Je me demande pourquoi Alexis, de ma classe est d'un coup aussi entreprenant et actif parmi nous.
Ça ne me dérange pas, loin de là, mais il est surprenant de le voir là, devant moi, avec autant de joie dans les yeux.
Quand il me regarde, on dirait qu'il attend quelque chose de moi. Je lui souris bêtement, tout en me sentant stupide et ridicule.
James est très complice avec Alexis, comme s'ils se connaissaient depuis toujours, comme de vieux amis, de longue date, qui se sont perdus de vue depuis très longtemps, il y a des décennies.
Je suis contente de voir cette complicité ! Ça donne du bonheur visuel !
Je vais prendre mes affaires à mon casier, seule, avant de reprendre le prochain cours.
Je regarde au tournant du couloir et je vois alors Jeffrey qui sourit avec un tel rictus carnassier qui lui est propre, qu'il serait capable de me déchiqueter de son simple regard, sans jamais me toucher. Je ne sais pas ce qu'il fait ici et je ne veux pas savoir, même si j'ai bien une petite idée.
Je retourne en classe.
Être à côté d'Alexis me rend heureuse, il est gentil, drôle et c'est un garçon vraiment génial ! Mes cours n'en deviennent que plus palpitants. Et il est heureux de m'avoir à ses côtés alors pourquoi s'en priver ?
Il s'intéresse vraiment beaucoup à moi, ça se voit. Comme le nez au milieu de la figure !
Il me parle sans arrêt, il me pose des questions auxquelles je m'efforce de répondre avec logique et réflexion, en partie pour ne pas paraître stupide ou donner une impression fausse.
Aux pauses entre les heures de cours, ce sont ses moments de bonheur ! Il peut papoter avec moi pendant que je vaque à mon passe-temps favori, dessiner, ou plutôt griffoner, sur mon cahier ou des feuilles volantes.
-Et tu habites où ? me demande-t-il avec un ton vraiment intéressé.
Quand je disais qu'il est intéressé par moi...
-À quelques minutes à pied du gymnase, vraiment pas loin.
-Quelle chance tu as ! Moi, j'habite plus loin, je dois prendre le bus pour remonter. Mais bon, comme tu marches vite, ça va encore, ton trajet !
Je hausse un sourcil en relevant mes yeux vers lui.
-Comment sais-tu cela ?
Il paraît soudainement embarrassé et secoue ses mains devant lui. Il bégaie avec un ton gêné :
-Je...Je pense que c'est James qui a dû me dire.
-Je vois, dis-je en replongeant mon nez dans mon dessin.
-Tu aimes vraiment dessiner, à ce que je vois...constate-t-il en regardant par-dessus mon épaule.
-Oui, depuis toute petite, répondais-je un peu distraitement je l'avoue.
-Qu'est-ce que tu dessines ? demande-t-il en se penchant encore plus vers moi.
Je sens son souffle dans mon cou et sur ma nuque. Je frissonne...Je sens les petits poils sur ma peau à cet endroit sensible se dresser puis je passe la main dessus pour mettre en place une sorte de barrière naturelle.
Il est intéressé, ça ne me dérange pas, mais il y a proche et proche, dans la vie ! Je réponds alors :
-Des personnages. Comme toujours.
-C'est très beau. Vraiment. Tu dessines vraiment bien !
-Merci, dis-je simplement.
Il croit y arriver avec des compliments aussi simples que ceux-ci ?
Il relève les yeux vers moi et me fixe. Chaque fois qu'il fait ça, j'ai l'impression d'être passée sous des rayons infrarouges ou d'être scannée de la tête aux pieds. Ses yeux de couleur verte, si perçants, n'aident pas vraiment non plus...
Il me prend au dépourvu quand il me demande soudainement :
-Est-ce que, si tu dessines des gens de la vraie vie, tu voudrais bien me faire moi ?
J'ouvre des yeux un peu ronds, surprise de cette soudaine requête. Je souris gentiment.
-D'accord, si tu veux.
Le cours suivant commence quand notre enseignant entre dans notre salle de classe.
J'écoute attentivement, tout en faisant de temps à autre quelques traits vifs et rapides, pas forcément précis, sur le croquis qui sera censé représenter mon voisin de table. Qui affiche une expression comblée et un sourire complètement dadais, mais je ne lui fais en rien une remarque, je le trouve amusant ainsi, dans cette posture.
À la pause suivante, je continue de faire le crayonné sur ma feuille. Alexis fixe alors mes mains et mes doigts, qui font courir et coulisser le crayon sur le papier délicat encore entièrement blanc il y a quelques minutes.
James s'approche alors de notre table. Il est assis plus loin derrière dans la classe, aujourd'hui à côté de Lou. Nadejda est du coup à côté de Samuelle, alors que normalement, c'est elle qui est la voisine de table de James, et Lou celle de Nadejda. Cette dernière m'adresse un beau sourire, bien digne d'elle, avec un pointe de sous-entendu. Tina, à la table d'à côté avec Heiling, sa meilleure amie, pour éternelle voisine, tape dans le bras de Nadejda en riant.
Ces deux fourbes...Je sais ce qu'elles disent depuis là où je suis sans les avoir entendues !
James, que j'avais un peu oublié dans mes pensées chaotiques, entame la discussion avec Alexis et moi. J'aime beaucoup James, il est gentil et intelligent, il fait craquer beaucoup de filles. Et de garçons...Sa bisexualité peut être un véritable atout. Alexis aussi est gentil et intelligent mais il est plus discret au regard des autres. Je ne sais pas vraiment mais je préfère. Disons que savoir son petit ami regardé et convoité de partout et tous les côtés peut être satisfaisant mais surtout très agaçant. De manière générale, on a plutôt envie de garder son élu ou élue du cœur pour soi, rien que pour soi.
-Est-ce que tu comptes ressortir avec quelqu'un ? demande alors Alexis à James.
-Je ne sais pas, répond ce dernier en levant les yeux vers le ciel pour donner une impression de réflexion. Disons que maintenant, j'attends de vraiment aimer quelqu'un...
Il jette un regard rempli, chargé, alourdi de sous-entendus à Alexis qui a un drôle de sourire. Je pense savoir ce que cet échange signifie. Mais James poursuit, coupant court à mes hypothèses internes :
-Mélusine, je l'ai aimée. Mais à peine je me suis mis avec qu'elle m'a quitté, presque tout de suite...Ça m'attriste un peu mais...
-Beaucoup, je dirais même, ajoutais-je en fixant James dans les yeux.
Il acquiesce et termine donc sa phrase :
-Mais Rick, enfin...Ricardo, je pense m'être voilé la face en disant que je l'aimais.
Alexis sourit à la fois avec compasssion et avec une sorte d'amusement cruel. Il peut être vraiment fourbe, des fois, je l'ai appris, parfois un peu à mes dépends...
-C'est bien de t'en être rendu compte ! conclut alors Alexis avec un sourire plus doux. L'important pour toi, c'est maintenant !
-Oui ! dit James avec une mine ravigorée et d'un coup, plus motivée qu'avant.
Le cours reprend dans quelques secondes, notre enseignante est déjà entrée dans notre classe. Elle sort de son sac bleu et pose ses affaires sur la table dédiée aux divers enseignants que nous avons. James, avec un salut de la main, retourne à sa place, aux côtés de Lou.
Pendant toute la durée que dure son cours, je bois ses paroles. Et apparemment, Alexis aussi, vu que contrairement aux autres cours aujourd'hui, il ne me parle pas en me chuchotant des choses à l'oreille pour ne pas se faire prendre par un enseignant.
On enchaîne les cours et la journée se termine assez vite, au final, malgré moi.
Cette fois, quand je vais à mon casier pour ranger mes affaires et en reprendre certaines pour étudier une fois le gymnase quitté, Alexis vient avec moi.
Je sais qu'il est intéressé par moi, ça se voit. Et mince, je me répète...Je devrais demander à James s'il en sait quelque chose.
Quand je refermes le cadenas de mon casier, je me tourne vers Alexis resté silencieux depuis un moment.
Il est grand. Presque une tête de plus que moi. Il est gentil. Tellement gentil...Il soupire et me dit avec résignation :
-Alors du coup, on se voit demain ?
-Oui, dis-je avec un ton un peu détaché.
J'allais partir après l'avoir salué mais il me retient par le bras. Il n'a pas mis de force dans sa poigne, il a juste posé délicatement sa main sur ma peau. Ce n'est pas un rustre et c'est bien. Les clichés veulent que les garçons soient tous des grosses brutes et des battants, mais ce n'est pas du tout le cas. Et tant mieux. Mon esprit de petite fille innocente aime les gentils garçons plutôt que les gros durs, qui endossent presque un rôle exagéré tellement parfois ils n'ont pas un comportement naturel.
-Oui ?
-Tu...Je...Je ne sais pas comment te dire ça...
Je me tourne vers lui entièrement et il me lâche, confiant. Je lui adresse un sourire encourageant.
-Tu veux bien me faire un câlin ?
Il s'empresse de se justifier avec un ton paniqué :
-Je...Je sais qu'on est amis mais j'aimerais pourvoir t'en faire. Au moins un.
-Les amis, ça mérite bien des câlins aussi !
Il me sourit alors tendrement, très tendrement et nous nous étreignons. Il retient presque sa respiration. Il a ses deux grandes mains dans mon dos, moi je me sens bien, dans ses bras. Quand je décide de rompre le câlin, il me regarde avec un sourire mais dans ses yeux brille un éclat de tistesse.
-Merci, dit-il simplement.
Puis il s'en va, allant à son arrêt de bus, comme tous les jours pour rentrer.
Moi, je sors du gymnase.
Des larmes me montent aux yeux. Je ne sais pas pourquoi. En fait si, je crois bien que je sais. Et puis je suis fatiguée, aussi...
À quelques rues de chez moi, Jeffrey m'attend. Il avance vers moi de sa démarche inhumaine et me sourit avec son fameux rictus carnassier.
-Comment ton gymnase de plaît-il ?
-Comme un gymnase, répondais-je, évasive.
Je n'aime pas qu'on me colle. Mais lui, il n'est doué rien que pour cela !
-J'espère que tu retrouvé tes amis !
-Oui, oui, dis-je pour couper court à la discussion.
-Et une dernière chose...
-Quoi ?
-Tu sais à quel point je suis possessif alors ne fais pas de câlins à tout le monde !
-Alexis est gentil ! Il a été chou avec moi toute la journée ! Alors je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas droit.
-Oui, ça doit être ça...me dit Jeffrey avec un air suspicieux. Il n'empêche que tu devrais être prudente avec les inconnus. Écoute donc ton vieil ami.
Je réponds immédiatement :
-Ça m'étonnerait qu'il y ait de dangereux psychopathes dans un gymnase de personnes qui ont en général entre seize et dix-neuf ans...Et puis Alexis est dans ma classe ! On est restés assis toute la journée côte à côte.
-Ouais...fait Jeffrey avec un grognement peu convaincu.
Il me fixe de ses beaux yeux mais qui m'effraient un peu et me dit :
-N'oublie pas que je suis là et que je te surveille !
Je plisse mes yeux avec un sentiment étrange, qui me dit qu'on est en train de restreindre ma liberté.
-Je sais, Jeffrey. Je sais.
-C'est bien, me dit-il avec un sourire satisfait, comme s'il voulait s'assurer que je sache cela. Je te laisse. Mais n'oublie pas, les Minuit sont une partie de ta vie maintenant !
-Je fais remarquer que c'est un joli nom de famille ! je dis en souriant presque avec arrogance.
-Fais attention, toi ! me dit Jeffrey. Ne joue pas avec le feu ou tu vas te brûler !
-J'y penserais ! dis-je en voyant alors l'homme disparaître au bout de la rue.
Je reste quelques secondes de plus sur le pas de porte de ma maison.
Je serre les poings jusqu'à me faire mal.
Pourquoi ?
Pour quoi ?
Pour quelle raison ?
Pourquoi ?
Je soupire puis rentre chez moi. Je vais aller étudier comme jamais. Et dessiner. Et finir si possible le dessin que j'ai commencé d'Alexis.