OCTAVIA
Les yeux rivés sur le contenu de mon casier, je pèse le pour et le contre. Après l'histoire Debrah, j'ai craqué pour une superbe édition du Fantôme de l'Opéra, je devais l'offrir à Nathaniel mais je n'ai pas encore osé le faire... C'est pourquoi le petit paquet joliment emballé d'un papier métallisé bleu est toujours caché au fond de mon casier.
Ce qui est absolument ridicule ! Ce n'est qu'un livre, je ne devrais pas stresser de voir sa réaction si je lui offre un livre ! C'est pourquoi, sur une impulsion, je prends le livre et le fourre dans mon tot-bag à l'effigie d'une pièce de Shakespeare et me dirige droit vers la salle des délégués.
Malheureusement pour moi, ce n'est pas Nathaniel que je trouve en salle des délégués mais Melody et Capucine.
– Ah tiens, lance une Capucine moqueuse. Qu'est-ce que tu fiches ici toute seule toi ?
– Je suis pas seule, je réplique. J'attends Nath.
– C'est quand même triste d'en arriver à s'inventer des amis.
– Si tu le dis, je réponds d'un air blasé, me fichant bien de ce que peut penser Capucine.
Melody n'a toujours pas dit un mot. J'aime bien Melody, elle est gentille et serviable, mais depuis quelque temps je la trouve... bizarre. Elle m'évite et me lance des regards qui me semblent peu engageants. Peut-être serait-il temps que nous en parlions ?
– Melody ? Tu crois pas qu'on devrait parler, toi et moi ?
– Je n'ai pas envie de parler avec toi.
Ok...
– Tu l'as entendu ? s'exclame Capucine. Elle n'a pas envie de parler avec toi.
– J'avais très bien compris la première fois, merci, je réponds sarcastiquement avant d'ajouter : Tu devrais rester en dehors de ça Capucine, ça ne te concerne pas.
– Tu n'as pas d'ordre à me donner ! Je fais ce que je veux d'abord.
– Melody, je reprends en ignorant Capucine. Si j'ai fait quelque chose de mal, dis-le moi !
– Tu le sais très bien ! s'énerve-t-elle. Tu passes ton temps à coller Nathaniel.
Je fais un pas en arrière, frappée par son accusation.
– Oh... je murmure dans un souffle. Euh... Tu sais... Nath et moi on a vécu des choses ensemble et...
– ... Et tu n'as pas à te justifier.
Je fais volte-face et découvre que la porte s'est ouverte sur le principal concerné.
S'ensuit d'un moment très gênant durant lequel personne ne dit mot. Melody semble vouloir se faire plus petite sous le regard sévère de Nath et Capucine... Et bien c'est Capucine quoi, elle me fusille du regard.
– Laissez-nous, affirme Nath avec une froideur que je ne lui connaissais pas.
J'échange un regard avec les filles avant de faire un pas vers la sortie mais Nath m'empêche de faire un pas de plus en saisissant mon bras.
– Pas toi, dit-il, les yeux rivés sur les deux filles. Elles.
– Nathaniel... reprend Melody. Il faut qu'on parle du conseil de discipline de tout à l'heure et-
– On en parlera plus tard, la coupe-t-il. Laissez-nous.
Melody baisse les yeux et passe devant nous sans mot, vite suivie par Capucine. Nath relâche sa prise sur mon bras et referme la porte derrière elles. Je baisse les yeux et pose les mains à plat sur la grande table avant de secouer la tête.
– Je suis désolée pour tout ça, je commence. Je-
– Tu n'es pas responsable des petites crises de jalousie de Melody, me coupe Nath.
– Si je le suis, je le contredis. Je sais très bien qu'elle est amoureuse de toi, et moi, au lieu d'être quelqu'un de bien et de m'effacer, je...
Je ferme les yeux, incapable de terminer ma phrase.
– Depuis quand ça dure ?
Je lève les yeux vers Nath, qui a visiblement fait quelques pas vers moi entre-temps et me contente d'hausser les épaules.
– Au fait, je reprends, préférant détourner la conversation. Je... Il y a quelque temps j'ai trouvé ça et... Enfin, je me suis dit que... enfin que ça pourrait te plaire...
Je fouille dans mon sac pour lui tendre le paquet à l'origine de cet échange et il le saisit sans me lâcher du regard. Ses mains effleurent les miennes à ce moment et je me demande si ce geste est volontaire ou non. Stop Octavia, tu dois arrêter de te laisser influencer par ta lecture du moment, Nathaniel n'est pas Anthony Bridgerton, je ne suis pas le "fléau de son existence" et encore moins "l'objet de tous ses désirs".
Et pourtant, je ne peux m'empêcher de craindre le pire lorsqu'il ouvre délicatement le paquet. Bien évidemment que Nathaniel est le genre à ouvrir consciencieusement ses cadeaux, ce garçon est trop parfait pour arracher le papier comme une brute enragée.
Nathaniel se met à sourire en découvrant le livre et je commence à paniquer :
– Tu l'as déjà c'est ça ? Je savais que c'était stupide, je-
– Tu ne pouvais pas me faire un meilleur cadeau, me coupe-t-il. C'est mon livre préféré, celui qui j'ai lu en une nuit et que j'ai relu au moins vingt fois. Je trouve ça génial !
Ok, donc Nathaniel a comme livre préféré l'une des pièces de théâtre les plus incroyables que j'ai vu de toute ma vie. QUE QUELQU'UN M'APPORTE UN ÉVENTAIL AVANT QUE JE NE M'ÉVANOUISSE !!
– Ouf, j'ai eu peur... je m'exclame en laissant échapper un soupir de soulagement.
– Octavia, reprend Nathaniel. Tu aurais pu m'offrir n'importe quoi, j'aurais aimé ce cadeau simplement parce que c'est toi qui me l'a offert.
Mon souffle se coupe en l'entendant prononcer ces mots et je baisse les yeux sur le livre qu'il tient toujours fermement en main.
– Je crois que... je commence en désignant la porte. Je ferais mieux d'y aller, d'après ce que j'ai compris, t'as une réunion alors je... Enfin je vais pas t'embêter plus longtemps.
– Attends !
Sa main s'empare de la mienne pour m'empêcher de faire un pas de plus et il repose le livre sur la table avant d'effacer la distance qui nous sépare. Je suis forcée de relever la tête pour lui faire face alors qu'il dégage une mèche de mes cheveux de mon visage.
– Il y a quelques jours, tu m'as demandé ce qu'on était...
– Oh.. Euh... S'il-te-plait, n'en parlons plus, je réponds en secouant la tête, rouge de honte. C'était une question stupide et-
– Et laisse-moi parler pour une fois s'il-te-plait, me coupe-t-il.
Je déglutis alors que son regard s'illumine d'une lueur que je n'avais encore jamais vue avant.
– Je n'ai pas répondu à cette question... continue-t-il.
– Nath, t'es pas obligé de-
– Je ne sais pas ce qu'on est l'un pour l'autre, me coupe-t-il une nouvelle fois. Tout ce que je sais c'est que...
Il semble peser le pour et le contre et je m'autorise à espérer l'entendre prononcer les mots dont je rêve chaque nuit.
– ... je t'ai rencontré dans un rêve...
Je me pince discrètement le bras, ne pouvant croire que c'est la réalité. Parce que c'est forcément un rêve. Nathaniel Carello ne peut pas avoir dit ça, c'est impossible. Jamais il n'aurait dit ça dans la réalité. Normalement, c'est à ce moment précis que je me réveille seule dans mon lit, mes écouteurs encore en boucle sur Love Story de Taylor Swift. Et pourtant...
– Nathaniel ?
Seigneur tout puissant, je vais séquestrer cette fille dans le sous-sol !
– Je suis occupé, Melody... siffle Nathaniel, la mâchoire serrée.
– Je venais te chercher pour le conseil de discipline de...
– J'arrive dans cinq minutes ! la coupe-t-il.
Je crois que je ne l'ai jamais entendu parler aussi... fermement. Ce dont elle semble se rendre compte puisqu'elle disparaît aussitôt.
Cette interruption a au moins eu le don de me rappeler à l'ordre. Je me dégage de la prise de Nathaniel, prête à fuir cette pièce comme s'il s'agissait d'une scène de crime. Sauf qu'au moment où je pose la main sur mon sac, celle de Nathaniel se pose sur ma taille. Par réflexe, je me tourne vers lui et articule bien difficilement :
– Nath, tu... Tu es attendu, tu devrais aller avec elle, je-
– Alors tu ne comprends vraiment pas ? me coupe-t-il.
– Qu'est-ce que je devrais comprendre ?
Sa main exerce une douce pression sur ma taille pour me rapprocher de lui et sa deuxième main effleure ma mâchoire. J'ai l'impression qu'il fait tout pour me faire perdre l'esprit et qu'il en a parfaitement conscience. Mon esprit est au bord de l'implosion alors que mon cœur est au bord de l'explosion.
Et il assène le coup de grâce :
– Je ne voudrais être nulle part ailleurs qu'ici, en ce moment... avec toi.
Tout mon corps cesse de fonctionner l'espace d'un instant, le temps que mon esprit n'analyse les paroles que Nathaniel vient de prononcer. Une fois cette étape passée, je chercher la moindre trace de mensonge sur son beau visage, mais je n'en trouve aucune. Je crois même ne l'avoir jamais vu aussi sincère.
Complètement déstabilisée, je fais la seule chose que je suis capable de faire, à savoir :
– Je crois que c'est le moment où je suis censée citer Juliette dans la scène 5 de l'acte I...
– Ou alors tu pourrais juste te taire, rien que cette fois, répond Nate.
Nous échangeons un regard et je me mets à rire, vite suivi de lui. C'est durant ce rire qu'il pose son front contre le mien et je ferme les yeux. Il en profite pour recueillir ce premier baiser que nous attendions tous deux depuis trop longtemps et je rouvre les yeux pour m'assurer une dernière fois que ce n'est pas un rêve.
Sa main quitte ma taille, remontant doucement, comme pour me torturer, vers mon cou et il m'attire à nouveau vers lui. Cette fois, je me laisse totalement guider par mes sens. Ce baiser est celui dont j'ai toujours rêvé, celui des "et ils vécurent heureux pour toujours", celui qui m'apporte le calme le plus intense que je n'ai jamais connu.
Ni référence littéraire, ni allégories me viennent à l'esprit, parce que rien ne peut égaler la sensation que m'offre ce baiser. Il n'y a pas de mot ou d'expression assez forte, quelle que soit la langue, pour définir ce que je ressens à cet instant.
Nathaniel a totalement fait dériver mon centre de gravité et je m'accroche à lui pour m'empêcher de vaciller. Il est la réponse à toutes les questions auxquelles j'ai pu me poser un jour dans ma vie.
Je peine à retrouver mes esprits lorsqu'il rompt ce baiser, c'est comme si le bug de l'an 2000 avait anéanti absolument toutes mes fonctions cognitives.
– Etrangement, ce conseil de discipline est devenu le cadet de mes soucis... murmure-t-il en caressant ma joue de son pouce.
Il replace une mèche de mes cheveux derrière mon oreille en esquissant un sourire timide. Je me pince les lèvres avant de me mettre à rire avec lui. Puis je me mets sur la pointe des pieds pour l'embrasser à nouveau. C'est bref, simple, mais c'est tout ce que je suis capable de faire à cet instant.
– Tu sais... reprends-t-il alors que ses joues prennent une adorable couleur rosée. Ça faisait un moment que j'avais envie de faire ça. Mais... Je sais pas. J'avais peur que tu me repousses, j'imagine.
– Très mauvaise analyse Monsieur le Délégué principal, je réponds avec un sourire moqueur. Mais j'avoue que... Enfin je pensais pas que tu pouvais ressentir la même chose que moi..
Il se contente de me répondre par un sourire et je demande :
– Et maintenant ? Enfin, qu'est-ce que... Qu'est-ce qu'on fait ?
– Tu sais... Tu n'as pas besoin de te mettre la pression. O-On va pas sortir de cette salle et faire une annonce officielle.
– Peggy serait très déçue de ne pas découvrir le scoop du siècle elle-même, je blague.
– Honnêtement, je crains plus les menaces de Ginny et Rosalya quand elles vont l'apprendre.
Je pousse un soupir en grimaçant, imaginant très bien leurs réactions.
Je passe mes bras autour de ses épaules et reprend d'un ton beaucoup plus léger :
– On pourrait... garder ça pour nous ? Le temps que...
– Qu'on voit comment ça se passe ? complète Nate. De toute façon, la seule chose qui compte aujourd'hui, c'est que tu saches ce que je ressens pour toi.
J'hoche la tête et scelle cet instant magique par un énième baiser.