Pétales de Rose et rameau d'O...

Od Susi-Petruchka

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« Jamais Rose Phorbe-Nascorie n'avait connu situation plus insolite que celle dans laquelle elle se retrouva... Více

I. Damoiselle Rose, sur un muret perchée
II. Damoiselle Rose, au bal égarée
III. Damoiselle Rose, en un saule incarnée
IV. Damoiselle Rose, en pirogue embarquée
V. Damoiselle Rose, par les remous malmenée
VI. Damoiselle Rose, dans les combles réfugiée
VII. Damoiselle Rose, dans des plans très foireux impliquée
VIII. Damoiselle Rose, plusieurs fois abusée
IX. Damoiselle Rose, par la chaleur incommodée
X. Damoiselle Rose, en territoire ennemi infiltrée
XI. Damoiselle Rose, abondamment frustrée
XII. Damoiselle Rose, en un duel engagée
XIV. Damoiselle Rose, à la franchise résignée
XV. Damoiselle Rose, en contre-attaque avancée
XVI. Damoiselle Rose, b(a)isouillant dans les bois
XVII. Damoiselle Rose, par la réalité - et le manque de sommeil - rattrapée
XVIII. Damoiselle Rose, à de très légers problèmes relationnels confrontée
XIX. Damoiselle Rose, en un si sacré sanctuaire emmenée
XX. Damoiselle Rose, à bien des périls exposée
XXI. Damoiselle Rose, par les événements dépassée
XXII. Damoiselle Rose, entre des feux croisés piégée
XXIII. Damoiselle Rose, par de menus détails intriguée
XXIV. Damoiselle Rose, par une licorne secourue
XXV. Damoiselle Rose, sacrifiée
Épilogue : Juste Rose

XIII. Damoiselle Rose, par la vérité assomée

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Od Susi-Petruchka

Chardon fut la première à croiser le chemin de Rose, et elle se jeta à son cou en dissimulant mal son expression affolée.

Terra mater, mais quelle idée de disparaître de la sorte ! Nous nous sommes fait une sève d'encre tout l'après-midi ! Je suis tellement contente que tu ailles bien ! Je me suis tellement inquiétée ! Sérieusement, ne m'abandonne plus jamais en compagnie de cet imbécile de Valerian – et d'Edelweiss qui ne vaut guère mieux ! Oh Rose, heureusement que tu es rentrée !

La rouquine parvint à l'éloigner après quelques paroles rassurantes, mais ce ne fut que pour mieux essuyer les cris hystériques de l'aînée de ses demi-sœurs.

– Raconte-moi tout ! Raconte-moi tout ! piailla Edelweiss en sautillant tout autour de Rose et de Chardon. Tu l'as manipulé ? Tu as appris des choses utiles ? Tu t'es fait percer à jour ? Tu as complètement oublié et t'es contentée de jouer les damoiselles en détresse ? Tu t'es de nouveau échappée en pirogue ? Ah non, tu as toujours ta robe. Tant pis pour les alligators. Tu...

– Edel, calme-toi. J'expliquerai. Plus. Tard.

Rose fixa sa sœur d'un regard qui l'intimait au silence – avec un succès relatif cependant, puisqu'au lieu de s'adresser à elle, Edelweiss se mit à grommeler pour elle-même, ce qui lui donnait un air légèrement angoissant, quand on lui prêtait bien attention.

Rose avait cependant mieux à faire. Elle s'esquiva dans le couloir et rallia l'escalier qui menait aux étages, adressant au passage un monstrueux sourire pas forcément très innocent aux membres de la maisonnée installés sur les fauteuils et canapés du salon.

– Rose ? l'interpella Camomille au passage.

– Oui Maman ?

– Edel m'a dit que tu rentrais tard car tu t'étais rendue à un concert de chant grégorien. C'est exact ?

Elle portait sur son visage le masque de la suspicion absolue – chose plutôt rare, car Camomille s'avérait généralement assez encline à gober les incroyables histoires qui lui servait Edelweiss. Cela dit, vu l'excuse, Rose pouvait difficilement lui en vouloir ; difficile d'adhérer à pareille idiotie.

– Un concert de chant grégorien, parfaitement, déclara-t-elle cependant avec autant d'aplomb qu'elle en était capable, forcée de coller à l'invention abracadabrante de sa demi-sœur sous peine de s'attirer plus d'ennuis qu'elle n'en avait déjà.

Et dire qu'elle avait demandé à Edelweiss de lui inventer une excuse crédible. Elle aurait dû souligner trois fois le mot sur le billet qu'elle lui avait fait parvenir. Ou alors en copier une définition au bas de la page. Ou mieux encore, le remplacer par une excuse de sa propre invention. Ou charger Chardon d'en inventer une. Mais non, il avait fallu que, dans un moment de faiblesse, elle se permette de croire qu'Edelweiss était capable de la tirer d'affaire. Bon, qu'importait ; se lamenter sur la bêtise de ses choix ne pouvait les modifier en rien, et elle allait devoir se prétendre passionnée de chant grégorien pour les quelques semaines à venir si elle voulait éviter de récolter une nouvelle punition alors que l'actuelle n'était même pas encore terminée.

– Je vais aller... donner un compte-rendu du concert à grand-mère Gaïa, d'ailleurs, balbutia-t-elle encore. Elle sera sans doute très intéressée.

– Sans doute, persifla Camomille en haussant les sourcils en une expression vacillant entre incrédulité et découragement. Et ensuite tu reviendras me voir et nous discuterons ensemble de ce qui est un bon mensonge et de ce qui n'en est pas un.

Rose ne prit pas la peine de répondre, sentant les ennuis lui coller au train tandis qu'elle escaladait les marches qui grimaient jusqu'au grenier de Gaïa.

Elle hésita quelques secondes devant la porte fermée, craignant ce qu'elle risquait d'affronter à l'intérieur. Bien sûr, Rose ne comptait pas faire marche arrière. Elle obtiendrait la vérité, et tant pis si elle devait se dresser contre sa terrible arrière arrière-grand-mère pour ce faire. Mais à bien y réfléchir, elle aurait apprécié de ne pas devoir l'affronter seule ; de pouvoir compter sur une épaule solide sur laquelle s'appuyer au cas où les choses dégénéreraient.

– Attends-moi, Rose. Tu as l'air d'avoir un secret trop lourd sur le cœur, et j'ai l'impression que tu ne dirais pas non à un peu de soutien. Tu peux compter sur moi, tu sais. L'ancêtre et moi n'entretenons pas des relations des plus cordiales, en ce moment.

Rose crut rêver en reconnaissant la voix de Valerian, et en voyant ce dernier gravir les marches pour la rejoindre. Elle fut étonnée par sa déclaration – le jeune homme passait énormément de temps en compagnie de Gaïa dernièrement, et elle aurait mis sa main à couper que leurs relations demeuraient au beau fixe ; pourquoi s'attarder en sa compagnie si ce n'était pas le cas ? Toutefois, Valerian s'avérait bien trop secret pour qu'elle soit en mesure de décrypter son comportement ces derniers temps.

– Merci Val, murmura-t-elle, soulagée. Allons-y.

Ils s'engouffrèrent dans le grenier l'un derrière l'autre.

Ils n'y trouvèrent pas Gaïa. La pièce ne dérogeait pas à son apparence coutumière. Les bougies éparses jetaient des lueurs vacillantes sur les amas de livres, de bibelots et d'objets à l'utilité indéfinissable. Les tapis usés jusqu'à la corde s'étalaient toujours sur le plancher, dans une avalanche de tissus aux couleurs passées. Çà et là traînaient des tasses de porcelaines ébréchées, des pots aux étiquettes décolorées, indiquant un contenu des plus farfelus. En un mot comme en cent, il s'agissait toujours du même repaire de cette même Gaïa qu'ils avaient toujours connue. Si ce n'était que cette dernière ne trônait pas sur son fauteuil élimé au centre de la pièce, comme une reine en son royaume.

– Elle va arriver, murmura Valerian, tendu. Mais ce ne sera pas vraiment elle... Je veux dire, pas la Gaïa que nous connaissons. Tu l'as rencontrée sous une autre de ses formes, n'est-ce pas ?

Rose sentit la peur lui saisir le ventre et se disperser dans chaque parcelle de son corps en entendant la voix calme sur laquelle son ami – ou du moins le croyait-elle – avait débité son secret. Elle s'éloigna de quelques pas, craignant soudain d'être tombée dans un traquenard. Pouvait-elle réellement accorder sa confiance à Valerian, lui qui avait tellement changé ses derniers mois ? Ne devait-elle pas se fier aux impressions de Chardon, qui s'avérait souvent très douée pour juger de la véritable nature de ceux qui l'entouraient ? Non... Val avait toujours représenté un élément familier et amical de son monde, comme une vieille souche sur laquelle l'on pouvait se reposer lorsque rien n'allait plus et que le monde ne tournait pas comme on l'aurait souhaité. Rose tâcha de se raisonner ; Val en savait visiblement beaucoup sur le compte de Gaïa, mais cela ne changeait pas qui il était, au fond de lui. Elle devait lui faire confiance ! Et à vrai dire, elle n'avait pas vraiment le choix...

Les ombres se mirent soudain à trembler dans la pièce, sans qu'aucune brise extérieure ne soit venue faire vaciller les flammèches orangées des bougies. Rose sentit son cœur partir en une course effrénée tandis que ses jambes se trouvaient prises d'un accès de faiblesse. Elle eut le réflexe de s'appuyer sur le bras de Valerian, qui lui adressa un regard qu'il voulait rassurant.

– Je suis avec toi ; tout va bien se passer, murmura-t-il du bout des lèvres, incarnant à nouveau ce grand frère protecteur sur lequel Rose pouvait s'appuyer.

– Merci Val, répondit-elle doucement.

Elle n'osa plus articuler le moindre mot par la suite, trop apeurée par les étranges phénomènes qui se déchaînaient dans les combles. Les ombres semblaient virer au noir le plus complet, étouffant chaque flamme, chaque lueur. Le grand panneau de bois sculpté érigé au fond de la pièce sembla soudain envahi d'une obscurité mouvante, comme un nœud de serpents aux couleurs d'une nuit sans lune. Une forme commença à s'y dessiner, révélant les contours d'une silhouette de plus en plus humaine. Mais elle paraissait bien trop grande pour appartenir à la frêle Gaïa. La taille était bien trop fine ; les formes, bien trop anguleuses.

Petit à petit, seconde après seconde, Rose vit ainsi une femme émerger du panneau. Une femme qui n'était pas l'ancêtre de la demeure, mais qu'elle connaissait néanmoins, pour l'avoir croisée l'après-midi même : la clarinettiste.

– Voici Gaïa, ou terra mater, pour citer son nom véritable, le plus ancien, sous sa forme originelle, chuchota Valerian à côté d'elle. Elle ne nous fera pas de mal... je crois.

Les ombres se radoucirent, et le panneau de bois sculpté reprit son apparence habituelle, ne semblant plus qu'une simple œuvre d'art au goût douteux. Mais devant lui, en chair et en os, se dressait désormais la longue silhouette de la musicienne indienne que Rose avait admirée avant de retrouver Olivier, plus tôt dans l'après-midi. Sa longue chevelure blanche, tressée en une natte compliquée, la couronnait plus sûrement que n'importe quelle tiare, et une étrange majesté se dégageait d'elle à chacun de ses gestes, comme si une grâce sauvage l'avait habitée toute entière. Jamais Rose n'avait vu Gaïa se déplacer de la sorte ; jamais elle n'avait vu quiconque se déplacer ainsi, à vrai dire, même si les mouvements fluides d'Aguaje s'en rapprochaient un peu.

– J'espérais que tu te ruerais ici directement après m'avoir reconnue, ma chère Rose, débita calmement l'arrivante. Après tout, c'est toujours auprès de moi que tu te réfugies lorsque quelque chose te trouble.

– Je ne suis pas troublée, répliqua Rose, acerbe. Je suis stupéfiée, effarée, effrayée ! Depuis combien de temps vous jouez-vous de nous de la sorte ? Qui êtes-vous vraiment ?

La vieille indienne s'avança vers ses deux jeunes visiteurs, ne déclenchant pas le moindre craquement dans le plancher sous ses pieds nus. Elle s'arrêta à un mètre à peine de Rose, avant de choisir de s'installer dans le fauteuil habituellement réservé à son apparence de vieil esprit des plantes inoffensif.

– Qui je suis ? maugréa-t-elle. La même femme que tu as toujours connue ; que vous avez toujours tous connue. Gaïa. Je ne vous ai simplement jamais révélé toutes mes facettes.

– Mais... balbutia Rose, poursuivant malgré un geste de Valerian l'intimant au silence. Mais vous êtes un esprit des plantes, comme nous ! Personne ne peut faire ce que vous faites ! Apparaître au beau milieu d'une pièce, changer d'apparence ... Les esprits des plantes ne sont pas capables de telles prouesses, même les rares d'entre eux qui parviennent à vivre plusieurs siècles !

Un sourire moqueur apparut sur le visage de l'indienne, étirant la peau sombre et charnue de ses lèvres. Elle fit rouler ses yeux dans ses orbites, comme ennuyée – ces yeux si verts que Rose pouvait les reconnaître même lorsqu'ils se trouvaient dans les prunelles d'une autre personne, d'un homme ou d'une joueuse de musique itinérante.

– Je suis l'esprit de l'Île. Toutes les plantes sont reliées à moi ; la terre me prête sa malléabilité ; la roche me donne sa résistance ; le soleil me nourrit et l'océan me berce. Je suis l'Île, petite Rose. Que peut donc savoir une fleur insignifiante, une fleur domestiquée à la réalité de mon existence ? À la sauvagerie de ma nature ?

La révélation tomba sur Rose comme une chape de plomb, comme un lourd rideau métallique la coupant du monde extérieur pour ne plus la laisser que face à cet étrange aveu. Son regard tomba dans celui de Gaïa, si brillant, empli de toutes ces nuances merveilleuses dont savait se teinter le vert, et ce fut pour elle comme une chute tout au fond d'un puits, une perdition de l'âme semblable à celles qu'elle s'imposait lorsqu'elle prenait possession d'un végétal. Elle se sentit tiraillée, disloquée. Gaïa n'avait pas menti en affirmant détenir un pouvoir sur toutes les plantes de l'Île. Rose lui appartenait.

– Je ne compte pas t'abîmer, maugréa-t-elle finalement de sa voix aussi claire de que l'eau de roche, fermant d'un geste impérieux ses deux paupières, afin de soustraire la jeune femme en face d'elle à l'attrait hypnotique de ses prunelles.

Puis, comme pour réinstaurer un semblant de routine, elle se leva et mit de l'eau à chauffer. Rose crut rêver. Mais, trop étourdie par les évènements, elle ne réagit pas et laissa sagement Valerian la conduire vers une chaise en osier, sur la jumelle de laquelle il prit place à son tour.

Une théière fumante de tisane fut bientôt prête, exhalant des senteurs de fruits rouges et de citronnelle. Indécise, Rose en accepta une tasse, mais refusa obstinément de la porter à ses lèvres tant qu'elle n'eut pas vu clairement Gaïa et Valerian en avaler une gorgée. Puis, elle sentit ses sens se désengourdir. La tisane lui faisait effectivement le plus grand bien, détendant ses muscles crispés. Il lui sembla retrouver ses capacités de réflexion, ainsi qu'une petite bulle de calme dans laquelle elle s'isola, afin d'échapper à la tempête de ses sentiments contradictoires.

– Parlons à présent. Je suis heureuse que tu te trouves ici avec elle, Valerian. Dans ce grand puzzle que je mets peu à peu en place, tu es une pièce importante – du moins, aussi important que peut le devenir un simple être humain.

Gaïa avait prononcé ces mots en les imprégnant de dégoût, et son animosité, ses railleries à l'égard du jeune homme étonnèrent Rose autant qu'elles la choquèrent. Elle ne comprenait pas...

– Des questions, petite Rose ? Nous sommes là pour y répondre, après tout. Pour t'expliquer, afin que tu ne viennes plus t'embourber dans les mêmes difficultés que celles que tu m'as causées aujourd'hui.

– Je ne vous suis pas, soupira la jeune fille. Visiblement, vous soutenez le projet de Donatien de Tantale et l'aidez même à le réaliser. Si vous incarnez vraiment l'esprit de l'Île, comme vous l'affirmez, pourquoi une telle volonté ? Pourquoi chercher à vous détruire vous-même ?

Valerian apparaissait de plus en plus tendu à chacun des mots prononcés par Rose, et son visage laissait apparaître à l'égard de Gaïa le même dégoût qu'elle semblait lui vouer. Drôle de tête-à-tête, décidément.

– Parce que je veux mourir, répondit simplement l'indienne à la longue tresse blanche. Parce que ce monde ne me convient plus, que ces humains m'indiffèrent autant qu'ils m'agacent, et que je n'ai aucune intention de poursuivre ma vie dans un empire dirigé par eux, dans un empire où ils finiront implacablement par me domestiquer et me soumettre à leurs règles. La terra mater ne plie pas, Rose. Elle lutte, se déforme, rompt à la rigueur, mais jamais ne plie.

La rouquine hocha la tête de gauche à droite, incrédule. Elle ne comprenait toujours pas ; ou en fait si, elle comprenait. Mais la chose semblait impossible à envisager. Tuer l'Île ? Tuer l'Île elle-même, l'Île tout entière ? Une telle calamité était-elle seulement possible ? Envisageable ? Et les milliers d'habitants de ce morceau de caillou accroché au milieu de l'océan, que devenaient-ils ?

– Vous... Vous allez tous nous condamner en agissant de la sorte, n'est-ce pas ? Nous ne pouvons survivre si l'Île meurt. Les humains comme les esprits des plantes. Gaïa...

Une supplique terrifiée s'élevait dans la voix de Rose, qui peinait à croire ce qu'elle entendait.

– Tu perds ton temps, grommela Valerian à côté d'elle. Je ne suis pas certain qu'elle ait connaissance du concept de pitié.

La vieille indienne couronnée de blanc ne réagit pas à la pique, mais l'intervention du jeune homme poussa Rose à enfin s'intéresser à son cas. Gaïa avait dit qu'il était important. En quoi ? Comme s'il avait lu dans ses pensées, Valerian détourna le regard, peinant à dévoiler ses propres secrets.

– Val, quelle est ta place dans cette histoire ? Tu ne la soutiens pas dans son projet, je peux le voir ! Alors explique-moi : que fais-tu ici ?

– Ça ne va pas te plaire, Rose, murmura simplement le jeune homme. Mais j'imagine qui si tu connais la vérité sur Gaïa, tu as également le droit d'être mise au courant de ses autres manigances.

Il marqua une pause, confus, et releva finalement la tête. Puis, comme une sentence de mort, il fixa gravement leur opposante droit dans les yeux, ne semblant pas la craindre le moins du monde.

– Je ne suis pas un esprit des plantes. Je suis humain.

Rose fronça les sourcils, trouvant cette nouvelle révélation plus absurde encore que la première. Bien sûr que Val était un esprit des plantes ! Il suffisait d'observer la pâleur de sa peau pour le comprendre ; de voir la sève pâle s'écouler hors de ses veines lorsqu'il se blessait, plutôt que le sang rouge vif des humains. Même si, à bien y réfléchir, Rose devait avouer qu'elle n'avait jamais vu le jeune homme entrer en contact avec les plantes – ni même avec la valériane, sa plante, en quelque sorte. Personne n'avait trouvé la chose étrange, jusque-là. Il arrivait que la part d'humanité de certains esprits des plantes évince leur lien à la nature. Cela dit, il fallait reconnaître que Valerian était un cas particulièrement extrême de ce genre de comportement. Et que penser de sa résistance quasi surnaturelle à la chaleur, quand tous ceux de son espèce s'effondraient sous l'assaut des vertiges ?

– Je ne comprends pas, avoua Rose malgré ses doutes. De la sève court dans tes veines ; pas du sang. Cela constitue la preuve ultime de ton appartenance à notre espèce hybride !

Le masque calme que s'était composé Valerian jusque-là vola brusquement en éclat, laissant apparaître tout le désarroi qui devait le tenailler depuis des mois.

– Non, hoqueta-t-il. Tout ça, ce n'était qu'une illusion orchestrée par Gaïa. Son sort a volé en éclat il y a plusieurs mois de cela ; je me suis coupé et...

Joignant les gestes à la parole, il s'empara d'un petit couteau qui traînait sur une table basse, à portée de sa main, et sans prêter attention aux protestations de la rouquine, fit glisser la lame sur la pointe de son index. Une goutte de sève translucide suinta de la coupure, apaisant Rose durant un tout petit laps de temps ; Valerian appartenait aux hybrides des plantes ! Son soulagement fut cependant de courte durée. Presque aussitôt, une larme rouge vint teinter la sève, qui perdit toute sa pâle beauté. La goutte se fit filet, et bientôt, une maigre ligne rouge dévala l'index de Valerian. Il disait vrai. Terra mater, il disait vrai !

Toutes ces révélations impromptues emportaient plus d'émotions que ne pouvait le supporter Rose en une seule soirée. Ne tolérant plus de sentir le regard vif de Gaïa la sonder sans cesse, elle finit par se lever et quitter la pièce, sans rien ajouter. Elle ne savait pas ce qu'elle devait faire désormais. Gaïa voulait mourir. Mourir. Le mot résonnait étrangement dans la tête de Rose, qui avait pourtant côtoyé la mort dès sa plus tendre enfance, et s'était accoutumée à son caractère définitif. Mourir. Pouvait-on le lui interdire, si la vie lui devenait insupportable ? Pouvait-on le lui permettre, si cela condamnait des dizaines de milliers d'autres vies ? Le dilemme était impossible à résoudre. Une chose apparaissait néanmoins avec clarté dans l'esprit de Rose. Elle ne savait pas quoi, ni comment, ni même pourquoi, mais elle savait au moins une chose : dans cette bataille entre son monde et celui des êtres humains, elle n'avait pas le droit de demeurer inactive.

Elle y fut toutefois forcée jusqu'à tard dans la nuit, obligée de supporter les réprimandes de Camomille, qui ne comprenait définitivement plus le comportement de sa fille aînée. Rose demeura silencieuse sous les reproches, ne sachant véritablement que répondre. Devait-elle révéler à sa mère – si fragile – la dure menace qui pesait sur leurs existences ? Si elle s'y risquait, la jeune femme savait pertinemment comment réagirait Camomille : elle fuirait. De la même manière qu'elle avait déjà fui une première fois, après la mort de son premier époux. Et dans sa fuite, elle condamnerait tous ceux qui demeureraient sur l'Île, car elle préférerait assurer la sécurité de ceux qu'elle aimait plutôt que de sauver toutes ces vies qui lui étaient indifférentes. C'était un point de vue que Rose pouvait comprendre, mais qu'elle ne partageait pas – elle-même n'était pas mère, après tout.

La rouquine réalisa ainsi qu'elle mettait sans doute Aubépine et Capucine en danger en agissant de la sorte, en se taisant. Mais une forme d'égoïsme étrange l'empêchait de sauver ses petites sœurs au détriment de tous les autres.

***

Genèse 11.0

Susi dit : Donc, si je repose le début, Rose, rousse, sa grand-mère tuée par les méchants industriels, va un jour pleurer devant la grille de l'usine en chantant Francis Lalanne – on s'occupe comme on peut – et voilà qu'elle y rencontre Olivier, fils du méchant industriel, qui la console. Mais ensuite ben elle part et parle  du bel Olivier à sa cousine préférée, qui, la garce, s'en va le draguer. Et à la fin, ça finit bien.

Susi dit : C'est l'intrigue du siècle.

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