Chapitre 2

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« Je suis issu d'une famille japonaise moyenne. Nous étions : ni trop riche, ni trop pauvre, ni trop heureux, ni trop malheureux », ajouta-t-il à l'endroit de Tomi qui lui accordait désormais tout son attention. Haruki était en fait le dernier-né d'une ribambelle de 5 enfants. Il avait grandi au nord de Tokyo dans le quartier populaire de Yanaka. Son père, comme son père avant lui, avait toujours travaillé au sein de la police tokyoïte. C'est donc sans surprise qu'Haruki épousa cette carrière le jour où il dut faire son premier choix de vie.

De nature, comme on le sait timide, mais pugnace et méticuleux, il grimpa rapidement les échelons hiérarchiques. Alors que son père et son grand-père s'étaient retirés à un honorable grade de sous-lieutenant, lui avait atteint l'échelon de commissaire principal avant la trentaine. Sa fulgurante progression avait bien provoqué quelques jalousies dans les rangs de la police, mais tout le monde s'accordait à reconnaître son mérite dans les honneurs qu'il récoltait.

Alors qu'il gravissait les échelons comme une fusée lancée à pleine puissance, Haruki fit la connaissance d'une fille pleine de vie et d'insouciance. De dix ans, sa cadette, la belle lui prit son cœur en un tour de main avec douceur et rapidité, comme un voleur entré par effraction. D'habitude si discrètes et soumises, les femmes japonaises sont à mille lieux de la belle fiancée du commissaire. Elle lui apportait toute la folie et les couleurs qui manquaient dans son monde sérieux. Elle était son soleil. Mais son plus beau rayon ne tarda pas à venir éclairer un peu plus leur vie commune.

Le couple se maria peu de temps avant la naissance du premier enfant, le plus beau bébé du monde. Haruki était le plus heureux des hommes sous le ciel et dans son périmètre, il incluait l'univers qui s'étendait au-dessus de sa tête. Décidément, sa vie était un rayon de soleil comme le laissait entendre son prénom à sa naissance. Mais Haruki ne croyait pas à ces fables, ces affabulations populaires. Le jeune ambitieux était persuadé que dans la vie rien ne venait pas hasard. « Le bonheur se mérite comme une récompense pour les efforts accomplis » disait-il le torse bombé, avec l'assurance de celui à qui tout réussi. Telles les médailles de guerre et les taches de sang qui ornaient la parementure de la veste d'apparat de son grand père engagé dans la marine de l'empereur Hirohito. Fort de cette certitude, Haruki allait de l'avant dans la vie le front haut.

Le jeune couple emménagea dans le chic quartier de Ginza non loin de la baie de Tokyo. Un magnifique loft avec vue sur la mer. Son salaire de commissaire lui permettait d'offrir à sa petite famille une vie confortable largement au-dessus de tout besoin. Sa femme, journaliste de profession, se consacrait à l'éducation de leur enfant. De temps en temps, elle écrivait des nouvelles pour les plus jeunes. Il était souvent question de lapins et de petits personnages mystérieux invisibles aux yeux des adultes.

Un beau jour, pourtant, dans le ciel radieux qui composait la vie d'Haruki, les nuages s'amoncelèrent. Tout d'abord au travail où un certain nombre de scandales de corruption au sein des forces de l'ordre avait considérablement déstabilisé l'institution. Bien qu'irréprochable en tout point, le plus jeune commissaire principal de l'histoire dut marcher sur des œufs. Les envieux étaient à l'affût. Ils profiteraient certainement du moindre de ses faux pas pour mettre à mal tout ce qu'il avait construit si patiemment pendant des années. Haruki travailla avec encore plus d'abnégation et démantela rapidement un premier réseau important de flics ripoux. Mais ce travail intensif eut des conséquences sur sa vie familiale. Sa jeune et belle femme se languissait de ne plus le voir. Quand il rentrait à la maison, c'était aux petites heures de la nuit, exténué et irritable.

Le couple traversait des heures difficiles. Un jour sous prétexte des vacances de la Nara, sa femme lui dit qu'elle partirait quelques jours avec le bébé, pour se reposer chez ses parents au nord. Haruki pensait que c'était en effet une bonne idée, il lui promit de la rejoindre pour le weekend. Sur le palier alors qu'il s'apprêtait à se rendre au commissariat central, il se retourna et dit à sa femme : «ne t'inquiète pas ma chérie, tout va s'arranger, je te le promets », sa voix sonnait confiante et pleine d'assurance, comme d'habitude. Elle lui répondit par un sourire timide. Il était 5 heures du matin, les mains dans les poches, il s'enfonça dans les brumes de ce début de matinée d'hiver. Haruki ne revit plus jamais sa femme, ni sa fille.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 14, 2020 ⏰

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