Assis sur le ponton qui donnait directement sur l'étang aux nénuphars, les pieds dans l'eau, Yoongi observait le soleil se rapprocher de plus en plus de l'horizon, plusieurs pelures de mandarines empilées à côté de lui. Le Mul-Ui aimait particulièrement ce fruit et profitait des derniers que les domestiques avaient pu trouver au marché avant que la saison soit complètement passée.
Ses effets personnels étaient empaquetés, les malles prêtes à être chargées dès le lendemain à l'aube en direction de la demeure des Park. Tout serait probablement déjà rangé quand il découvrait sa nouvelle chambre, tard dans la soirée après la cérémonie au Grand Temple, le repas de noces et la fête.
— Je voudrais qu'il n'atteigne jamais l'horizon, dit-il tout haut en regardant le reflet de l'astre sur l'eau calme.
— Si tu as peur que sa présence te manque, me voici pour le remplacer.
Yoongi se retourna vivement. Il ne s'attendait pas à entendre une voix lui répondre, pensant être seul. Il sourit faiblement en reconnaissant son ami Hoseok qui le couvait d'un regard doux. Celui-ci ôta ses chaussures et s'assit lui aussi en laissant ses pieds tremper dans l'eau avant de lui sortir un de ses fruits favoris de sa manche pour le lui déposer sur les genoux.
Yoongi lui sourit en guise de remerciement et incisa la peau couleur coucher de soleil avec l'ongle de son pouce.
— Je ne vais pas te faire l'affront de te demander comment tu vas...
Yoongi haussa les épaules et tourna à nouveau son regard vers le ciel. Les étoiles apparaissaient petit à petit alors que les nuages se teintaient de nuances oranges et roses.
— Je suis désolé, j'ai été très occupé ces derniers temps et je n'ai pas eu une minute à moi, commença le médecin en se tournant vers son ami. J'aurais voulu passer plus de temps avec toi... Tu dois avoir un tas de questions.
— Quelles questions ?
— A son sujet.
Yoongi tressaillit. Il y avait pensé. Bien sûr qu'il y avait pensé. Hoseok avait vu Park Jimin. Il savait à quoi il ressemblait, quel air il avait.
Yoongi quant à lui n'avait entendu que des éloges sur la beauté evanescente du jeune homme, sa bonté d'âme et surtout sa supposée incapacité à gérer son don.
Mais ne l'ayant jamais rencontré en personne, il préférait attendre de le rencontrer pour se faire sa propre opinion. Après tout les Park pouvaient très bien répendre de fausses rumeurs sur l'apparence et la personnalité de leur fils ou les langues de vipères pouvaient également se délecter de la moindre bribe d'information, même si celle-ci s'avérait fausse... Mieux valait être prudent, même avec ce qu'Hoseok avait réussi à glaner à l'office ou au marché. Mais à présent, il ne s'agissait plus de rumeurs, le médecin l'avait vu.
— Je sais que tu te demandes comment il est. C'est légitime, poursuivit Hoseok. Et si tu veux que je te donne mes impressions, tu n'as qu'à me le dire. Si au contraire tu souhaites que je ne t'en parle pas, je respecterai ta décision également. C'est toi qui choisis.
A ces derniers mots, Yoongi tourna la tête vers son ami et le considéra un instant.
Ils étaient proches depuis leur plus tendre enfance. Hoseok était le descendant d'une lignée de médecins attachés au service des Min et renommés dans toute la capitale. Comme dans chaque famille de la haute société, le médecin avait ses quartiers au sein-même du corps de logis. Ni noble, ni domestique, les médeçins de famille étaient ainsi considérés comme des êtres à part et se transmettaient leur savoir de génération en génération. Hoseok n'avait pas fait exception à la règle et avait suivi son père dans son travail dès qu'il avait pu lire et écrire.
Il lui avait succédé quand son géniteur était décédé d'un accident de cheval, quelques mois plus tôt. Sa mère quant à elle était morte en couches.
Les deux garçons étaient nés à quelques mois d'écart et avaient grandis ensemble. Cependant depuis que Hoseok était officiellement entré en fonction, il n'avait plus beaucoup de temps pour lui.
Attaché au service d'une seule famille, il devait s'occuper non seulement de celle-ci mais également de toutes les âmes vivant sous ce toit et pouvait étendre son champ d'activité au quartier dans lequel résidait la famille. Sa patientèle était donc nombreuse et régulière et il était souvent en déplacement.
Hobi avait été le seul véritable ami de Yoongi, son unique réconfort puisque lui aussi avait perdu ses parents. Ils se comprenaient parfaitement et n'imaginaient pas comment vivre l'un sans l'autre. Savoir que le lendemain ils n'habiteraient plus sous le même toit leur fendait le coeur à tous deux, bien qu'il n'y ait rien à faire pour changer le cours des choses.
— Tu... si tu penses que ça pourrait m'aider, alors... oui, je veux bien que tu me donnes tes impressions sur lui.
Quand Hoseok reprit la parole, Yoongi l'écouta attentivement. Il savait pertinement que son ami n'enjoliverait pas la situation pour que la pilule passe mieux. Il serait franc, comme toujours.
— Je ne l'ai pas vu longtemps, mais cela m'a suffit pour comprendre que vous vous ressemblez beaucoup tous les deux. Il est délicat, sensible mais possède une force dont lui-même ne soupçonne pas l'étendue.
Yoongi médita ces quelques mots, reportant son attention sur le ciel qui s'assombrissait de plus en plus.
— Crois-tu que nous pourrons nous entendre ? commença Yoongi, avant de faire une pause.
Hoseok connaissait son ami par coeur et attendit qu'il développe.
Les joues de Yoongi pâlirent pendant qu'il s'expliquait :
— Nous allons devoir vivre ensemble, partager chaque instant du reste de notre vie. Je... je sais que je ne suis pas quelqu'un de toujours agréable à vivre ou d'enjoué. Je ne suis pas comme toi, Hobi. Si ce jeune homme est aussi sensible que tu le dis, est-ce que ma présence ne lui sera pas néfaste ? J'ai... j'ai entendu dire qu'il était peut-être malade...
Hoseok sourit. Derrière cette phrase laissée en suspend se cachait une inquiétude de la part de son ami pour son fiancé. Les paroles précédentes de Hoseok avaient trouvé leur chemin vers son coeur et Yoongi se préoccupait tellement des autres... parfois même avant de le faire pour lui-même.
— Je pense que tout ira bien. Je pense que trouver votre harmonie est possible. Ce ne sera peut-être pas une tâche aisée de vous apprivoiser l'un l'autre. Cependant...
Hoseok se tut le temps de réfléchir quelques secondes avant de demander :
— Les fleurs et l'eau ne sont-elles pas faites pour s'entendre ?
✤✤✤
Cho passa ses doigts écartés dans les cheveux de son maître et commença un doux massage. Jimin soupira et se laissa aller dans l'eau chaude de son bain.
Il était épuisé. Cette dernière journée de préparatifs en vue de son mariage avaient été un véritable marathon. Levé aux aurores il avait dû se rendre aux derniers essayages de ses tenues. Une pour la cérémonie au temple, une pour la réception dans les jardins de la famille et enfin une dernière pour la nuit de noces.
Par la suite s'étaient enchaînées les répétitions des cérémonies, de ses voeux, la supervision de l'installation des tables, des montages floraux...
Sa mère l'impliquait dans tout et ne lui laissait pas une seule minute à lui. Jimin savait parfaitement qu'elle faisait cela pour éviter de le laisser ruminer sur son sort. Cependant il vivait à un rythme effréné depuis des semaines et ne s'alimentait toujours pas correctement. Le jeune homme avait perdu encore plus de poids et était devenu encore plus pâle. Mais au contraire de l'inquiéter, cette transformation physique semblait plaire au jeune maître.
Cho était inquiète.
Jimin n'avait jamais fait allusion à son poids. Cho l'avait surpris quelques jours plus tôt à se regarder intensément dans un miroir en pied. Il palpait son cou et ses joues et semblait se réjouir que son visage se soit affiné. Ce qu'elle avait vu, elle, c'étaient ses côtes saillantes et ses bras devenus maigres.
A présent, elle tentait par tous les moyens de détendre son maître avant sa dernière nuit en tant que jeune homme célibataire.
— Cho ?
— Maître ?
Jimin hésita un instant avant de dire :
— Non... rien.
Il s'agita un peu dans son bain, serrant ses doigts entre eux.
— Cho ?
— Oui, Maître ?
— Est-ce que... tu dormirais avec moi cette nuit ? Dans... dans mon lit ?
La dame de compagnie ne fut pas surprise de cette requête. Cela était déjà arrivé plusieurs fois par le passé que Jimin ne veuille pas dormir seul, surtout quand il était angoissé. Et les dieux savaient à quel point il l'était en ce moment-même.
— Bien sûr.
— Merci.
— Je vous en prie.
Jimin se sentit un petit peu mieux à l'idée que son amie serait tout près de lui. Cela l'empêcherait peut-être d'angoisser pendant toute la nuit et que mille questions tournent en boucle dans son esprit tourmenté.
Bien sûr, Cho dormait sur un petit matelas au pied du lit depuis quelques temps mais il souhaitait sentir une présence réconfortante avec lui pour la dernière fois avant de devoir partager sa couche et sa chambre avec un inconnu.
Soudain deux coups retentirent à la porte qui donnait sur le couloir principal. Intrigués, les jeunes gens se regardèrent, mais aucun des deux n'avait l'air de savoir de quoi il s'agissait.
— Je vais voir, déclara Cho en s'essuyant les mains.
Elle revint dans la chambre et entrouvrit la porte pour tomber nez à nez avec Park Soo.
— Maîtresse, dit-elle en saluant bien bas la mère de Jimin après lui avoir ouvert la porte.
— Bonsoir Cho. Mon fils est-il visible ?
— Il est dans son bain. Je le préviens de votre visite.
La dame de compagnie s'éclipsa alors que la mère de Jimin s'installait sur le rebord du lit. Elle tenait entre ses mains un petit objet que Cho n'avait pas réussi à identifier.
Revenue dans la salle de bain, elle informa Jimin que sa mère l'attendait dans sa chambre. Elle l'aida à se rincer, se sécher et passer sa tenue de nuit avant de s'affairer à nettoyer et ranger la pièce.
Jimin revint dans sa chambre avec un air surpris sur le visage :
— Mère ? Vous n'arrivez pas à dormir ?
— Mon fils, murmura Park Soo en l'enlaçant.
Ils restèrent dans les bras l'un de l'autre pendant de longues minutes. Jimin déployait des trésors de volonté pour ne pas laisser échapper les trop nombreuses larmes qu'il avait envie de laisser couler. Le lendemain à la même heure, il dormirait dans cette pièce avec un autre homme... Enfin, s'il parvenait à dormir. Ce qui n'était pas certain tant l'angoisse le faisait étouffer.
— Il n'y a pas grand chose que je puisse te dire pour apaiser ton coeur. Je sais ce qui te ronge et malheureusement je n'ai pas le pouvoir de défaire ce qui est sur le point d'advenir. Cependant...
Sa mère lui tendit un petit objet de forme ovale emballé dans un tissu de soie.
— J'ai réussi à trouver ceci, ne me demande pas comment. J'ai pensé que si tu pouvais au moins avoir une idée de l'apparence de ton futur époux, ce serait déjà une bonne chose.
Jimin réceptionna l'objet et ses yeux passèrent de ses propres mains au visage de sa mère avec un air interrogateur.
— Il y a... encore certaines choses dont il faudra que je te parle... à propos des rituels.
— Voulez-vous le faire maintenant ? demanda Jimin avec un léger espoir de retenir sa mère auprès de lui quelques instants de plus.
— Non... je... ce n'est pas très important. Nous aurons tout le temps pendant le trajet jusqu'au Grand Temple. Je vais te laisser, tu dois être en forme demain.
Elle se leva, lui déposa un baiser sur chaque joue et termina par un plus prolongé sur son front pâle.
Jimin frémit à tous ces contacts, se demandant si son promis lui permettrait encore d'accéder à ces démonstrations d'affection maternelle. Il savait déjà qu'après cette nuit, il serait impossible que Cho dorme dans cette chambre, même sans partager le même lit. C'était entre autre pour cela qu'il lui avait demandé si elle accepterait de dormir avec lui cette ultime fois. Elle était son amie, sa confidente, l'épaule sur laquelle il pouvait pleurer quand ça allait mal. Leurs longues soirées d'hiver à converser bien au chaud devant l'âtre allaient lui manquer...
Park Soo quitta la chambre et s'enfonça dans l'obscurité du couloir. Jimin s'était assis sur son lit et défit de ses doigts tremblants le simple noeud qui le séparait encore du visage peint de son futur époux.
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J'aime tellement écrire des scènes d'amitié... 🥰
J'ai programmé ce chapitre il y a déjà plusieurs jours parce qu'aujourd'hui je suis à Disney en famille avec ma soeur, mon beau-frère et mon compagnon !
Je vous avoue que j'ai un petit pincement au coeur. La première fois que nous y sommes allées, nous avions respectivement 4 et 8 ans (ma soeur est plus jeune que moi) et c'était avec mes parents. Et ce sera la première fois que nous irons depuis les décès de notre maman. Je ne sais pas exactement comment je vais me sentir sur place, sans doute nostalgique.
Je ne pourrais peut-être pas répondre à vos commentaires aussi vite que d'habitude, mais je le ferai dès que possible, promis !
En attendant je vous dis à vendredi 11h pour la suite !
Prenez soin de vous 💜