Le roman de Kelly

By EpriseDeMots

3.2K 375 343

Cette dernière année au lycée Leclerc est sans aucun doute celle qui marquera à jamais la vie de Kelly... More

Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29

Chapitre 17

90 15 13
By EpriseDeMots

Le plus dur dans les moments comme celui-ci, ce n'est pas de se faire à l'idée qu'on risque peut-être de perdre la personne à qui on tient le plus au monde. Non. Ce qui brise vraiment, c'est le fait de se rendre compte que la terre continue à tourner. Rien ne s'arrête. Chacun poursuit sa petite vie et enchaîne ses habitudes quotidiennes en dehors de ces murs où, depuis trois jours, ma mère est entre la vie et la mort. Dans le même bâtiment, pendant que d'autres femmes donnent naissance, elle, ne se remet pas d'avoir perdu son bébé. Et tandis que je viens de passer ma deuxième nuit blanche et me prépare à vivre mon troisième jour noir, d'autres gens de mon âge sont en train de fêter Noël. À l'extérieur, on célèbre un avènement, la joie, la vie. Et moi, j'expérimente le désespoir, l'effroi, la folie.

J'en viens presque à haïr le monde à cause de son indifférence. J'en veux au jour de ne pouvoir s'empêcher d'être joyeux. Je déteste ce soleil qui sourit inlassablement. J'accuse tous ces gens heureux dehors dont les rires de hyènes rassasiées me parviennent, tels des glaçons de feu. Pourquoi est-ce qu'ils ignorent tous ma détresse ? Pourtant si visible ! Ma peine est si grande qu'elle consumerait d'un seul trait le bonheur de quiconque y prêterait seulement attention.

J'ai la nausée. À cause des odeurs des médicaments, celles des maladies et celle de la mort. Les murs blancs de l'hôpital me donnent le tournis. Et j'ai l'impression de bientôt craquer à force de voir les aller-retours du personnel médical en charge de maman.

Une infirmière dont j'ai presque déjà l'habitude me sourit vaguement en allant dans la chambre où est hospitalisée ma mère, munie d'un plateau de soins. Je n'ai qu'une envie, c'est de la suivre. Mais je n'ai pas le droit d'être présente, à ce moment.
Tout à coup me reviennent à l'esprit des images de ses fines lèvres déshydratées, ses paupières faiblement closes et son corps semblable à un légume. Je revois ce long tube dont je ne comprends pas le fonctionnement serpenter sa poitrine, au bout duquel un masque recouvrant son nez et sa bouche. Je n'en reviens toujours pas. Je ne comprends pas. À quel moment les choses ont-elles basculé ainsi ? Pourquoi on se retrouve là ? Rien de tout ceci n'était censé arriver. Pourquoi ? Comment ?

Voilà que mes yeux se remettent à couler. Et sitôt, mon corps est secoué de sanglots.

Angélique, la sœur de ma mère de douze ans plus âgée que moi, semble se retenir de me blâmer. Depuis qu'elle nous a rejoints il y a deux jours, elle ne cesse de répéter que je doive me retenir de pleurer car cela attire le malheur. Comme quoi me lamenter ne ferait que donner plus de chances à la faucheuse de frapper. Sottise !

Angélique est la dernière née d'une fratrie de cinq dont ma mère est la deuxième. Entre les deux filles on compte deux garçons. Des jumeaux. L'ainé également est un grand gaillard, que je n'ai vu que deux fois dans ma vie. Vivant en France, il n'apparaît que lors de grandes occasions familiales. L'une était le mariage de ma mère, et l'autre le deuil de mon grand-père. J'espère que notre prochaine rencontre n'est pas pour bientôt...

William revient de la route avec des sachets de nourriture qu'il nous distribue.

— J'ai demandé des beignets aux haricots ! me frustré-je en découvrant des croissants dans l'emballage.

— Je sais. Mais je n'ai trouvé aucune vendeuse en ayant fait, là dehors. C'est Noël. Il n'y a que les boulangeries qui sont ouvertes.

Je m'agace. Je maugrée. Je me rassieds rageusement sans cesser de renifler.

— Mange, me souffle gentiment William, ensuite je te raccompagne à la maison pour que tu puisses prendre une douche et dormir un peu. Tu n'as pas fermé l'œil, depuis.

Le lendemain de l'hospitalisation de maman, il a été convenu que chaque jour je rentre me débarbouiller et dormir à la maison. Selon Angélique, je ne devais même pas rester autant à l'hôpital. Ce n'était pas bon pour ma psychologie ; et puis eux, les adultes, se chargeaient tout à fait de rester avec maman. Elle a proposé que je rentre définitivement et que je ne repasse qu'aux heures de visite. C'était le plus approprié.
Évidemment, je n'étais pas d'accord et William, répondant à tous mes désirs depuis que je risque d'être orpheline, a demandé à ce que ma volonté de rester soit respectée. Il ne me raccompagnait donc que pour me laver, prendre quelques affaires nécessaires, et me ramenait aussitôt à l'hôpital.

— Si, j'ai dormi hier en journée.

— Une sieste de deux heures, a précisé ma tante, sur le banc !

— Je sais que tu as envie de rester auprès d'elle autant que possible, a repris mon beau-père, mais nous ne pouvons pas te laisser ruiner ta santé. Ce serait la dernière chose que ta mère elle-même voudrait.

— Regarde comme tu as mauvaise mine ! a poursuivi Angélique. On dirait une toxicomane.

William l'a menacée du regard et elle s'est immédiatement tue, mordant à pleines dents son croissant.

— Kelly...

— Ok, j'interromps l'homme. On y va. Mais je reviens passer la nuit ici.

Il opine faiblement.

À présent l'eau froide coule délicatement sur ma peau. Perdue dans mes réflexions, je ne l'entends plus atterrir sur le carrelage et ruisseler mélodieusement. Je n'ai en tête que la voix mortifiante du médecin qui nous a annoncé avant-hier que maman était tombée dans le coma. La même phrase, en répétition. Invraisemblable. Insoutenable.

Après m'être habillée, je m'allonge et décide de consulter mon téléphone. J'ignore volontairement les nombreux messages de soutient de mes potes à qui j'ai fait part de l'état de ma mère. Et alors que je fais défiler l'écran de mes discussions de manière lasse, un nom parmi les autres se démarque et retient malgré tout mon attention.

Jordan m'a envoyé un « Joyeux Noël, Maîtresse ». Je ne sais pas comment le prendre. D'une part, vu l'ironie de la situation, je dois dire que son message tombe TRÈS mal. D'autre part, il n'est au courant de rien et, je dois l'admettre, je suis un peu émue qu'il ait pensé à moi malgré le fait que je l'aie délibérément évité depuis notre baiser.

J'ouvre la discussion et réfléchis à quoi répondre. Je ne vais quand même pas lui écrire « Merci, à toi aussi » sans scrupule ; ce serait hypocrite...
Finalement je le laisse en vu et me dirige vers Apple Books. Je commence la lecture d'un nouveau roman, espérant ainsi échapper, l'espace d'un instant à cette réalité abominable.

Environ une demie heure plus tard, alors que je m'y attends le moins, mon téléphone se met à sonner. C'est lui. C'est Jordan. Mon cœur ne peut s'empêcher de s'emballer. Pourquoi il m'appelle ?
J'inspire un grand coup et décroche.

— Allô ?

— Pourquoi tu m'ignores ?

Oh ! Plus direct encore, s'il te plaît !

— Jordan, je... je ne...

— Si, ne le nie pas. Tu viens clairement de snober mon message. Je sais que tu l'as lu.

— Arrête ! hurlé-je. Je ne suis pas d'humeur à discuter d'affaires d'orgueil ou je ne sais quoi. Tout sauf ça, s'il te plaît.

Un long silence pesant s'établit.

— Ça va ? finit-il par me demander, d'une voix tranquille.

Les battements de mon cœur prennent un rythme démesurément effréné, une effervescence brûle intensément dans mon thorax. Pour la première fois, je réalise tristement que depuis tout ce temps, j'avais besoin que quelqu'un me pose cette question ; que quelqu'un se préoccupe de ce que je ressens sans chercher à me juger, ou à me dicter une conduite particulière sous prétexte que j'attirerais le malheur en exprimant mes émotions. Et j'éclate en sanglots.

— Non ! Non... Non, ça ne va pas !

Je n'ajoute rien. Jordan non plus. Et pendant de longues minutes, en silence, il m'écoute pleurer.

Ma crise de larmes passée, je suis étonnée de l'avoir encore au bout du fil. Et calmement, il me demande si je veux en parler. Alors je me livre à lui. Je lui raconte tout, dans les moindres détails.

— Elle s'en sortira.

— Et si non ? Imagine qu'elle meure. Je ne me le pardonnerais jamais. J'ai été tellement ignoble avec elle...

— Arrête. Rien n'est de ta faute.

— Tu as raison. Je ne devrais pas me sentir coupable. Mais William, lui, il devrait.

— Non. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire non plus.

— Je sais mais je te le fais savoir. S'il la traitait mieux, elle n'aurait certainement pas fait ce malaise. Et pire encore, s'il n'avait pas absolument voulu avoir un enfant, elle n'aurait pas fait cette fausse couche qui lui a fait perdre trop de sang. Elle ne serait pas dans le coma à l'heure actuelle et...

— Kelly... Kelly, attends.

Je freine mes ardeurs et respire calmement.

— Tu sais, quand on traverse une situation difficile, on a tendance à vouloir trouver un ou plusieurs coupables à ce qu'il nous arrive. Parfois, c'est à nous-mêmes qu'on s'en prend. C'est normal et même, je crois savoir, un besoin naturel chez l'humain. Mais ce n'est pas la solution, au contraire.

Je l'écoute attentivement. En plus d'être douce et apaisante, sa voix est rassurante. Il continue en annonçant :

— Permets-moi de me confier à mon tour...

Continue Reading

You'll Also Like

7.7K 910 26
Lorsque j'entends MA GÉNÉRATION à moi, j'entends DÉPRAVATION , MÉCHANCETÉ, ABOMINATION, SÉDUCTION, HOMOSEXUALITÉ, SEXUALITÉ, DESTRUCTION, ANIMOSITÉ e...
13.2K 814 19
La vie m'a donné des coups, des coups au dessus de ma mesure car je n'ai pu les supporter. Aujourd'hui je perd peu à peu le contrôle de ma vie . Es...
4.9K 1.3K 62
Michelle , jeune chirurgienne centrafricaine de 23 ans avec un physique à damner un saint va se retrouver prise entre deux vagues . Destinée à épouse...
175K 4K 68
[𝐄𝐍 𝐑𝐄́𝐄́𝐂𝐑𝐈𝐓𝐔𝐑𝐄] 𝐾𝑜𝑢𝑙𝑐ℎ𝑦 𝑏𝑒𝑙 𝑚𝑒𝑘𝑡𝑜𝑢𝑏 𝑅𝑒́𝑒𝑙 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑑𝑒𝑠 𝑝𝑎𝑠𝑠𝑎𝑔𝑒 𝑓𝑖𝑐𝑡𝑖𝑓.