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Article enfin rédigé, déposé sur le bureau du directeur de la rédaction. J'appose ma signature, et voilà officiellement mon premier article à paraître dans le journal. Mais maintenant, du sommeil. Je veux du sommeil.

En ouvrant mon appart, Scrappy est déjà à mes pieds, attendant que je lui remplisse sa gamelle. Chat fidèle, mais très gourmand. Je me dirige droit vers ma chambre, ôter toutes mes affaires et filer sous la douche.
Ting. Message de Claire. "Plus de nouvelles, toujours vivante ?". Argh, il est vrai que je ne lui ai plus beaucoup parlé ces temps ci, la faute à mon planning chargé. A défaut d'avoir une vie sociale très développée, Claire est l'une des rares amies étant restée à mes côtés au fil des années. Pas même le temps de répondre, que mon portable vibre déjà : "Oui je sais bien mais... Non désolée, mais avec mon nouveau job je n'étais pas très dispo... une sortie, demain soir ? Je ne suis pas très soirée tu sais... Oh je vois, oui bon d'accord... Demain 21h, c'est noté". Et voilà, Claire et son pouvoir de persuasion ont de nouveau frappé.

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Chemisier pastel, pantalon noir et escarpins : j'enfile ma tenue sur ordre de Claire. "April Stelar, vous êtes ravissante." Son optimisme est flagrant, pourtant j'ai du mal à me sentir à l'aise. Il est vrai que, suite à ma précédente relation amoureuse, laquelle s'est terminée de façon dramatique (apprendre que son copain vous trompe depuis un an sans même que vous l'ayez vu venir, difficile de s'en remettre !), toute confiance en moi s'est perdue. J'arbore toutefois un sourire suffisamment convainquant, pour ne pas contrarier la bonne humeur de ma meilleure amie. Fine et élancée, elle qui souffrait auparavant de problème de poids, elle a finalement su obtenir sa revanche, laissant désormais la totalité de la gente masculine sous son charme. A contrario, bien qu'à ses dires il semblerait que la nature ait été généreuse avec mon physique, l'image que j'ai de moi n'est autre qu'une fille tout à fait banale. Ni belle, ni laide. Un mètre soixante pour 50 kilos, une poitrine assez fine en perpétuel désaccord avec mon fessier généreux, de long cheveux couleur châtain. Bref, une fille tout a fait banale.
N'y connaissant pas grand chose en matière de maquillage, je laisse Claire s'occuper de moi.

"Oh mon Dieu, une poupée...", lâcha-t-elle après analyse de son travail. Il est vrai que, dès que mon regard croise ce visage dans le mirroir mural de ma chambre, je ne peux m'empêcher de regarder de plus près : Claire est capable d'accomplir de vrais miracles.
"Hé bien, dis quelque chose ! Ça te plaît ? s'impatienta-t-elle.
- Tu es la meilleure."
Son rire retentit dans l'ensemble de la pièce, mélangeant à la fois fierté, joie et enthousiasme.

La soirée est déjà bien engagée lorsque nous nous aventurons dans l'Upside, bar largement fréquenté par les étudiants en fac. Après avoir salués d'anciennes connaissances, nous nous dirigeons vers le comptoir, ou le verdict de Claire est sans appel : "Deux rhums ananas s'il vous plait", demanda-t-elle au barman, avec une sûreté des plus totales, face aux regards troublés de ce dernier. Verre à la main, nous trinquons ensemble à la réussite professionnelle que nous espérons tant. Journaliste de renom pour ma part, traductrice pour la sienne, nos carrières littéraires sont ainsi déjà toutes imaginées, à défaut d'être tracées pour de bon.

La soirée se poursuit, Claire m'entraînant sur la piste, où bon nombre d'étudiants dansent au rythme d'une musique dont le son me tourne la tête. Vite, il faut que j'arrête de boire sinon je ne tiendrai pas... De l'air, oui, il me faut de l'air.

Je me dirige droit vers la sortie, d'où l'odeur de fumée envahit déjà mes poumons (je ne comprendrai jamais cette fascination pour la cigarette). Impossible de rester là plus longtemps, je m'écarte et respire un bon coup. Je ne pourrai décrire le bien que me procure le souffle de la brise sur mon visage. Cela me calme en un instant et je me sens apaisée, vivante, lorsque tout d'un coup le bruit d'un gyrophare me sort de mon état de plénitude. Merde, la police. Me précipitant vers l'entrée de l'Upside, j'y entrevois une foule de personnes regroupés, ainsi que des agents. "Ce salaud s'est fait frappé, un des gars la-bas l'a accusé d'avoir tenté d'abuser de sa sœur", m'indique Claire, dont je n'avais même pas remarqué la présence au milieu des murmures incessants. Je cherche du regard les deux personnes qu'elle a désigné, tombant tout d'abord sur l'expression remplie de haine et de désespoir du premier, lequel doit être le frère de la victime présumai-je.

C'est à ce moment là, en plein combat avec mon esprit pour rester lucide face aux effets de l'alcool, qu'un regard dur et froid se posa sur moi. Un regard dont l'intensité ne faiblit pas au fil des secondes. Un regard dont l'expression se trouve remplie de mystère, d'une part d'obscurité, amenant presque à un sentiment d'insécurité. Il me fixe, je le fixe. Tout autour de moi s'efface, m'amenant à me concentrer seulement sur ces yeux noirs incapables de quitter les miens. Ces yeux, qui m'inspirent à la fois la curiosité et la peur.

Et c'est à cet instant précis, à travers ce regard empli de froideur, que j'ai senti qu'il allait tout changer. Que tout avait déjà changé.

CAPTIVEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant