La récréation. Moment de pause pour parler avec ses amis, moment de joie, de délivrance. Moment de socialisation. Enfin, pour, ça, il faut déjà avoir des amis. Evidemment, ce n'est pas mon cas. Je suis assise, pensive, et j'attend que ça passe, comme tout le temps, j'attend longuement que les heures s'écoulent, jour après jour, inlassablement. Cette récré fut néanmoins plus dure encore que les autres. Une fille de ma classe m'a adressé une parole, dont je n'ai pas compris un mot. Je sais que c'est probablement une insulte. Je ne suis pas idiote, bien que mon mutisme peut parfois laisser croire que je suis arriérée. Certes, tout à l'heure, nous sommes sortis  de notre cours, et j'avais à peine compris. Seulement certains schémas, et encore. Mais je ne peux pas faire autrement. C'est tellement difficile...  La plupart des élèves ne comprennent pas car ils n'écoutent pas et ne font pas d'efforts. Mais moi, j'aurais beau faire tous les efforts du monde, et gober toutes les paroles du professeur, j'en serais toujours au même point. Je ne parle pas la même langue qu'eux. Je suis différente en tous points. Et personne n'est là pour m'aider. 

La sonnerie retentit, et dans le joyeux chahut habituel, les classes se rangent comme les militaires de là où je viens. Moi, seule au bout du rang, je regarde ce spectacle avec un semblant de nostalgie. Néanmoins, bien vite un frisson et un sentiment d'amertume m'envahissent. Si ma vie ici n'est pas à la fête, par rapport aux explosions guerrières quotidiennes de mon existence, avant, c'est le paradis.

Nous montons les escaliers en parlant bruyamment, où, en tout, cas, ils montent en cours ainsi. Je me repère rapidement. La seule chose que je connais, ici, c'est le plan du collège, que j'ai appris en suivant mes camarades partout. 

Nous avons Mathématiques. Ici, c'est probablement ma matière préférée. Comme nous faisons du calcul mental et que je connais le langage mathématique, je suis au même point que mes camarades. Je suis même plutôt bonne.

La porte s'ouvre sur la professeur souriante, un paquet de feuilles à la main. Elle m'adresse un petit signe de tête. Je rougis et vais me réfugier au bout du rang. Son sourire me fait penser à celui que me faisait ma tante. Avant... 

Ma réaction fait éclater de rires mes camarades. Ils me montrent du doigt. La fille qui m'avait insulté tout à l'heure essaye de m'imiter... Ses amies font mine de la réprimander, mais leurs sourires et leurs gestes exagérés montrent bien qu'elles n'ont pas la moindre envie que leur amie arrête de se moquer. Elles doivent trouver ça drôle... Une simple blague. 

Lorsque je passe devant la porte, Mme Chevalier (son nom est écrit sur mon carnet) renifle et s'écarte de moi, avec un regard de pitié. Génial. Je viens de perdre l'estime de la seule personne qui aurait pu avoir conscience de mes efforts. 

Tout le monde s'est installé, et la table du fond me revient sans surprise. Le brouhaha qui se crée à chaque fois que des élèves entrent en classe diminue rapidement lorsque notre professeur nous menace de nous punir. Enfin, de les punir. Mes paroles font rarement beaucoup de bruit, surtout quand je n'ouvre pas la bouche. 

Je m'aperçois rapidement que le sujet du cours ne portera pas sur le calcul mental. Au contraire, lorsque je vois le professeur tracer une droite au tableau, je comprend que nous faisons de la géométrie. Si tracer un cercle ne me pose pas de difficultés, le langage et les propriétés géométriques en français sont incompréhensibles. Lorsque je vois mes camarades prendre leurs compas, je baisse la tête, honteuse de ne pas avoir compris la consigne. Comme il n'y a personne à côté de moi, je me penche discrètement en avant pour essayer de voir la figure de la fille devant. Malheureusement, elle me donne un coup de coude à la mâchoire, se tourne et me regarde  avec une mimique désolée. C'est la fille qui m'avait insulté, celle qui se moquait. Je crois qu'elle s'appelle "Manan" ou un prénom qui ressemble. 

Tant pis, je n'ai pas pu voir ce qui fallait faire. Pour ne pas attirer l'attention, je me penche sur ma copie et fait semblant de tracer quelque chose. Je fais trois traits, je les gomme, recommence... Je parais concentrée, comme ça, mais j'ai la tête ailleurs. 

Ailleurs... Là bas. Là où tout a commencé, là où le monde découvrit ma naissance. Là où je passai mon enfance, là où mes premiers moments furent un moment d'insouciance et de paix. Là où j'avais des amis, des gens qui me connaissaient vraiment. 

Mon esprit divague vers le coin ombragé par les palmiers du village, le puit naturel d'où  venait toute notre eau, et où il fallait travailler dur pour se désaltérer. Je pense aux grands jeux avec les cailloux, aux printemps fleuris et aux étés caniculaires. Je divague tant que je n'entend pas le son de cloche électronique annoncer la fin du cours. Les hurlements hystériques m'apprennent d'une autre façon la fin de la journée. 

Il est l'heure d'aller aider ma mère dans ce studio miteux que nous nous sommes trouvés. Elle est seule, sans mon père qui n'a pas pu nous suivre. Lorsque son nom me vient à l'esprit, une larme roule sur ma joue... Mon père. Que je ne verrais plus jamais. 

Il est donc temps de rentrer à ma maison, si on peut l'appeler ainsi. Je ne ferais pas mes devoirs, ne pourrait pas m'améliorer, et ma situation ne bougera pas d'un poil... 

Oh, comme j'aime ma vie.


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⏰ Última atualização: May 14, 2017 ⏰

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