeaux qui batifolaient dans la tête, Marie-Anaïs s'était préparé une tisane qui était censée plonger l'insomniaque qu'elle était dans les bras de Morphée. Mélange de camomille et de fleur d'oranger comme sa mère le lui avait conseillé. Dernier recours après avoir tenté divers remèdes dont l'essence de lavande versée sur le joli mouchoir en coton blanc bordé de dentelle et orné de ses initiales : un m et un a entrelacés. Sa mère lui en avait offert toute une série pour son dernier Noël, les brodant elle-même. La pièce que lui avait offerte en échange Marie-Anaïs ne l'avait pas empêchée de mourir trois mois après.

Epuisée, elle regardait par la fenêtre, le regard vague, une tasse fumante à la main. Le reflet dans la baie vitrée lui renvoyait l'image peu réjouissante d'une femme à l'aube de la quarantaine. Fins cheveux hirsutes dressés sur le dessus de la tête, yeux bouffis par le manque de sommeil dans un visage rond, lunaire. Un soupir s'échappait de ses lèvres lorsque quelque chose d'inhabituel attira son regard, plus bas dans la rue.

Les réverbères éclairaient d'une lumière grisâtre l'allée bourgeoise où se dressait l'immeuble sécurisé où elle vivait seule à présent que sa génitrice n'était plus. Véritable Fort Knox avec gardien, digicode, barrière, ce qui rassurait la vieille fille qu'elle était.

Marie-Anaïs regardait les moucherons suicidaires ou inconscients qui grillaient allégrement sur les ampoules à basse consommation avec un crépitement peu ragoutant. Un chien errant levait la patte et se soulageait contre le pneu avant d'une vieille deux chevaux. Une petite pluie fine commençait à tomber et les étoiles restaient invisibles derrière les nuages. Un faible croissant de lune tentait de percer au travers. Atmosphère lugubre de film d'horreur. Elle s'attendait presque à voir arriver des zombies.

D'ordinaire, très peu de véhicules stationnaient là. N'ayant pas ses lunettes, elle forçait sur ses pauvres yeux de myope afin de faire une mise au point sur la voiture garée devant l'immeuble. Tiens, mais c'est la voiture d'Alex. Bizarre, ce coffre ouvert ! Peut-être un vol ? Allait-elle avoir le courage de taper à la porte de son voisin, afin de lui signaler son oubli ?

Elle pesait le pour et le contre, n'ayant aucune envie de sortir de la douce torpeur qui était en train de se propager dans son corps. Le sommeil, ce sommeil tant attendu se manifestait enfin. Au moment précis où elle se décidait à bouger, heureusement pour elle, il était sorti de l'immeuble un paquet encombrant de forme allongée dans les bras. Peut-être un tapis ?

— Tiens, il déménage ? Mais à deux heures du matin, c'est étonnant. S'était-elle dit à part elle. Quelle drôle d'idée ! Mais il a certainement une bonne raison de faire cela.

Sans plus se poser de questions, elle était allée se coucher, et s'était enfin endormie, en oubliant cet intermède.

*****

Alex referme le coffre de sa voiture. Elle pesait son poids cette plaie ! Il se masse les reins en soupirant tout en regardant autour de lui afin de vérifier que personne ne l'a vu. Il a déjà contrôlé tout à l'heure avant de sortir le corps par la porte d'entrée de son immeuble. Rien, aucune présence humaine en vue. Seul un corniaud en train de pisser contre le pneu d'une vieille deux chevaux lui lance un regard larmoyant. Mais bon, ce ne sera pas lui qui pourra le dénoncer.

Il s'installe derrière le volant et se hâte de rejoindre l'endroit qu'il a repéré depuis longtemps. Cela fait des mois qu'il avait prévu de se débarrasser de son boulet de femme. Il est heureux que l'occasion se soit enfin présentée. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. La pluie des derniers jours a ameubli la terre. Creuser ne devrait pas trop le fatiguer ! Heureusement, car son dos lui fait de plus en plus mal. Mais si c'est le prix à payer pour être enfin libre et riche, pas de souci !