MÉMORIA ZÉRO

13 - UN PEU D'OPIUM DANS UN VERRE - Partie 1/2

Hayato se redressa sur sa chaise et s'étira. Assis depuis des heures à saisir ses comptes rendus, ses articulations et ses muscles commençaient à protester. Les yeux rivés au plafond, il repensa alors à sa dernière mission.

Les échantillons prélevés sur les cadavres à Kisava dévoileraient peut-être de nouveaux indices, mais les révélations de Sköll le rendaient perplexe. D'après ses propos, un dragon était responsable de ce chaos, mais cette hypothèse le laissait en proie au doute. Il lui était difficile de se fier aux affirmations de quelques badauds qui auraient pu confondre un reptile volant avec un oiseau. Certes, la créature avait été observée à deux endroits différents à quelques jours d'intervalle, mais cela ne prouvait en rien la véracité des faits.

Frustré de ne pas posséder plus d'éléments pour éclaircir cette histoire, il s'octroya une pause bien méritée et pour cela, il n'y avait rien de mieux qu'un petit remontant. Il dénicha une bouteille de vulpix bien cachée entre deux cartons sous le rayonnage de son bureau et sortit un verre de son tiroir. Mais, au moment où il allait se servir, un bocal se brisa au sol et il sursauta. Figé, il tourna une oreille et une voix féminine s'éleva de derrière les étagères.

— Bordel ! Ce n'est pas possible de garder des trucs aussi dégoûtants !

Son estomac se crispa lorsqu'il reconnut le ton autoritaire de sa supérieure et s'empressa aussitôt de dissimuler son précieux alcool. Ce n'était pas le moment de se faire pincer à boire sur son lieu de travail !

— Ah ! Tu es là !

D'un geste exagérément lent, Hayato pivota sur sa chaise pour se retrouver face à Karen Estieral, la cheffe suprême des Alliées de la nuit.

Derrière un maquillage parfait et des ongles manucurés sommeillait une puissante guerrière doublée d'une fine stratège. Même chaussée de talons aiguilles, cette brute épaisse n'hésitait jamais à se lancer dans la mêlée quand le besoin s'en faisait ressentir. Elle n'avait pas succédé à son père pour rien. Malheureusement, sa noble stature s'accompagnait d'un caractère des plus exécrable depuis son jeune âge et si elle était aujourd'hui mariée avec deux enfants, les années passées ne l'avaient guère bonifiée.

Sa seule présence suffit à hérisser le poil d'Hayato et son parfum un peu trop prononcé lui arracha une discrète grimace dégoûtée. Cependant, la trentenaire aux courbes gracieuses ne semblait pas avoir l'intention de quitter les lieux et, tout en repoussant une mèche indigo derrière son oreille droite, survola la pièce du regard avant de le fixer d'un air pincé.

— Où est Kyeran ?

— Tu veux vraiment le savoir ?

La jeune femme ne cilla pas et croisa les bras.

— Il est parti jouer les jolis cœurs avec une fille.

Karen haussa un sourcil, les lèvres déformées en une expression peu convaincue.

— Kyeran ? Draguer une femme ? Ce n'est pas du tout son genre...

Hayato arbora un sourire en coin. Sa supérieure ne croyait presque jamais un traitre mot de ces propos – en dehors de la sphère professionnelle, bien sûr – alors il aimait user d'arguments parfois véridiques pour la mener en bateau. Il avait vu la joie étinceler dans le regard de son partenaire à la rencontre de la jeune Lyria, il ne gâcherait pas cet instant en révélant à Karen où il se trouvait.

— Tu es venue ici dans l'unique but de me parler de lui ?

Karen soupira et se frotta le front du bout des doigts.

— Non, je veux aussi savoir où tu en es dans tes recherches.

— Ça avance doucement, mais sûrement, avoua-t-il. On a eu de nouveaux indices à Solsti, mais je préfère faire encore quelques investigations avant de m'avancer sur quoi que ce soit.