Chapitre 3

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Aux premières lueurs de janvier, Violet prépara l'invocation. Cercle, bougies, miroir. Tout était prêt pour accueillir de nouveau Luella. Elle ne souhaitait pas patienter une seconde de plus sans la voir, bien que ce sentiment lui paraisse quelque peu irrationnel. À peine la silhouette de la créature se dessina, que la mage ressentit un profond soulagement et surtout un poids quitter son cœur.

— Bonjour, Maîtresse. Heureuse de vous revoir.

Violet du serrer sa chaise de toutes ses forces pour ne pas sauter dans le rond et enlacer la muse. Toutefois, elle ne supporta pas de rester éloignée et s'assit à la limite du cercle. Luella l'imita.

— Tout va bien, Maîtresse ?

— Oui. Très bien. Tu m'avais manquée.

Le regard de la muse s'illumina d'une joie indescriptible.

— Vous de même.

Quatre jours durant, elles ne quittèrent pas cette position. Trop loin pour se toucher, trop proche pour nier. Une tension dans l'air qui grandissait sans aucun moyen pour la faire retomber.

Lors de son invocation suivante, Luella annonça une bien détestable nouvelle à la mage.

— Maîtresse... Encore combien de fois parviendrez-vous à m'invoquer ?

Violet fronça les sourcils.

— Je te demande pardon ?

— Contrairement aux autres créatures, les invocations d'humanoïdes, surtout du même humanoïde, aspirent peu à peu l'énergie magique du mage. Vous allez bientôt tomber malade si vous continuez à m'appeler.

Violet posa sa tasse de thé et baissa la tête. La présence de Luella l'avait tellement comblée qu'elle en avait oublié son but premier et les règles élémentaires. Le plus ironique c'était qu'elle s'en moquait.

— J'ai envie de te revoir. Encore et encore.

Luella lui sourit.

— Moi aussi, Maîtresse. Mais il m'est impossible d'appartenir à votre monde.

— Je te rejoindrai dans le tien.

Violet y pensait depuis de nombreux mois désormais. Ici, à Canterbury, rien ne la retenait depuis bien longtemps. Alors, à quoi bon demeurer seule, dans son manoir sans vie ? À quoi bon s'entêter dans cette existence solitaire alors qu'elle avait enfin trouvé le bonheur ? Et quand bien même elle réaliserait son rêve d'être accepté à la prestigieuse assemblée des mages, cela ne soignerait pas ses blessures, Violet en était consciente.

— Maîtresse ! Si vous entrez dans le cercle, vous...

— Je perdrai un an de vie par minute passée à l'intérieur. M'acceptes-tu ?

La muse s'agenouilla et tendit sa main.

— Avec joie.

Violet sourit, détacha ses cheveux rouges et entra dans le cercle. À l'instant où elle saisit la main de Luella, la mage sentit des frissons la parcourir et elle l'attira contre elle. Front contre front, Violet pouvait capter la chaleur de la muse tout contre son corps.

— À partir de cet instant, chaque seconde est comptée.

— Montrez-moi alors comment vous aimer.

La mage n'hésita pas plus et posa doucement ses lèvres sur celle de la créature qui, peu à peu, lui rendit son baiser.

— Vous avez le goût de thé et de caramel, Maîtresse.

— Et toi celui de la liberté.

Cette fois, ce fut Luella qui initia le baiser, baiser qui se voulait de plus en plus passionné.

— Maîtresse ?

— Oui ?

— Si vous ôtez mon katana et le posez sur le sol, je perdrai ma fonction de muse guerrière et deviendrai un esprit libre. Je n'aurai plus jamais à apparaître sur des champs de bataille ni à recevoir des ordres plus dégradants les uns que les autres.

Violet ne se fit pas prier et accepta immédiatement. Elle enleva l'arme et la déposa à leur pied. Puis, dans un élan de désir, ôta la pince papillon de la muse.

— J'ai toujours voulu te voir les cheveux détachés.

Luella, heureuse et libérée, allongea aussi doucement que possible la mage sur le sol et s'assit à califourchon sur elle.

— Vous êtes magnifique, Maîtresse.

— Embrasse-moi. Embrase-moi.

— Avec plaisir.

Luella n'avait toujours connu que les horreurs et les humiliations ; Violet la solitude et l'abandon. De l'amour et du désir, elles n'avaient jamais vu l'ombre. Pourtant, ce soir, dans ce cercle d'invocation, elles laissaient libre cours à leur passion. Passion maudite, interdite... Ici personne pour les juger. Juste elles et le temps qui ne défilait pas.

Après sa quarantième minute dans le cercle, Violet pâlit dangereusement. Luella s'assit et l'enlaça, lui caressant les cheveux. La fin était proche.

À la quarante-cinquième minute, le cœur de Violet commença à ralentir. Luella l'embrassa une dernière fois. Et lui tint la main.

À la quarante-sixième minute, Violet rendit son ultime souffle, le sourire aux lèvres. Luella ferma ses paupières, serra la mage contre elle et attendit que le sort se dissipât.

Dans les alentours de Canterbury, personne ne remarqua le décès de la dernière héritière Landster. Ce ne fut que quatre-vingts ans plus tard qu'un jeune mage, futur historien, décida d'explorer le mystérieux manoir abandonné. Il y trouva beaucoup de vaisselles, de vêtements et de livres de sortilèges divers et variés. Toutefois, dans la salle d'étude, un grimoire attira son attention. Il était ouvert sur une page en particulier.

« Invocation d'un couple d'esprits — Violet et Luella. Ces deux muses béniront votre union et vous garantiront un mariage heureux. Attention, ces entités ne peuvent être invoquées qu'ensemble. Requiers un niveau de magie supérieur. »

Le jeune homme sourit. Lui qui comptait demander sa renarde-garou de petite-amie en mariage, ne serait-ce pas là une magnifique surprise ? Il ramassa le livre et quitta le manoir, à jamais ensorcelé par le bonheur des deux amantes.

Psycho LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant